16 décembre 2018

Temps de lecture : 4 min

« L’humanisme de l’IA est très discutable »

Co-auteure du 8e Communicator, Céline Mas passe au crible l’ascension de l’IA dans la communication. Et rassure les sceptiques : non, une guerre de pouvoir n’a pas lieu. Entre Hommes et Machines, la démarche est définitivement collaborative. Seul l’usage que les premiers font des seconds fait parfois froncer les sourcils.

Co-auteure du 8e Communicator, Céline Mas passe au crible l’ascension de l’IA dans la communication. Et rassure les sceptiques : non, une guerre de pouvoir n’a pas lieu. Entre Hommes et Machines, la démarche est définitivement collaborative. Seul l’usage que les premiers font des seconds fait parfois froncer les sourcils.

INfluencia : selon vous, quelles intelligences artificielles disruptent. le plus le secteur de la communication – jusqu’à devenir dit-on essentielles au monde du marketing ?

Céline Mas : d’abord celles qui analysent le langage. Sachant qu’il y a débat au sein de la communauté scientifique sur la précision de ces processus, même imparfaites, elles traitent des expressions en un temps record, les classent et parfois y répondent -ce que fait un chatbot, ou robot conversationnel, par exemple.

Ensuite l’IA qui aidera les créatifs à affiner leurs insights en croisant des scénarios avec des publics en fonction de leurs data. Et enfin les IA relatives à la personnalisation des offres, pas seulement liées aux logiques marketing, également utiles à la communication commerciale. Bref, convaincu ou détracteur, il va falloir composer avec elle, car elle devrait représenter un marché de 46 milliards de dollars en 2020, selon l’International Data Corporation.

IN : dans la santé, cet outil a fait ses preuves en tant qu’acteur permettant de « rapprocher les hommes ». Ça marche dans le marketing ?

C.M. : je ne sais pas si l’IA rapproche les hommes! Elle accélère des processus, facilite des interactions, mais la capacité sociale relève de tout sauf de l’automatisation. De même, en marketing, les consommateurs ne sont pas des girouettes. Ils peuvent consentir à un système plus automatisé, mais il y a toujours un point de rupture : celui du vrai désir. Pas toujours prévisible, jamais apprivoisable totalement. Cela explique que des produits ou projets jugés invendables aient rencontré le succès. Je pense que c’est tant mieux.

IN : la désincarnation des objets de communication a un effet paradoxal. Représente-t-elle un risque dans. la dimension humaine essentielle au relationnel ?

C.M. : on peut pallier le manque en proposant des canaux de communication basiquement humains. D’après les études que je conduis, le papier ou l’événement n’a jamais eu aussi bonne presse. Il obtient des scores de satisfaction très élevés, notamment quand il a une valeur d’usage reconnue, une rareté. La bataille de l’attention est telle que les gens apprécient de pouvoir s’arrêter le temps d’une lecture utile ou d’une rencontre sociale motivante. Le plus difficile est de les amener là. Donc de retenir l’attention de départ.

IN : dans votre ouvrage(*), vous affirmez : « Aujourd’hui, l’IA s’immisce dans la conversation des marques et entreprises avec leurs publics. » Pour quelle relation et quel humanisme ?

C.M. : l’humanisme de l’IA est très discutable. Yuval Noah Harari, l’auteur de Sapiens(**), prédit même la fin de l’humanisme à cause des avancées technologiques. Le vrai atout en revanche de l’IA dans la relation entre marques et clients est sa capacité à traiter énormément de demandes dans un temps record. Quand vos clients attendent des réponses rapides, pouvoir leur prodiguer un premier accueil est important. Ça ne suffit pas tou- jours, il faudra aller plus loin, mais ça compte dans la relation. L’IA peut aussi décharger les communicants de tâches répétitives et peu passionnantes… Ils pourront ainsi se concentrer sur des sujets plus stratégiques et aussi beaucoup plus créatifs.

IN : investir dans l’IA est un mot d’ordre pour les entreprises, « si elles réussissent à tirer parti des atouts
de l’IA ». Pour quelles stratégies et dans quelles limites ?

C.M. : je veux parler d’une augmentation de la performance. Gagner du temps, automatiser des processus jusqu’alors très laborieux, réduire les risques d’erreur… Sous réserve que la programmation soit juste, c’est un atout sans égal. Mais attention à ne pas confondre intelligence artificielle et intelligence « tout court », et à garder la main sur le processus. En ce sens, commencer par des expérimentations est plus sage. Enfin, n’oublions pas qu’il y a pénurie de spécialistes en IA en France, donc le recrutement adéquat n’est pas facile…Le prix de ces acteurs peut être dissuasif pour des PME.

IN : comment sélectionner – et adopter justement – ses IA dans ce monde digital en marche ?

C.M. : je ferais trois recommandations. Sérier son besoin; expérimenter d’abord avant de déployer; et être accompagné de spécialistes -cela comprend aussi des gens d’études, des sciences humaines, de philosophes, bref de compétences qui redonnent à la technique une dimension sociale et organisationnelle. Souhaitons aussi que les biais cognitifs relatifs aux IA soient mieux encadrés -les codeurs peuvent reproduire des discriminations dans leurs algorithmes sans même en avoir conscience.

IN : selon vous, les algorithmes vont- ils apporter des solutions concrètes et durables à l’entreprise ?

C.M. : c’est difficile à dire. Auprès du grand public, l’IA suscite autant de peurs et de questions qu’à son apparition dans les années 1960. C’est normal. Il faut de la pédagogie. Ce qui émerge des solutions, c’est la compression du temps, la prise en compte de relations de premier niveau (premier contact) avec une vitesse incomparable, et sans doute le recentrage non sur les outils de la relation, mais sur leur qualité. Si l’IA devient un soutien technique pour nous laisser le temps de développer plus d’empathie les uns envers les autres, alors on aura progressé.

Céline Mas est sociologue, experte en data, communication internationale et évaluation, associée du cabinet Occurrence et directrice du comité ONU Femmes France.
(*). Paru en juin 2018, éd. Dunod.
(**). Sapiens : Une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015.

Cet article a été tiré du numéro 26 de la revue INfluencia : « Que l’intelligenre soit ! Intelligences humaines et artificielles ». cliquez sur la photo ci-dessous pour la consulter. Et pour vous y abonner, c’est par ici.

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