16 avril 2019

Temps de lecture : 4 min

Gilet jaune, Lagerfeld et Chanel – même combat ?

A l’ère de l’ultra connexion le design est partout, tout le temps et nous touche tous. Et si les mouvements populaires et les marques utilisaient – sans le savoir - les mêmes leviers du design digital pour être vus, reconnus, préférés, achetés et… recommandés ?

A l’ère de l’ultra connexion le design est partout, tout le temps et nous touche tous. Et si les mouvements populaires et les marques utilisaient – sans le savoir – les mêmes leviers du design digital pour être vus, reconnus, préférés, achetés et… recommandés ?

« C’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien, mais ça peut vous sauver la vie ». En 2008, le regretté Karl Lagerfeld prenait la pause et prêtait son image de dandy chic à une campagne de la Sécurité Routière. L’élégant directeur artistique de la maison Chanel jouait les contrastes et le décalage esthétique en posant avec fierté au bord d’une route, revêtu d’un ordinaire gilet de sécurité jaune… Comment cet anodin accessoire de sécurité est-il devenu symbole mondial de la contestation du peuple au même titre que le créateur est devenu icône du style Chanel et pape de l’élite créative ? Gilet-jaune, Lagerfeld et Chanel, même combat ? Précisons, que je ne me risquerai pas sur les terres de l’analyse politique ou sociologique, car ce n’est ni ma volonté – à chacun ses convictions – et encore moins mon métier ! Alors parlons design. Seulement design. Et bien entendu design digital !

La couleur : un puissant marqueur collectif

Revenons aux fondamentaux du design de marque. Premier ingrédient identitaire : la couleur ! Que serait Nivea sans son bleu, Coca-Cola sans son rouge, Karl et Chanel sans leur Noir… et évidemment notre gilet jaune sans son Jaune ?! La couleur est un marqueur visuel fort, elle est avant tout un levier de reconnaissance extrêmement puissant. Car elle joue avec nos nerfs (au propre comme au figuré) et notre système cognitif. Depuis toujours elle est un langage que les communautés se sont approprié pour justement « marquer » leur appartenance à un collectif. Ecclésiastiques, militaires, membres du service public (agents SNCF, Air France, La Poste) l’ont bien compris. L’histoire ne manque pas d’exemples : du rouge des grandes dictatures – toutes extrêmes politiques confondues – au bleu des rois ! Tous disposent d’un signal visuel fort, devenu propriétaire à force de répétition.

Coca c’est rouge !

Impossible en effet d’omettre l’importance de la répétition des mêmes ingrédients visuels dans le processus de mémorisation. Notons pour exemple que Coca-Zero initialement tout de noir vêtu (comme Karl) s’est offert une cure de rouge depuis peu… parce que Coca c’est rouge ! Enjoy ! Et tant qu’à se payer un coup de rouge, souvenons-nous du bonnet phrygien de la révolution française – pour l’anecdote, ce bonnet était porté par les esclaves affranchis dans l’Empire romain. Bonnet rouge qui sera d’ailleurs repris comme symbole d’un mouvement contestataire breton en 2013 sus nommé « mouvement des bonnets rouges » ! Le Commandant Cousteau, modèle de personal branding aurait sûrement adoré… L’Ukraine et sa « révolution orange » de novembre 2004, ne se sont pas privées non plus de ce puissant facteur identitaire. La marque de téléphonie française éponyme aura d’ailleurs été encore plus loin en faisant de cette couleur le nom de sa marque ( Bravo à ses juristes !).

Hisser les couleurs !

La couleur est donc un élément déterminant de la structuration d’un collectif, un marqueur fort de la communauté ! L’armée parle bien de « hisser les couleurs », lors de la cérémonie de lever du drapeau. Rituel pendant lequel la troupe se rassemble autour de l’étendard commun… Tiens ! Tiens ! Ne serait-ce pas un logo ? N’oublions pas, Sapiens et ses différentes déclinaisons qui n’hésitent pas à se qualifier en gamme de couleur : les blancs, les noirs… Quand je vous parle de communauté !

Gilet Jaune, Karl Lagerfeld et Chanel ? La collision des symboles

Que serait une communauté sans liturgie partagée, sans langages fédérateurs, autrement dit sans symboles communs ? Mais, qu’est-ce qu’un symbole ?
Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) nous précise que dans l’antiquité, un symbole était un « signe, objet matériel ou formule, servant de marque de reconnaissance entre initiés ».
 Nous voilà donc au cœur d’un monde d’initiés qui partage valeurs et postures au monde et qui le fait savoir en le marquant visuellement. Le peuple contestataire d’un côté et son gilet jaune ; l’élite du luxe de l’autre avec son double C Chanel en pendentif. Avec le pillage et la destruction de grandes enseignes de l’avenue des Champs-Élysées… ce sont bien deux symboles qui sont entrés en collision !

Top jaune fluo, sans manche ni fermeture

Soyons sérieux, impossible d’imaginer la maison de haute couture parisienne éditer un petit « top jaune fluo, sans manche ni fermeture » qui serait fièrement orné de l’emblématique logotype Chanel » ! Quoi que… quand on sait que le prix moyen de l’accessoire de sécurité originel a augmenté en moyenne de 22 % en quelques semaines… L’incroyable accélération et le nécessaire changement d’état du design ! Quand la saga Chanel débute en 1910 et qu’il faudra plusieurs décennies pour installer une communauté autour de la marque, c’est en quelques clics sur les réseaux sociaux que le mouvement des gilets jaunes s’identifie et fédère son collectif.

Au même titre que Karl Lagerfeld forgea sa légende années après années, c’est en quelques jours que les gilets jaunes s’approprient les réseaux sociaux pour être vus, reconnus, préférés… et recommandés ! Né en France en Novembre 2017, le mouvement a déjà essaimé en Belgique, Royaume-Uni, Allemagne, Bulgarie, Croatie et a même dépassé les frontières de l’Europe – Afrique du Sud, Algérie, Australie ou encore Canada ont vu apparaître leur communauté de Gilets Jaunes. Internet n’a pas de frontière et quelques millisecondes nous séparent du reste de l’humanité. Quelle marque ne rêverait pas d’une notoriété internationale si rapide… et si peu coûteuse ?

Avec le digital tout s’accélère car la puissance d’un symbole, d’une marque est désormais corrélée à la puissance sociale non seulement de ceux qui la font mais aussi de ceux qui la vivent… et la partage ! Les marqueurs visuels deviennent encore plus stratégiques pour exister sur ces nouveaux canaux de distribution de l’information. Leur lisibilité est le facteur clé de succès de reconnaissance et de mémorisation ; aussi simple qu’un gilet jaune, aussi lisible qu’un double C ou aussi unique qu’un catogan associé à une paire de lunettes de soleil !

Design à l’état liquide

Le design doit désormais changer d’état et se distribuer par capillarité sur tous les nouveaux canaux de l’information que lui offre le digital. Il doit passer d’un état « solide », c’est à dire incarné dans des objets, des logotypes immuables, à un état « liquide » qui lui permettra de se diluer dans l’immensité du digital afin d’atteindre le Nirvana de l’état « gazeux ». L’état du souvenir, du partout, tout le temps dans les mémoires… Et peu importe sa couleur !

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