Si les femmes sont performantes et entrepreneuses, elles demeurent toutefois enkystées dans un modèle patriarcal qui peut les rendre vulnérables. Le réseau professionnel sur lequel les hommes s’appuient naturellement n’est pas (encore) pour elles un réflexe. Plus pour longtemps. Les pays émergents montrent la voie.
La représentation genrée des métiers empêche les femmes d’envisager certaines carrières numériques. Résultat : seulement 27% d’entre elles y évoluent, 6 % dans le coding et 10 % à la tête d’une start-up. Une absurdité tant sociale qu’économique quand on sait que le pays gagnerait 0,4% de croissance par an si les femmes créaient autant d’entreprises que les hommes, ce qui équivaudrait à plus de 1,9 million d’emplois sur vingt ans.
L’ambition comme levier d’action
Alors, pour participer à la déconstruction d’un statut dans lequel la société les cantonne, pour gagner en autonomie, donner du sens à leur vie et trouver leur équilibre, les femmes bombent le torse et entreprennent. La dernière enquête en date menée par Occurrence × BNP Paribas, « L’entrepreneuriat au féminin » (mai 2018), fait apparaître un second sexe qui ne manque pas d’ambition.
Face aux discours infondés qui dénoncent la victimisation des femmes et leurs plaintes sans actions concrètes, l’entrepreneuriat féminin hissant les femmes au sommet de l’échelle se développe. Parce que tous les secteurs ou presque sont concernés par le découragement des femmes pour atteindre les plus hauts postes, par un plafond de verre incassable et par des barrières mentales et physiques massives, les données récoltées permettent de mieux visualiser les prochains leviers à activer pour une société entrepreneuriale toujours plus diversifiée et égalitaire.
Première donnée : la majorité des entreprises créées par ces femmes le sont sur les secteurs des services (34%) et de l’action sociale (15%), avec un tout petit 2% axé finance. « Il ne faut pas oublier que les femmes n’ont eu l’autorisation d’ouvrir un compte en banque qu’en 1965, c’était hier ! Et cela se traduit par une répartition des métiers encore très genrée, avec les fonctions régaliennes de finance et tech d’un côté, puis les services de l’autre », analyse Céline Mas, associée du cabinet d’études Occurrence et présidente d’ONU Femmes France. Néanmoins, les initiatives portées par les associations les réseaux professionnels et autres institutions se multiplient pour pallier ces disparités et accompagner au mieux les femmes dans leur ambition entrepreneuriale.
Ni jeune, ni parisienne
Parlons peu, parlons bien : qui sont ces entrepreneuses ? 60 % sont d’anciennes salariées et leur âge moyen en France est de 43 ans. Si l’on a tendance à penser que la catégorie jeune pousse n’est réservée qu’aux 25-30 ans fraîchement sorties d’une école de commerce, que nenni ! En revanche, force est de constater que 90 % de l’échantillon (810 femmes en France) ont fait des études supérieures (de 2e et 3e cycles universitaires). Et pour l’âge moyen de leur entreprise, il est de 9 ans! Des entreprises pérennes, donc, qui ont surmonté l’épreuve des trois délicates et décisives premières années. En termes de répartition territoriale, encore un cliché à abattre : Paris ne concentre pas toutes les ressources entrepreneuriales : seulement 28% d’entre elles sont basées en Ile-de-France.
Pourquoi avoir choisi de se lancer dans la création d’une entreprise? Pour se sentir plus autonomes (46%), donner plus de sens à leur vie (28%), trouver un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle (22%), mettre à profit leurs compétences (20%) et enfin gagner plus d’argent, oui… mais pour 11% seulement! Un chiffre qui justifie sûrement cette trop ressassée supputation normalisée associant carrière et réussite financière : les femmes ont moins d’ambition que les hommes. Un aspect financier qui est aussi le premier frein sur la ligne de départ de ces femmes puisque 37% déclarent avoir eu peur de ne pas dégager assez de revenus, et 30% peur de l’échec financier pour l’entreprise; viennent ensuite et loin derrière la peur de l’inconnu, ainsi que le manque de confiance en soi et en ses compétences (environ 15 % pour chacun de ces items).
Mais sans soutien, ni réseau…
En outre, ces entrepreneuses ont la forte volonté de gérer elles-mêmes la fondation de « leur » empire de A à Z, tenant même à le financer avec leurs propres économies pour 8 sur 10 d’entre elles. Une situation qui n’est pourtant pas universelle : « Dans les pays émergents, la situation s’inverse. Les femmes n’ont pas le choix car la pauvreté règne, et entreprendre devient une question de survie pour nourrir sa famille. Elles font donc aisément appel à des associations et organismes de financement. Le rapport à l’entrepreneuriat est donc extrêmement guidé par la fonction de nécessité, comme Maslow la définit », explique Céline Mas.
Quant à l’utilisation d’un réseau professionnel d’accompagnement sur tous les plans, ce même besoin d’avoir le contrôle leur nuit : 73% ne font pas partie d’un réseau féminin et 53% n’ont aucun réseau quel qu’il soit. D’une manière générale, les relations professionnelles des femmes entrepreneuses s’arrêtent à 50 personnes alors que celles des hommes grimpent à 72. Une étude, réalisée par le même cabinet en 2017, relevait que 45% des femmes restaient dans l’opérationnel contre 35% des hommes, qui eux ont plus de facilité à déléguer. De même, un rapport émis par Harvard souligne que les femmes entrepreneuses misent davantage sur les compétences (80%) que sur l’ambition (20%). Un substrat culturel important qui influence directement leur comportement.
Ce réseau professionnel est pourtant, selon Céline Mas, une nécessité pour avancer. De par l’histoire et la part belle faite au patriarcat, les femmes accumulent les problématiques. « En effet, elles n’ont pas un seul problème, mais plusieurs qui peuvent les contraindre à renoncer, ou tout du moins à douter de leur légitimité. Prenons l’exemple d’une femme, noire, vivant loin d’un centre urbain, sans réseau, sans études supérieures au compteur et peu d’économies : voilà six couches de difficultés à franchir ». C’est là que le réseau professionnel est fondamental. Rencontrer les bonnes personnes, faire valoir ses idées, partager ses opinions, valider ses projets, se confronter aussi aux questions de l’autre, devoir convaincre des interlocuteurs dubitatifs… sont autant de chances à saisir pour aller dans le bon sens.
La confiance comme moteur
C’est ainsi, on le comprend clairement, qu’accompagner les femmes dans leurs projets professionnels est une nécessité. Dans la même veine que BNP Paribas, La Fondation Entreprendre, avec le soutien d’AXA France, démarre le 24 septembre 2019 la nouvelle édition du MOOC « Des Elles pour financer son entreprise ». Un MOOC qui, depuis sa création en mai 2017, a déjà fédéré une communauté de 3 500 femmes entrepreneuses engagées autour et pour l’entrepreneuriat au féminin.
Et si la fibre entrepreneuriale vous démange, sachez que 82% de vos futures consœurs ont confiance dans l’avenir, et qu’elles sont 40 % à avoir donné comme seul et unique conseil de « franchir le pas ». Audace et passion sont bien les maîtres mots de ces professionnelles en ébullition.
Cet article est tiré de la Revue INfluencia n°28 : « Femmes : Engagées ». Cliquez sur la photo ci-dessous pour découvrir sa version digitale. Et par là pour vous abonner.