Alors que l’application de partage de courtes vidéos TikTok connaît un essor fulgurant dans le monde, Douyin, son versant chinois reste méconnu des acteurs du numérique occidentaux. Et pourtant, l’application mère de TikTok dispose d’ores et déjà d’une solide monétisation de ses contenus ainsi que d’une production professionnelle influente.
Si vous ne connaissez pas Douyin, c’est normal. Cette application de clips synchronisés au rythme de la musique ne peut être téléchargée que sur le territoire chinois. Si vous la cherchez sur votre catalogue d’application, vous tomberez sur TikTok, sa version internationale. C’est le géant de la tech chinoise ByteDance qui est à l’origine de cette dichotomie. Après avoir lancé Douyin sur le marché chinois fin 2016, l’entreprise basée à Pékin s’est très vite aperçue de son fulgurant succès. Moins d’un an après, Bytedance introduit sur le marché occidental TikTok, une application présentée comme l’identique de son versant chinois.
Quid de la liberté d’expression sur Douyin?
Pourtant, il existe des différences au premier plan desquelles trône la liberté d’expression. En effet, comme toute plateforme chinoise, Douyin est soumis à la censure du Parti communiste. Au sein de Bytedance, 4000 « censeurs » sont ainsi chargés de réguler et d’assainir les contenus inappropriés. À l’inverse, TikTok dispose d’une liberté d’expression forte qui fait partie intégrante de son ADN. L’application a d’ailleurs été critiquée pour son laxisme face à la prolifération de contenus hypersexualisés, racistes ou harcelants. TikTok et Douyin cristallisent in fine le hiatus béant qui se loge entre deux modèles d’organisation politique radicalement contraires.
Un écosystème publicitaire natif et intégré
La censure mise à part, Douyin est un véritable modèle de développement. La plateforme compte 400 millions d’utilisateurs actifs par jour avec une croissance de 60% entre 2019 et 2020. Contrairement à TikTok dont l’audience est principalement adolescente, les utilisateurs de Douyin sont issus de toutes les tranches d’âge. En 2019, plus de 3 millions de familles chinoises ont utilisé l’application pour faire des vidéos parent-enfants. Un positionnement impensable sur TikTok où 41% des utilisateurs ont entre 16 et 24 ans.
Douyin a déjà une mécanique économique rodée.
Autre point saillant de comparaison : la monétisation des contenus. Là où TikTok est encore en phase expérimentale, Douyin a déjà une mécanique économique rodée. La plateforme chinoise a intégré des fonctionnalités d’e-commerce qui permettent d’acheter des produits montrés dans une vidéo. Un outil de consommation redoutable qui en est encore à ses balbutiements en Europe. Par ailleurs, les marques peuvent investir librement le fil d’actualité de Douyin à travers des formats natifs. L’application chinoise a très tôt su intégrer à son écosystème des espaces publicitaires dédiés et non intrusifs afin de ne pas dégrader l’expérience interactive de l’utilisateur.
Parier sur du contenu professionnel
Enfin, les influenceurs les plus connus de Douyin sont particulièrement bien traités. Étant donné que c’est par l’essor de contenus qualitatifs qu’une plateforme monte en gamme, la plateforme a offert aux créateurs influents la possibilité de prolonger leurs vidéos à 5 minutes (face à 1 minute pour les utilisateurs lambda). Une façon de développer de nouveaux formats par le haut tout en inspirant les publics par ruissellement. Notons qu’initialement les vidéos ne duraient que 15 secondes. L’évolution de la durée est étroitement corrélée à la marge de manoeuvre dont les créateurs disposent pour produire des contenus originaux et créatifs.
C’est Douyin qui dans l’obscurité, fabrique le numérique de demain
« La production vidéo sur Douyin a évolué, passant de contenus générés par les utilisateurs aux contenus générés par des professionnels » explique LiuYu, journaliste au Groupe Radio Pékin. Un compte entre 3 et 5 millions d’abonnés peut ainsi générer entre 6000 et 12 000€ pour une vidéo de moins d’une minute. Des chiffres élevés rendus possibles par les filtres sponsorisés que la plateforme a mis en place très peu de temps après son implémentation en Chine.
Au final, ce sont moins les dispositifs publicitaires de Douyin que sa capacité à intégrer habilement l’écosystème publicitaire à l’application qui devrait inspirer les acteurs du numérique. Alors que tous les yeux sont rivés sur les chiffres tonitruants de TikTok, c’est dans l’obscurité que se fabrique le numérique de demain.