Cannes Lions jour 4 : une 66ème édition de campagnes, de créativité, d’innovation, d’audace, et de virtuosité et tout ce que vous voudrez, le tout alimenté par des rencontres et conférences promettant inspiration et conversation. Alors que la foule se meut devant cette ébullition créative et que les Lions tombent un à un, la rédaction a voulu s’attarder sur l’aspect stratégique de toutes ces idées folles après lesquelles les marques courent pour mieux parler, vendre et engager leurs cibles. Interview.
Si le mot création est cette semaine à l’honneur, la stratégie et le bon insight en sont la condition ! Sur la croisette cannoise -trois mois après la première édition des CPS Awards récompensant pour la première fois le planning stratégique dans toute sa diversité et son efficacité- rencontre avec Sébastien Genty, fondateur du Collectif du Planning Stratégique et Directeur Général en charge des Stratégies chez DDB°Paris.
IN : rapide topo de la stratégie cette année sur les Cannes Lions, quelles tendances majeures à retenir ?
Sébastien Genty : la tendance du « Do Good » est massivement présente et continue de marquer son temps. Quelles que soient les marques, il y a une volonté globale de se rendre utile, d’avoir de l’impact et donner une valeur forte à la consommation. Et si cela fait déjà depuis un moment, cette percée ne tarit pas et s’accentue même avec la portée politique des initiatives mises en place, comme le projet d’entreprise à mission par exemple qui pourrait bien amplifier la tendance.
La valeur d’engagement des marques est une vérité très anglo-saxonne à la base, mais la compréhension de l’impact des marques est désormais presque universel. En France, les entreprises ont très bien compris l’enjeu et la puissance de leur portée, et l’importance d’analyse du contexte de consommation sur les comportements et la morale des citoyens et de la vie politique.
Ainsi, on voit des marques comme Nordstrom et sa campagne « An open mind is the best look » ou Leroy Merlin en Italie qui propose des cours de bricolage au service d’associations caritatives. Autant d’initiatives privées pour servir le public.
Aussi, l’entertainment continue de gagner du terrain dans les grands axes stratégiques publicitaires avec un volonté forte de s’intégrer dans la pop culture pour mieux toucher les consommateurs.
IN : le poids des mots, le choix des bons. On remarque une utilisation massive voire abusive des termes engagement, responsabilité, authenticité : des valeurs devenues presque gimmicks dont le sens s’étiole. Qu’en pensez-vous ?
S.G. : à mon sens, ces termes ne perdent leur valeur que lorsqu’ils sont mal utilisés, et si l’engagement, quel qu’il soit, n’a aucun lien avec l’utilité de marque et n’est pas au coeur de sa stratégie globale. C’est donc l’usage qui définit son sens. Aujourd’hui on remarque que les valeurs de sens et d’utilité publique remontent très haut dans les discussions des boards d’entreprise notamment. Et si certaines marques en abusent, je ne suis pas sûr que cela touche celles qui savent en faire bon usage. Volvo par exemple et son engagement de sécurité est encré dans son ADN depuis toujours et fait sens. Les consommateurs actuels ne sont pas dupes et savent flairer, tout comme dénoncer le greenwashing. L’engagement n’est pas une nécessité en soi, c’est le sujet exact de l’engagement, sa durée et ses actes qui en font sa force.
IN : quels sont selon vous les virages à prendre en termes de stratégie pour une créativité effective et efficace ?
S.G. : il y a quelque chose de fondamental auquel je crois depuis longtemps et qui se voit de plus en plus reconnu : le long terme. Une ligne de conduite stratégique qui s’est vue théorisée avec brio par Byron Sharp, Les Binet & Peter Field dans des travaux massifs mettant en evidence avec faits et chiffres ce que l’on pensait tous depuis un long moment. L’idée est de dépasser la dictature du court terme : une nécessité qui rejoint d’ailleurs la tendance du « Do Good ».
À Cannes cette année, on a meme eu le droit à une sous catégorie « Long term strategy » qui reflète bien l’importance de cette démarche. Notre société de consommation est tellement obsédée par de la nouveauté que l’on oublie le caractère essentiel et efficace de la répétition. En termes économiques, on constate aussi la valeur financière majeure de l’utilisation du long terme dans les prises de parole . Utilisé seul, le court terme représente des coûts très importants pour une efficacité moindre.
