Face à la standardisation accélérée des festivals musicaux à travers le monde, Boiler Room casse, une nouvelle fois, les codes pour proposer un modèle rafraichissant. Au programme de leur futur première édition, aucune têtes d’affiche, on vient y célébrer la musique elle-même. Ou comment ouvrir une nouvelle voie tout en proposant une plate-forme d’expression valorisante pour les marques. Hey Dj, keep playin that song.
Après une dizaine d’années d’événements épisodiques organisés au quatre coins de la planète, Boiler Room se sédentarise. La célèbre plateforme de streaming musical a annoncé en avril dernier le lancement de son premier festival, sobrement intitulé Boiler Room Festival. Derrière un pari -déjà ?- gagnant pour la marque anglaise, au vu de son prestige sur la scène musicale actuelle et de son immense réservoir d’audience -l’évènement étant bien sûr retransmis par ses soins sur internet- se cache un concept évocateur : « No Headliners », pas de tête d’affiche. Un choix totalement cohérent avec la ligne éditoriale mise en place dès les débuts, à savoir offrir un terrain d’expression aux nouveaux talents. Et même une manière de rappeler qu’elle n’a pas besoin de grandes têtes d’affiche pour attirer les foules.
Finis les opérations de com. millimétrées sur les réseaux sociaux pour annoncer les artistes au compte goutte. Du mercredi 9 au samedi 12 octobre, 20 000 personnes sont attendues au pôle créatif de Copeland Park à Londres pour s’ambiancer au rythme d’un line-up varié et inclusif. Chacun des quatre jours du festival sera consacré à un genre musical : jazz le premier jour, puis rap, bass music -dubstep, jungle, UK garage, dancehall- et enfin club music -techno et house-.
« Avec notre tout premier festival Boiler Room, nous voulions représenter certains des mouvements musicaux et scènes underground les plus excitants du moment au Royaume-Uni et fournir aux DJ’s, artistes et collectifs émergents la plus grande scène possible », conclue le directeur général de la chaîne, Blase Bellville.
Marketing affuté pour communautés jamais rassasiées
La saison des festivals bat son plein. En 2018, plus de 7 millions de français s’étaient succédés sur les 1887 festivals comptabilisés par la Sacem. Une audience qui aura donc grimpé de 4,5% en un an pour arriver au chiffre symbolique d’un Français sur 10. Des communautés fédérées que de nombreuses marques s’aiment à câliner par des opérations marketing de plus en plus dantesques. La dernière édition de Coachella avait vu la marque de prêt à porter Revolve appliquer une savante recette de marketing d’influence. En l’occurence une immense villa privatisée à Palm Springs ou s’étaient succédés en concert les chanteurs les plus bankables et au bord de la piscine les célébrités les plus influentes pour faire trempette. Grâce à ce dispositif expérientiel qualitatif, la marque a réussi à générer plus de 3 milliards d’impressions avec seulement 6000 utilisations du hashtag #RevolveFestival. Une opération séduction des influenceurs ultra-maîtrisée et à qui la marque attribue plus de 70% de son chiffre d’affaires, soit 700 millions de dollars. Ou comment créer un mini-festival au coeur du show le plus médiatisé de la planète.
Des partenariats lucratifs que les organisateurs accueillent à bras ouverts afin de lutter contre un problème de taille : l’explosion des cachets des artistes. et la baisse des subventions publiques. Pour rentabiliser leurs prix de plus en plus exorbitants et pérenniser leurs évènements, les organisateurs n’ont d’autres choix que de les brander jusqu’à la moelle -que l’on parle d’opérations de mécénat, de sponsoring ou de naming. Une situation d’autant plus inquiétante que le montant des subventions publiques ne cesse de baisser. Selon les chiffres du CNV -le Centre National de la chanson des Variétés et du jazz-, en 2016, le budget total d’un festival de musiques actuelles s’élevait en moyenne à 2 886 721 €, en hausse de 10 % par rapport à l’année précédente. Résultat : bon nombre de petits festivals menacent de disparaitre, tandis que les plus gros sont les seuls à avoir les moyens financiers suffisants pour sortir la tête de l’eau. Au total, ce sont 143 structures -lieux et événements-, toutes disciplines confondues, qui ont mis la clé sous la porte depuis mars 2014. Une logique qui entraine logiquement une standardisation des évènements. Comme souvent, l’intérêt financier finit par écraser l’intérêt artistique.
Rester positif
Pourtant, le Boiler Room Festival prouve qu’on ne peut qu’espérer un renouveau du modèle dominant, l’initiative londonienne étant -on l’espère- bien plus qu’une simple pierre posée dans l’immense édifice des festivals estivaux. Pernot Ricard l’a bien compris en s’y associant pour mettre en lumière la musique elle-même en lieu et place d’une communication d’entreprise aseptisée. À travers quatre de ses marques iconiques -Jameson, Beefeater Gin, Ballantine’s et Absolut Vodka- la marque française proposera à tous les festivaliers présents à Copeland Park une série d’évènements interactifs qui raconteront l’histoire des 4 genres musicaux mis en lumière. Exactement comme pour la plateforme 4:3 lancé par Boiler Room, dont nous vous avons parlé en mai 2018, la marque se met au service des artistes et non l’inverse.
En aout 2018, Jan Goosens, directeur du festival de Marseille, avait signé une tribune dans Libération dans laquelle il appelait à une réinvention de nos festivals bien aimés. Le dramaturge expliquait alors que « forts de leur riche histoire, de leur énorme visibilité médiatique et de leurs larges publics, de nombreux festivals européens pourraient se révéler sous un angle artistiquement et politiquement plus courageux, indiscipliné, et réellement novateur. Ils pourraient redevenir de réels moteurs avant-gardistes de la création artistique et de l’émancipation citoyenne ». Restons positifs Jan, le meilleur est -surement- à venir…