La distanciation, jusqu’à il y a 15 jours, était pour moi un principe théâtral et le souvenir d’un mot allemand dont j’aime la puissance évocatrice.
L’effet de distanciation dans le théâtre de Brecht consiste à prendre ses distances par rapport à la réalité pour mieux la voir. S’opposant au réalisme et à l’identification, ce procédé vise à perturber la perception linéaire et à éviter de croire trop vite à ce qu’on voit. On ne fuit pas la réalité, on ne l’imite pas non plus, on la tient à distance pour mieux l’analyser. On gagne en clairvoyance, on perd en crédulité.
Puis est venue la crise du COVID 19 et avec elle, une nouvelle forme de distanciation cette fois-ci imposée, la distanciation sociale.
Elle m’a d’abord glacée.
L’expression m’a déplu.
Avant tout, elle nous protège face à cette pandémie vertigineuse.
Elle nous perturbe aussi tant elle est contre-nature jusqu’à provoquer parfois des malaises psychologiques profonds.
Elle nous invite aussi, a contrario, à nous rapprocher, autrement.
Nous permet-elle de mieux voir la réalité ?
Elle nous amène à nous demander comment nous comporter avec nous-même et avec les autres.
Elle nous pousse à nous interroger sur ce qu’il est essentiel de préserver, à titre individuel et collectif.
Elle nous fait voir des choses et des gens devenus ou rendus invisibles.
Elle nous permet de voir que la valeur d’une économie et la viabilité d’un système reposent sur des métiers dédiés aux autres : agriculteurs, caissières, personnel soignant, médecins, enseignants… Sans eux, cette suspension de nos vies serait totale. Sans eux, l’économie serait ventre à terre.
Elle nous fait considérer les marques un peu plus encore comme des « êtres » sociaux à même de faire commerce d’humanité, d’utilité, et de solidarité.
Elle nous fait considérer la solidarité de destin dans laquelle cette pandémie nous projette.
Notre vie ne s’est pas arrêtée. Elle continue de tourner, oui, mais sur un axe nouveau, sa trajectoire bousculée par ce virus qui rend nos habitudes d’hier au mieux obsolètes, nos croyances dépassées et nos excès définitivement déplacés.
Obligés de faire face à l’extraordinaire, nous ne pouvons rester tout à fait ordinaires.
Nous allons tous devoir définir notre chemin de traverse et « réinventer notre métier d’Homme ».
Alors, finalement, à bien y réfléchir, la distanciation sociale a du bon.