Il est désormais entendu que le genre est une affaire culturelle avant tout. Ce ne fut pas toujours le cas. Retour bienvenu sur quelques liquidateurs de clichés mal venus. Que les marques ont tôt fait de s’accaparer, pour faire bien dans la vitrine ?
Longtemps confondu avec le sexe ou la sexualité, le genre est un sujet d’étude qui passionne et bouleverse les codes établis d’un système économique, politique et mondial fondé sur la binarité. Des rôles, des attributs (codes, styles, couleurs…) à adopter pour s’identifier. Ici, pas vraiment de place à l’entre-deux -relégué en marge. Et si le féminin et le masculin sont profondément enracinés comme deux catégories opposées, le biologique n’a rien à faire dans cette conversation. Des constructions sociales et des normes que les nouvelles générations et les marques semblent bien déterminées à démanteler. Car comme le disait Judith Butler, philosophe américaine et figure majeure de la théorie du genre, « nous avons besoin de normes pour que le monde fonctionne, mais nous pouvons chercher des normes qui nous conviennent mieux ».
C’est dans les années 1950, en France, que Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir met le feu aux poudres. L’amorce du second tome « On ne naît pas femme, on le devient » provoque et met en branle le questionnement sur le « genre » -qui ne trouvera ni repos ni réponse.
Ce ne sont que les prémices. Dans les années 1970, le militantisme féministe de la troisième vague va continuer de remuer et interroger les certitudes sur le genre. « En 1972, Ann Oakley, sociologue, féministe et écrivaine britannique, explique que masculinité et féminité ne sont pas des substances « naturelles » inhérentes à l’individu, mais des attributs psychologiques et culturels, fruits d’un processus social au cours duquel l’individu acquiert les caractéristiques du masculin ou (et) du féminin », explique Sam Bourcier, lui-même sociologue, activiste trans et auteur de nombreux ouvrages sur la théorie queer, les subcultures sexuelles et les minorités.
Féminisme et gender studies
Le concept s’étoffe au fil des luttes féministes et se muscle notamment avec la naissance des gender studies, dans les années 1970 aux État-Unis – un domaine de recherche pluridisciplinaire traitant du sujet sous tous ses aspects : performativité, politiques de la représentation, naturalisation du sexe, etc. Parmi les figures de proue, on notera évidemment Judith Butler, qui définit le genre comme « la stylisation répétée des corps, comme une désignation intellectuelle ou culturelle du soi », et l’historienne Joan W. Scott, mais encore les penseurs et militants français Monique Wittig, Jacques Derrida, Michel Foucault, Jacques Lacan, Roland Barthes, Françoise Héritier, qui avec bien d’autres mettent à mal les schémas normatifs assujettissant les individus et les privant d’une réelle liberté identitaire.
En 2019, la question du genre a pris ses aises, et la déconstruction des normes a fait son chemin. Puisqu’il y a genre, il y a aussi a-genre et identités plurielles. Dans une culture détonante qui pense convergence des luttes et consomm’action, où l’on tweete plus que l’on se parle, où l’image et sa maîtrise sont à la portée de tous les pouces, l’accès à la technologie révolutionne la démocratisation des luttes féministes, et la conscientisation de la question du genre et ses problématiques quotidiennes.
On s’investit, on montre et on dit tout, on brandit des hashtags et on lève des fonds, on se bat contre des politiques de censure et un shaming ambiant qui puise ses forces dans l’assujettissement d’un soi-disant « second sexe » – bien propice à un maintien du pouvoir par l’autre moitié du genre. Les prises de parole se multiplient, toutes notoriétés confondues, et le voile brumeux flottant sur un système patriarcal binaire se lève pour les non-initiés, venant renforcer le discours de ceux qui depuis un siècle déjà s’y attellent.
La société infiltrée
Voilà pour le combat des idées, universitaire et sociétal. Heureusement, le mouvement est poreux : pour l’entreprise, dire non à la Woman Tax (marketing genré infligeant un prix plus élevé aux femmes qu’aux hommes à produit ou service identique), non à l’absurdité des catégories de genre qui emprisonnent, oui à toutes les identités… c’est bien. Matérialiser son engagement c’est mieux. On assiste ainsi à l’émergence de produits, collections et magasins a-genre, « no gender », comme étendard de leur investissement dans une société plus égalitaire.
Cet article a été tiré du numéro 28 de la revue INfluencia : « Femmes : Engagées ». cliquez sur la photo ci-dessous pour la consulter. Et pour vous y abonner, c’est par ici.