De nos jours, de nombreuses organisations ne travaillent pas par projet mais par objectif. C‘est en partie à cause de cela que les organisations et les sociétés ont de plus en plus de mal à entrevoir une sortie positive aux crises que nous traversons. Explications.
Crise démographique, crise écologique, crise financière… En effet, si nous ne sommes plus capables de nous projeter dans des solutions alternatives, c’est que la résistance aux changements est trop importante et que, même le pouvoir politique, n’a plus les moyens de mettre en œuvre des actions démontrant la pertinence de tel ou tel programme. Pourtant de très nombreux acteurs de la société civile sont formés au travail de projet avec un objectif très simple : le prototype, le test, la mise en œuvre. Les designers français, quels que soient leurs domaines d’applications du design sont capables d’embrasser des sujets complexes, multi-acteurs, d’identifier des axes de projection crédibles pour le futur, de les modéliser et, grâce à la méthode de pensée systémique inhérente au design, de trouver des solutions permettant de concilier la prospérité, l’écologie et les hommes.
Chaque projet a un début et… une fin
Que nous dessinions des chaises, des lampes, des aspirateurs, des emballages, des boîtes à goûter, des applications, des interfaces, des lieux d’accueil, des espaces de vente, des processus, des organigrammes, nous concevons le travail de création comme un projet fini. Chaque projet a un début – la compréhension et l’observation – et une fin – le test de la solution par ses utilisateurs. Les designers essayent donc toute leur vie de concrétiser des projets en s’interrogeant sur l’ensemble des externalités produites par le projet.
Le design s’inscrit de par son essence dans le futur
Par leurs capacités de représentation du futur grâce aux outils de design fiction (pratique du design qui consiste à explorer les implications d’évolutions futures. Il peut s’agir de futur probable, possible, ou complètement spéculatif, source Wikipedia), les designers constituent des médias simples, pour les entreprises et les organisations, de se projeter dans des solutions partagées, débattues, itérées pour finalement être réalisées. En comparaison de nombreuses études qui dressent des constats sans proposer de solution, le travail de chaque designer est d’imaginer des solutions implémentables rapidement pour validation. Encore faut-il accepter que l’imagination soit le plus puissant outil intellectuel de réponse aux enjeux de l’humanité aujourd’hui.
Développer de nouveaux indicateurs
Beaucoup se posent des questions quant à l’avenir pour le moins incertain de l’humanité. Changement climatique avéré, déploiement de nouvelles technologies intrusives, renforcement des inégalités, populisme et repli des sociétés éclairées, crise énergétique et menace de la biodiversité. Les décideurs politiques ou financiers ont conscience des problèmes qui vont s’aggravant mais n’ont pas appris à y faire face. Ils n’ont pas de méthodologie et pas de réelle capacité de projection et donc d’acceptation du changement. Néanmoins, l’optimisme peut être de rigueur, à la condition de ne pas seulement entrevoir les sociétés comme un ensemble d’entités concurrentes basées seulement sur le capital et le profit. Il faut développer de nouveaux indicateurs, les balbutiements ont déjà lieu avec le projet de loi PACTE en Europe.
Le designer aussi important que l’expert ou l’exploitant
Les discours politiques n’y changeront rien. Les femmes et les hommes qui vivent actuellement dans le monde de l’information sont en attente de démonstration de l’intérêt du changement, de l’impact sur leurs usages et modes de vie, par l’exemple et la projection. Il existe beaucoup de projets positifs, dans l’agriculture, le service à la personne permettant de prouver que nous pouvons faire évoluer notre façon de vivre et de consommer sans pour autant continuer à ponctionner les ressources de la planète de manière excessive. Nombre de ces projets sont des initiatives individuelles, souvent territoriales, et donc peu relayées et peu connues. Il est temps de mettre les designers à pied d’œuvre sur ces sujets. Ils sont aussi importants que l’expert ou l’exploitant car leur vision est systémique et concrète.
Anticiper positivement
Si le postulat actuel perdure et que tous les projets disruptifs se heurtent aux lobbies économiques et industriels, il est alors indispensable de convaincre les multinationales et les responsables politiques du bien-fondé de la démarche, notamment sur le plan économique. Dans l’histoire du monde, de grandes mutations ont bouleversé de manière immuable la répartition du pouvoir et des richesses. Mieux vaut l’anticiper positivement et faire partie des grands inspirateurs du monde en travaillant avec les designers plutôt que rester dans le déni et attendre les grandes échéances climatiques, sociales et financières qui risquent de bousculer l’ordre établi avec la violence et les haines dont les hommes sont capables lorsqu’ils sont en danger. Dans un contexte contemporain complexe, ce que la plupart considère, aujourd’hui, comme des contraintes sont des terrains d’exploration pour l’imagination et la créativité des designers. L’émergence de lobbies positifs autour de plusieurs think tank (Institut des futurs souhaitables, Engage, MakeSense, …) sur l’ensemble du territoire montre que nombreuses sont les personnes qui travaillent sur les sujets de préoccupations partagés, tout autour du monde. Nous savons que certains changements importants vont induire des mouvements de population, il est temps de se poser la question du comment.
Le design accompagne le changement
Comment construire une transition autour de sujet tragique comme l’immigration climatique, la disparition des espèces animales, la montée des eaux ? Quels seront les enjeux et les usages autour de la nutrition, l’agriculture, la santé, les lieux de travail, les logements, l’énergie ? Comment les nouvelles technologies comme l’extension du numérique, le machine learning vont transformer les interactions sociales, les habitudes de travail, nos relations aux médias et à l’information, l’éducation, la formation ? Dans quel but ? Comment se mettre sérieusement et collaborativement au travail autour des peurs actuelles qui sont les terreaux de réémergence du populisme et de l’extrémiste ? Quelles solutions fondamentalement positives existent et comment les mettre à l’échelle de la mondialisation ? Loin de se résigner, les designers contribuent, par la pratique de leur métier, à l’accompagnement du changement des entreprises, de la société civile et politique dans la prise en compte des enjeux environnementaux, technologiques, sociaux pour permettre une activité humaine plus efficace et respectueuse.
Le temps est à l’action…
Cela passe notamment par la préservation des ressources mais également par l’interrogation des croyances autour des notions de progrès ou de développement. Plusieurs projets à impact positif existent comme l’entreprise d’aéroponie Agripolis, les warka water d’Arturo Vittori, le moteur de recherche Ecosia, l’entreprise Pili producteur d’encre biosourcée et biodégradable, Glowee bioluminescence pour éclairage urbain, Qarnot computing chauffage généré par les besoins en puissance de calcul informatique, le Fairphone et bien d’autres. Il y a urgence à collaborer aujourd’hui, à casser les frontières existantes dans la société civile pour permettre à tous les chercheurs, à toutes les entreprises, à toutes les associations, à tous les partis politiques, à toutes les collectivités territoriales, à toutes les écoles et universités, une nécessaire convergence des forces, des envies et des talents dans un objectif de projet, de réalisations de preuves tangibles que nous pouvons, nous designers français, transformer et évoluer en prenant en compte les besoins de chacun.
Le temps n’est plus à la réflexion mais à l’action. Il faut faire pour faire un monde meilleur.