En faisant chuter l’activité du BTP de 89%, le Covid-19 nous rappelle que l’industrie du bâtiment est un fléau écologique que les médias oublient souvent de mentionner, leur préférant celles du pétrole et du textile. En 2017 pourtant, le secteur du BTP a produit 39% des émissions mondiales de CO2 selon la Global Alliance for Buildings and Construction, l’équivalent annuel des émissions chinoises et indiennes. Un chiffre qui nous somme de repenser urgemment notre façon d’investir l’espace.
Nous sommes de plus en plus nombreux à prendre conscience de l’impact des activités humaines sur le climat et la biodiversité. Nous savons que le pétrole, la viande, le textile et le charbon libèrent des quantités considérables de CO2, polluent les nappes phréatiques et participent à la destruction des habitats naturels de millions d’espèces. Ce que nous ne savons que trop peu en revanche, ce sont les conséquences catastrophiques de l’industrie de la construction et du bâtiment sur le réchauffement climatique et la destruction des écosystèmes. À l’origine de ces externalités tentaculaires, une production pharaonique de ciment et de béton nécessaire à la fabrication des autoroutes, ponts, trottoirs, immeubles, aéroports et centres commerciaux de notre village planétaire.
4,6 milliards de tonnes de ciment sont produites chaque année
Selon Planetoscope, les géants du BTP ont fabriqué 4,6 milliards de tonnes de ciment en 2018, soit 146 000 kilos par seconde. Et ça n’est pas prêt de s’arrêter puisque la consommation mondiale de ciment a plus que doublé en quinze ans. C’est notamment la Chine, leader mondial qui en assure la production avec 2,48 milliards de tonnes produites chaque année, soit 57.5% du marché mondial. Elle exporte le ciment principalement vers des pays émergents dont les besoins sont équivalents à ceux de l’Occident après la Seconde Guerre mondiale.
De l’autre côté de la chaine de production, le béton. Il en est produit 6 milliards de m³ par an ce qui en fait le matériau manufacturé le plus utilisé au monde, bien devant le métal, le carton ou le plastique. Pour sa facilité de fabrication, sa robustesse et son faible coût, le béton a conquis nos paysages comme dans nos imaginaires au point d’être devenu la norme de nos infrastructures.
Il faut 30 000 tonnes de sable pour fabriquer un kilomètre de route
Pour fabriquer du ciment et du béton, il faut de grandes quantités de sable et de gravier. Des ressources naturelles finies qui sont ponctionnées à partir des plages, carrières et fonds marins aux quatre coins du globe. Un seul kilomètre de route nécessite l’extraction de 30 000 tonnes de sable. Sans surprise, ce matériau abondant est devenu la deuxième ressource la plus utilisée au monde après l’eau. Son extraction entraine l’érosion des littoraux et perturbe l’habitat naturel de milliers d’espèces. En dépit de ces préjudices, le sable et le gravier, mélangés avec d’importantes quantités d’eau devient du ciment, ingrédient clef dans la production du béton et du bon fonctionnement du BTP mondial.
Autre source de pollution, la très forte émission de CO2 née de la production de ciment. Le clinker, principal composant du ciment, nécessite pour être incorporé au calcaire et à l’argile des fours surpuissants chauffés à 1450°C et dont les flammes atteignent 2000°C. Une telle combustion est rendue possible grâce à des carburants fossiles comme l’essence, le diesel et le kérosène, ce qui contribue largement à l’effet de serre. À elles seules, les cimenteries produisent 5% du CO2 mondial, sans compter l’extraction des matières premières et leur transport. Quant au béton, il représente 8% des émissions de CO2 mondiales.
Un secteur gangréné par la corruption et le clientélisme
Les leaders mondiaux du BTP se comptent sur les doigts d’une main : le français Lafarge, le mexicain Cemex, l’allemand Heidelberg Cement, le suisse Holcim et l’italien Italcementi. Un oligopole rassemblé en lobby qui fait pression sur les pouvoirs publics pour maintenir l’assise sectorielle du ciment. La France fait d’ailleurs partie des plus gros acteurs au monde : elle est championne européenne de la construction avec son trio gagnant Vinci, Bouygues et Eiffage. Un palmarès assombri par plusieurs affaires présumées de corruption et de favoritisme dans l’attribution de marchés publics. Parmi elles, la nouvelle route du littoral de La Réunion attribuée à Bouygues et Vinci ou le Grand stade de Lille accordé à Eiffage. Le tableau s’obscurcit davantage à la lumière des cas avérés d’esclavage moderne imputés à Vinci dans les chantiers meurtriers de la Coupe du monde au Qatar ainsi que les arrangements qu’une filiale de Lafarge a organisé avec l’État islamique en Syrie afin de contourner l’embargo européen sur le pétrole.
Aujourd’hui, c’est comme si le secteur du BTP payait la dette de ses turpitudes sociales et environnementales. L’industrie est en proie à une crise sans précédent née de la pandémie du coronavirus. Ce dernier a fait chuter l’activité du secteur de 89% en France depuis le début de la crise, ce qui en fait le secteur le plus touché du pays. Une bonne nouvelle pour les défenseurs de la nature. Lundi 17 février 2020, les militants du mouvement écologiste Extinction Rebellion manifestaient sur les sites des cimentiers Cemex et Lafarge pour réclamer une « Fin de chantiers » dont les activités écocidaires menacent la pérennité de la vie sur Terre.