Et une figure politique de plus qui cède à la tentation narcissique du selfie décontracté ! Le candidat s’appelle cette fois Éric Woerth, ancien ministre du Budget et député LR. Dans un tweet posté jeudi 12 août, l’élu se montrait en tenue d’alpiniste chevronné entrain d’escalader la paroi glacée de l’aiguille d’Argentière, un des plus importants sommets du massif du Mont-Blanc. Sauf qu’à vouloir célébrer son exploit sportif, Éric Woerth s’est surtout retrouvé avec une cohorte de moqueries le soupçonnant de photo truquée au point de générer ensuite un même hilarant et particulièrement créatif.
Pourquoi ce besoin inextinguible des politiciens de se mettre en scène face au risque de récolter des bordées de vannes préjudiciables à la crédibilité de leur image ? Fièrement agrippé à la paroi, crampons fermement fichés dans la roche, Éric Woerth regarde avec gourmandise le photographe qui l’immortalise en train de faire un remake improbable de « Vertical Limit » ou « Cliffhanger ». Pas peu fier d’avoir vaincu la montagne, l’ancien ministre du Budget partage alors le cliché sur son compte Twitter sans aucune légende, jugeant sans doute que la prouesse parlait d’elle-même. Pas de chance ! A peine le selfie des glaces est-il posté qu’une avalanche de blagues et de suspicions s’abat sur le grimpeur en goguette.
La ficelle « Paris Match » ne fonctionne pas sur les réseaux sociaux
On sait que les politiciens dans leur grande majorité sont plutôt enclins à se montrer. Avant même l’existence des réseaux sociaux, les bulletins municipaux étaient le parangon de cette propension égotique où dans un journal de 32 pages, il n’était pas rare de dénombrer une quarantaine de photos de l’édile dans toutes les situations possibles. Déjà à l’époque, ce type de publication faisait rire sous cape tant l’abus narcissique était patent et décrédibilisait par ricochet le message que la mairie souhaitait envoyer. Malgré les avatars des uns et des autres, d’autres politiques s’essaient à leur tour pour se donner une figure plus proche, plus sportive, plus engagée. Cette « parismatchisation » de la vie politique a donc naturellement trouvé dans les réseaux sociaux, un nouveau canal pour s’exhiber sans retenue, ni réflexion préalable. A la différence près que dans Paris Match (et les magazines du même style), les photos restent globalement confinées dans la revue (exceptée peut-être Nicole Pénicaud, la ministre du Travail photographiée dans les jardins de son ministère en train de faire le flamand rose !).
L’opinion publique décrypte tout !
Pourtant, les exemples de clichés tournés en ridicule alors qu’ils étaient censés favoriser l’impétrant(e), abondent. Dans la galerie des bides les plus retentissants, on peut citer quelques exemples frappants. En tête de liste et loin sur le podium, on se souvient de la photo officielle de François Hollande posant figé dans les jardins de l’Elysée. Alors que les exégètes de la profession glosent sur le sens à accorder à cette photo qui trônera dans 36 000 mairies, les internautes se déchaînent aussitôt. On y voit par exemple le président nouvellement élu entouré d’éléphants ou bien de Men in Black quand il n’est pas flanqué du personnage enfantin de Casimir. Cette propension à tourner en dérision est certes une façon pour certains de conchier les politiques. Mais elle révèle autre chose. Une photo mal faite, pas spontanée et/ou excessive est immédiatement rejetée. Aujourd’hui, l’opinion publique est capable de décrypter une illustration même si elle peut parfois se tromper.
L’implacable « mème » des réseaux sociaux
Sur les réseaux sociaux, le goût pour l’humour potache (voire teinté de vache) ne se dément pas. Il a d’ailleurs engendré et nourri un phénomène bien particulier connu sous le terme angliciste générique de « mème ». Sur le Web, cela se traduit par la reprise d’un élément visuel (une photo, un logo, un émoticône, un GIF, etc) qui est dupliqué à l’infini dans quantité de situations burlesques, décalées et moqueuses. Pour augmenter sa viralité et la participation des internautes, le mème est souvent accompagné d’un hashtag spécifique qui constitue le point de ralliement de celles et ceux qui veulent ajouter à leur tour, leur photomontage rigolard en rapport avec le sujet du moment. Et dans ce domaine, la créativité ne manque pas ! Aucun sujet n’est particulièrement à l’abri de l’irruption d’un mème. Il existe néanmoins une catégorie qui prête particulièrement le flanc tant ses membres aiment s’afficher et se donner une posture de décideur ou de champion sur les réseaux sociaux. Les exemples fourmillent comme celui de Laurent Wauquiez visitant en juin 2018 les débris de la ville ravagée de Mossoul en Irak. Habillé en costume-cravate, on y voit l’ancien n°1 des Républicains posant parmi les ruines d’une ruelle avec un visage sombre et martial et une posture de commandant de guerre. Il n’en fallait pas plus pour déclencher l’hilarité générale. Bien que l’auteur du cliché, le journaliste Bruno Jeudy, s’échine à dire qu’il s’agit d’une prise de vue spontanée et pas une mise en scène arrangée pour la circonstance, rien n’y fait. Le décalage entre la perception globale de Laurent Wauquiez dans l’opinion et celle véhiculée dans la photo de Mossoul, est tellement antinomique qu’il en devient source prolifique de vannes. Avec de surcroît un hashtag qui fait fureur, #PosetonWauquiez, et qui reprend la silhouette de celui-ci dans les situations les délirantes possibles.
#JoueLaCommeBoutin
Dans un registre similaire, la passionaria catholique Christine Boutin a suscité un mème mémorable lors de la Manif pour Tous en mars 2013 contre le mariage gay. En guise de protestations contre l’utilisation de gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre, elle avait alors plus ou moins simulé un évanouissement sur le trottoir sous l’œil des caméras de télévision. Il n’en fallait pas plus pour que les internautes lancent un hashtag #JoueLaCommeBoutin où l’élue allongée est mise à tous les sauces, y compris les plus saugrenues.
Le piège se referme sur Éric Woerth
Autant un simple portrait de soi en train de faire une activité classique peut passer aisément et ne pas engendrer de buzz frénétique, autant une photo induisant un décalage de perception devient un terreau fertile à mème. C’est clairement ce qui est survenu à Éric Woerth en postant cette photo d’escaladeur des cimes alpestres. Cette dernière est d’autant plus surprenante qu’Éric Woerth n’est pas tellement homme à beaucoup se montrer. Tout particulièrement lors de certaines affaires sensibles qui lui ont collé aux basques où il est même aux abonnés absents. Ensuite, il suffit de dérouler la timeline de son profil Twitter pour constater que le contenu publié est très austère entre liens sur les interviews données aux médias et déclarations officielles lors de sessions parlementaires. Dès lors, l’irruption d’un Éric Woerth au milieu de tous ces contenus fort sérieux, détonne et devient immanquable. Seulement, lorsqu’on ne dispose pas d’une culture digitale a minima, on se fait piéger comme un bleu. Au-delà d’être décalée, la photo d’Éric Woerth alpiniste est également du pain bénit pour les internautes qui adorent scruter les petits détails. Or, celle-ci en comporte beaucoup qui interpellent : un cadrage bizarre où l’on hésite entre verticalité et horizontalité, des lanières de veste et de sac qui défient les lois de la gravité, des cordes bizarrement placées et deux personnages en arrière-plan qui semblent marcher normalement. Autant d’indices qui ont aussitôt alimenté une perplexité générale teintée de railleries à l’envi. Éric Woerth a beau s’évertuer à démentir toute falsification photographique. Il est déjà inaudible dans un contexte digital où aujourd’hui, ratiociner et couper les cheveux en quatre sur n’importe quoi est devenu la norme. Et sur ce coup, les médias ont largement embrayé sans trop prendre de pincettes. Autant dire que l’affaire était pliée pour Éric Woerth.
Avoir conscience de son image perçue
Le plus dingue dans cette anecdote est qu’Éric Woerth semble n’avoir pas tordu le cou à la réalité. Le service Check News de Libération s’est en effet livré à un petit travail d’investigation pour essayer de déterminer si pareil cliché était possible ou relevait de l’imposture. Interrogés, les guides de haute montagne sont catégoriques (1) : « L’angle et la lumière, tout est cohérent avec ce qui est posté sur le compte Twitter de Monsieur Woerth. C’est une voie qui est encore parcourue en ce moment, une pente à 45 à 50 degrés, où il vaut mieux en effet se tenir sur les crampons. Tout est normal ». Même son de cloche sur les sites spécialisés en escalade qui ne trouvent rien à redire. Et les commentaires de se multiplier alors pour expliquer que la photo correspond bien à la topographie ce passage de l’Aiguille d’Argentière. Éric Woerth s’empresse aussitôt de rebondir en tweetant le lendemain un message plutôt bien tourné (2) : « L’avalanche (phénomène dangereux en montagne) de commentaires suscités par la publication d’une photo de montagne m’oblige à dire, au risque de décevoir, que cette image est vraie et sans retouche, le sens de la photo est le bon, mais le bon sens est une valeur rare ».
Injuste, mais c’est le lot de toutes les personnalités publiques
De fait, le député LR est un véritable amateur d’alpinisme, sport qu’il pratique régulièrement lorsqu’il est libéré de ses obligations politiques. Pourquoi du coup a-t-il connu le vent tumultueux du mème ? La réponse est relativement simple. En plus de mal connaître les codes sémantiques et les usages des réseaux sociaux, Éric Woerth n’a probablement conscience que sa perception globale dans l’opinion publique le réduit à un politicien plutôt ascète et techno, à mille lieux de l’alpiniste chevronné qu’il peut être en dehors de ses habits parlementaires. Cela peut sembler injuste mais il en est ainsi. Un Nicolas Hulot qui aurait tweeté le même cliché, n’aurait sûrement pas provoqué pareille tempête pour la simple et bonne raison que son image publique est associée aux sports d’extrême. C’est bien souvent pour n’avoir pas assez tenu compte de l’image renvoyée dans le public que les figures politiques se prennent les pieds dans le tapis du mème et des réseaux sociaux.