Narines sensibles, s’abstenir… Installé dans un ancien bunker construit entre les deux guerres par l’armée italienne, le Genussbunker (« le bunker du plaisir ») est utilisé pour affiner des fromages. Un projet très tendance…
La route serpente sur les flancs de la montagne. La pente est raide et les roues de la voiture patinent sur le sol gelé. Dans un virage, l’entrée est là. Creusée dans la roche, la porte apparaît à peine. Normal quand on connaît l’origine du lieu… Ce bunker a été creusé après la première guerre mondiale par l’armée italienne. Située dans le sud Tyrol, cette région alpine qui a appartenu à l’Empire d’Autriche de 1814 à 1919 avant d’être annexée par Rome, il a été utilisé pour stocker des armements avant d’être abandonné pendant plus de soixante-dix ans. En 2017, Hubert Stockner a eu l’idée étrange d’utiliser ce lieu pour affiner des fromages. « Après avoir travaillé plusieurs années pour un industriel qui fabriquait des tonnes de fromage chaque jour, j’ai choisi de me mettre à mon compte et de passer du très gros au tout petit, explique cet entrepreneur. J’ai donc demandé à un fermier s’il pouvait me louer ce bunker qui se trouvait sur ses terres ». Ce projet semblait un peu fou. Ce long et large couloir de 200 mètres de long creusé à même la roche était envahi par les eaux. Des pompes ont dû tourner jour et nuit pendant de longues journées et une pelleteuse a été louée pour vider l’eau accumulée pendant des décennies. Avec son humidité de 100% et sa température constante de 10 degrés, le bunker ne semblait pas propice à l’affinage. « Les conditions idéales d’une cave pour le fromage approchent normalement les 80% d’humidité et les 13 à 15 degrés mais j’avais le pressentiment que cet endroit allait me permettre de créer des produits uniques en leur genre », explique Hubert Stockner.
Bons produits stockés dans un bunker
Pendant près de deux ans, l’italien conservera toutes sortes de fromages dans son bunker, qu’il a baptisé le Genussbunker (« le bunker du plaisir »). La plupart n’ont pas supporté le froid ni les infiltrations qui forment des stalactites argentées au-dessus des têtes des visiteurs. Après bien des essais, le self-made man a décidé de concentrer ses efforts sur six variétés différentes : un fromage des montagnes (Bergkäse), un pecorino, un fromage à pâte dure, une pâte semi-dure (Schnittkäse), un bleu au lait de vache et un Bleu de chèvre. « Mon intuition était la bonne, se réjouit-il. L’humidité du bunker donne un caractère extrêmement crémeux à mes fromages que j’achète à des petits fermiers en Autriche, en Suisse et en Italie. Hélas, aucun n’est fabriqué dans le Haut-Adige car ici les éleveurs vendent leur lait aux industriels pour vite gagner de l’argent ».
Les chefs étoilés se les arrachent
Dans sa grotte artificielle, les personnes à l’odorat sensible n’ont pas leur place. Les 2300 fromages qui vieillissent là dégagent un bouquet plutôt brutal. Près de 15 tonnes de produits laitiers sont conservés ici. Voilà tout juste six mois qu’Hubert Stockner a lancé la commercialisation de ses bleus et autres pecorino. Et le succès a été immédiat. « Beaucoup de chefs étoilés venus du monde entier sont déjà venus me voir, se réjouit l’entrepreneur. Notre concept parle aux consommateurs. Nous affinons des fromages sans utiliser aucune énergie alors que les industriels doivent équiper leurs hangars de climatiseurs pour conserver une température constante. J’économise ainsi entre 7000 et 10.000 euros par an en électricité tout en protégeant l’environnement. Et puis on fait tout à la main ici. Nous retournons avec mon père qui va bientôt fêter son 80ème anniversaire nos fromages deux à trois fois par semaine les premiers mois après leur arrivée. Nous les bougeons ensuite une fois tous les sept jours jusqu’à leur mise en vente au bout de dix-huit mois ou deux ans. C’est un boulot physique pour nos meules de bergkäse qui pèsent 35 kilos chacune. Dans la salle de dégustation qui peux accueillir jusqu’à vingt personnes que j’ai installé à l’entrée du bunker, j’organise des visites pour des groupes d’au moins huit personnes. J’en profite pour leur faire découvrir mes produits mais aussi ceux d’un brasseur et d’un chocolatier de la région. On doit s’épauler entre « fous de produits ». A terme, j’aimerai proposer entre huit et dix variétés différentes. Je suis actuellement entrain de tester l’affinage d’un bleu au lait de bufflonne… »
L’entrepreneur ne veut pas se lancer dans le commerce en ligne…
Le Genussbunker commercialise aujourd’hui ses fromages uniquement auprès des restaurateurs et des grossistes. « J’ai pas mal de demandes de particuliers qui souhaiteraient acheter mes produits mais je ne pense pas me lancer dans le commerce en ligne, prévient Hubert Stockner. Je pourrais aussi louer d’autres bunkers pour affiner plus de meules car il y en a partout dans les alentours et la demande est forte mais je ne veux pas me retrouver à la tête d’une grande entreprise. Il n’y a pas que le travail dans la vie… » Des produits naturels, écolos et fabriqués par un entrepreneur qui ne pense pas qu’à l’argent. Peux t-on être plus tendance?