Il faut dont créer de l’émotion, cibler large, répéter. Et si cela ennuie les cerveaux en ébullition créative, il faut se rappeler de l’impact que cela a. Aussi, il faut bien comprendre la différence entre l’efficience (propre au court terme) et et l’efficacité (accessible sur des stratégies de long terme. A en croire les travaux de Les Binet & Peter Field, il faut donc tabler sur une répartition de 60% de long terme, 40% de court terme pour un mariage heureux. Car bien sûr, l’activation est aussi importante, mais se fonde sur un contenu du marque. Et sans terreau commun d’emotion, de faits de marque et bases solides fertilisées par le long terme, l’activation n’a pas de sens.
IN : autre sujet, l’égalité ! Scandales à gogo et rugissement des Lionnes sur le festival, un mot à dire sur les attitudes à adopter par les marques sur cet aspect ?
S.G. : il va sans dire que la mise en lumière de ces comportements est saine et essentielle. L’industrie publicitaire est à la traîne alors même que son rôle est prépondérant dans l’influence des comportements citoyens : nous créons des images, diffusons des idées et définissons les tendances de consommation. Il est donc primordial d’agir, non seulement en tant que fabricant de ces idées communes, mais aussi en tant qu’entreprise.
Il faut donc d’une part instaurer une vigilance et considération particulière des injonctions invisbilisés, et ensuite pourquoi pas s’investir de manière plus publique via des prises de paroles et d’engagements, selon la légitimité de marque face au sujet. Chez Nike par exemple, là où le positionnement de marque s’attache au dépassement de soi, de l’individu, l’engagement féministe est cohérent. La légitimité n’est pas directe mais pourtant intimement liée.
En interne, il faut aussi bien évidemment sensibiliser et responsabiliser, en créant des cellules dédiées par exemple ou en mettant en place de nouvelles initiatives. Chez DDB par exemple nous avons depuis 2014 Omniwomen : une initiative du groupe avec plusieurs réunions annuelles permettant d’adapter nos pratiques d’entreprise et d’instiller des prises de conscience collectives. Lors de la dernière réunion, Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, aussi autrice de « La vie en rose, pour en découdre avec les stéréotypes », mettait le doigt sur ce qu’elle qualifie de « cercle des impuissances apprises » : ces éléments intégrés, intériorisés autant par les femmes que les hommes dont il faut se défaire. Un concept qui ne date pas d’aujourd’hui mais qu’il faut répéter pour mieux l’intégrer.
IN : en toute objectivité, vos coups de coeurs en terme de campagnes primées ou passées à la trappe ?
S.G. : un coup de coeur évident pour « An open mind is the best look » de Nordstrom. Un excellent travail sur tous les aspects, de l’idée à la réalisation. Ensuite, la campagne « Truth » du New York Time est à mon sens imparable, tout y est. C’est d’ailleurs un bel exemple de logique de long terme : tourner autour d’un mot en variant les insights pour vendre, in fine, une seule même au fil des campagne. Un travail massif, mêlant one-to-one et long terme pour une campagne que l’on peut qualifier d’acte socioculturel. On attend très certainement « Truth is local » sur la prochaine édition des Cannes Lions.
Chez DDB aussi, je suis très content de nos productions, avec un coup de coeur particulier pour « Le goût de la victoire » d’Amnesty International et UberToys.
IN : un mot sur la prochaine édition des CPS Awards ?
S.G. : cette deuxième édition est très importante et symbolique. C’est le virage qui permet au collectif de s’inscrire dans le temps. Avec une ouverture en septembre des inscriptions, nous souhaitons récolter encore plus de dossiers, et ouvrir les champs des possible en terme de problématiques, avec plus de cas de design ou de pure players digitaux par exemple.
Plus de diversité dans les typologies de cas soumis donc, mais aussi et d’origines d’agence, pour valoriser le travail de tous, sans considération particulière sur la taille ou notoriété des équipes comme le fait très bien Account planning Group (APG) en Angleterre, source d’inspiration majeure dans la création de ce projet.