Une dizaine de jours après le début de leur insurgence tonitruante symbolisée par un affichage sauvage dans les rues de Paris de verbatims aussi choquants que parlants, le collectif engagé des Lionnes poursuit son action en proposant « le OFF de Cannes » sur la 66ème édition des Cannes Lions. Un programme aux petits oignons pour démanteler un sexisme publicitaire intolérable. Entretien avec Christelle Delarue.
Comme une invasion en terre sacrée, les Lionnes débarquent sur la croisette cannoise où le tout créatif se rejoint chaque année pour une nouvelle édition des Cannes Lions. Qui dit Festival international de la créativité dit multitude d’agences, de créatifs, de campagnes, d’innovation, mais aussi de mauvais Lions.
« Rugir sans rougir », voilà le motto de ses 280 femmes, bien décidées à mettre un terme aux injonctions sexistes auxquelles elles font face en milieu professionnel. Parmi les Lionnes actuelles, 70 ont été victimes d’harcèlement sexiste et/ou sexuel. À Cannes cette semaine, elles sont une vingtaine. Et plus de 50 dans le monde à travailler sur l’organisation du « OFF » : conférences, talks, et surtout une remise de Lionnes pour récompenser les agences et campagnes qui s’engagent contre le sexisme. À leur tête, Christelle Delarue, également fondatrice de la premiere agence de pub féministe Mad&Women. Rencontre.
IN : quel est le plan d’action des Lionnes pour assainir le milieu publicitaire et lui faire adopter les valeurs qu’il vend si bien en campagnes ?
Christelle Delarue : nos avons divisé notre plan d’action en trois piliers :
La protection et défense des femmes qui passe notamment par la création de cellules psychologiques pour les victimes, l’engagement du Barreau de Versailles, la mise en place de 9 engagements* présentés à l’AACC etc.
La resistance collective en action avec notamment l’affichage sauvage du 5 juin, mais aussi les diverses conférences, et interventions.
Enfin, un rugissement sans précédent sur les Cannes Lions, aka la quintessence de la créativité mondiale avec le « Off de Cannes » pour établir un diagnostic strict de la réalité de la situation et pointer du doigt les bons comme les mauvais élèves.
IN : cette résistance collective a pour ambition d’assainir l’industrie en tapant fort. Vous protégez les noms des victimes, pourquoi protéger ceux des « prédateurs » ?
C.D. : on a pu donner des noms au moment de l’enquête réalisée par Le Monde mais quand bien même les Lionnes sont une grande cause nationale, nous ne peuvons pas agir au delà de la loi, les plaintes doivent aboutir en dehors de notre périmètre. Nous sommes là pour faire entendre les voix et faciliter un chemin personnel, en jouant notamment sur l’écosystème digital sans pour autant nous résoudre à être un tribunal médiatique. Il faut aussi que les agences qui couvrent les prédateurs se réveillent.
Si il y a un effet des Lionnes à constater, c’est principalement son action sororale plus que son incrimination de malfaiteurs. Des femmes fières malgré leurs blessures, porte paroles d’un changement.
IN : quelle stratégie dans le choix de cette date pour lancer votre campagne d’affichage sauvage ?
C.D. : il nous fallait sortir des clichés, aller au vrai, et le pantone de discriminations sexistes est vaste. Et puisque la loi n’agit pas sur toutes ces injonctions lancées à la volée, il y a donc un travail d’introspection nécessaire, que nous avons mis en lumière via ces affiches.
IN : des retours des agences visées suite à cette premiere vague d’affichage ?
C.D. : nous sommes vraiment soutenues, aussi bien par des agences qui on vu les affichages, que par celles dans le déni de leur responsabilité, et celles officiellement incriminées. C’est ici toute l’ambivalence d’être, aux yeux des agences, aussi bien une menace qu’une opportunité de montrer patte blanche.
IN : que pouvez-vous nous dire sur le OFF Cannes ? Quelles offensives et quelles intentions au programme ?
C.D. : en lançant dans la nuit du 5 au 6 juin la campagne d’affichage et la plateforme de témoignage anonyme, on s’est rendu compte que les situations de harcèlement sont constantes, les dernières reçues datent d’hier. Il importait vraiment aux Lionnes de donner de la voix et du sens sur la situation réelle et sérieuse.
Puisque l’on prêche un réveil publicitaire mondial, investir le festival international de la créativité est une évidence. On ne peut pas responsabiliser un discours externe tant qu’il n’ya pas dl’analyse en interne faite au préalable. On ne peut pas assister à un Cannes Lions post #meetoo sans prendre en compte les discriminations sexistes, d’où notre intention d’e faire ici la promotion des femmes dans l’industrie publicitaire en proposant notre propre remise de prix : les Lionnes d’or, d’argent, et de bronze, tous les soirs sur le site des Lionnes à 21h. Des prix remis à des campagnes non sexistes, proposant une réelle parité de la fiche technique au Comex, et mettant en avant les talents féminins.
IN : les critères pour obtenir une de ces récompenses ?
C.D. : -Lionne d’Or : pas de soupçon de sexisme + une fiche technique paritaire + une femme à la direction de création + un Comex d’agence totalement paritaire
-Lionne d’Argent : pas de soupçon de sexisme + une fiche technique paritaire + une femme à la direction de création
-Lionne de Bronze : pas de soupçon de sexisme + une fiche technique paritaire
Mais aussi, des mentions spéciales pour les rôles de réalisatrices, photographes et productrices
Plus les critères d’excellence sont hauts, plus on isole les bonnes élèves et on stimule les autres.
IN : et après ? Au delà de Cannes et aux vues de l’ampleur du collectif (plus de 200 femmes), y-a-til déjà d’autres actions / événements / formats de sensibilisation prévus ?
Les Lionnes s’ouvriront prochainement de manière officielle à l’international, avec plusieurs marchés intéressés, une coordination on going, des rendez-vous à la rentrée sur les assises des Lionnes de l’égalité à Paris, le tout en vidéoconférence avec plusieurs pays bien évidemment. Il est aussi prévu de délivrer un panorama statistique du marché, de nombreux travaux de recherches et d’analyses étant actuellement en cours.
En se rapprochant et en collaborant avec de nombreux collectifs comme 50-50 ou free the bee, on découvre un militantisme engagé qui se veut de plus en plus diffus, médiatisable, sororal et fort, là où jusqu’il y a peu, le terme militant et féministe était encore trop souvent synonyme d’actions radicales seulement, c’est donc très encourageant pour le futur.
*Les 9 Engagements des Lionnes pour l’AACC
– La promotion et valorisation de pratique égalitaires et clients vertueux
– Tenir des engagements sociaux responsables
– Une procédure claire et automatique vis à vis des collaborateurs incriminés
– Mettre en place une culture de légalité dans chaque département
– Délivrer des travaux mixtes et paritaires – Des salariés éclairés quant à leurs droits
– Tenir des engagements publiques sur l’égalité
– Proposer de nouveaux deal publicitaires pour atteindre légalité
– Des manager formés à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles