La Commission européenne a invité chacun des pays de l’Union à créer une appli pour lutter contre la propagation du Covid-19. Deux logiques sont à l’oeuvre : la surveillance par géolocalisation inspirée de l’Asie et le signalement par bluetooth « à l’européenne ». Des méthodes similaires à celles de l’application de rencontre Happn, mais dont le but est moins de trouver l’amour que d’esquiver la maladie.
Il est assez cocasse d’observer comment une app de dating peut être en avance sur son temps. Qui aurait pensé que le fonctionnement de l’application de rencontre Happn serait une méthode de tracking idoine pour juguler une crise sanitaire ? Dès son lancement en février 2014, la plateforme utilise en effet la géolocalisation en temps réel pour offrir de nouveaux points de contact à ses utilisateurs. Ces derniers ne peuvent ainsi se matcher qu’à condition que leurs chemins se croisent. Le PDG de Happn, Didier Rappaport, précise sur le site d’actualité Clubic que la localisation se fait « via GPS ou Wi-Fi avec un degré de précision de quelques mètres ». Il n’exclut d’ailleurs pas « d’intégrer la communication entre les smartphones, via du Bluetooth par exemple, afin d’augmenter la précision ». Aujourd’hui, ces deux méthodes sont mobilisées partout dans le monde pour endiguer la pandémie. Sommes-nous dans une dystopie où la technologie ne servirait plus qu’à la surveillance de masse ?
L’Allemagne a lancé une app reliée aux objets connectés
Considérées par la Commission Européenne comme un « élément important » pour sortir du confinement, les applis de traçabilité sont en ce moment même développées et implémentées dans différents pays. En Europe, c’est la méthode du signalement par bluetooth qui est privilégiée. Sur la base du volontariat, elle consiste à notifier de façon anonyme un utilisateur qui vient d’être en contact avec une personne infectée. Une appli européenne unique est en cours de développement par le PEPP-PT (Pan European Privacy Preserving Proximity Tracing), mais la plupart des pays membres préfèrent développer leurs propres applications. En France, l’appli StopCovid accuse un certain retard, mais devrait être opérationnelle d’ici le 11 mai. En Allemagne, l’application est presque terminée et le gouvernement envisage bientôt son lancement. En attendant, l’institut Robert Koch a lancé une plateforme de tracking facultative qui fonctionne avec des objets connectés (montre intelligente, bracelet de fitness…). Le but est d’utiliser les données géographiques et biologiques pour cartographier la propagation du virus.
L’Islande récupère les données GPS pendant 14 jours
En Italie, l’application de la société milanaise Bending Spoons est déjà opérationnelle. 5000 membres de l’entreprise sont chargés de reconstituer les contacts de chaque cas positif. Mais la question de l’accord préalable des usagers n’est toujours pas tranchée… En République Tchèque, sous réserve de consentement, ce sont les données des téléphones portables et des cartes bancaires qui sont utilisées afin de retracer les contacts de personnes infectées. En Islande, le gouvernement a lancé début avril une app qui télécharge après autorisation de son utilisateur l’intégralité de ses données GPS pendant 14 jours.
Au Portugal, pays très peu touché, le gouvernement juge le débat « prématuré » et préfère « observer les expériences dans d’autres pays » avant de prendre une décision. En Espagne, le gouvernement préfère également patienter et attendre la mise en service de l’app européenne du PEPP-PT. « Ce n’est qu’en parvenant à l’interopérabilité entre pays que l’on pourra garantir une traçabilité […] pour lutter contre le Covid-19 » a déclaré le secrétaire d’État Carme Artigas.
L’appli polonaise exige des selfies pour vérifier le confinement
Tandis que l’immense majorité de l’Europe défend une traçabilité facultative par signalement anonymisé, la Pologne privilégie une géolocalisation obligatoire sous forme de surveillance de masse. Le gouvernement a ainsi lancé mi-mars une app utilisant le GPS et la reconnaissance faciale. Le téléchargement est obligatoire et tout refus est passible de poursuites judiciaires. Pour s’assurer du bon confinement de ses utilisateurs, l’application n’hésite pas à demander l’envoi inopiné de selfies. Une méthode qui rappelle le panoptique « télécran » de George Orwell dans 1984, capable d’entendre et de voir ce qui se fait dans chaque pièce où se trouve un individu.
La Pologne semble ainsi reproduire la stratégie du contrôle social chinois. Car en Chine, l’application détermine automatiquement le risque de contagion d’un individu en fonction des déplacements qu’enregistre son téléphone. C’est également le partage d’informations a priori confidentielles avec la police qui rend cette technologie liberticide. Une logique de surveillance par géolocalisation également mobilisée en Corée du Sud dans une moindre mesure. Là-bas, un individu infecté voit ses itinéraires des jours précédents retracés grâce à ses données mobiles, sa carte de crédit et des caméras de surveillance. Les personnes qui croisent le chemin d’un patient peuvent d’un clic afficher son itinéraire, connaitre les restaurants, cafés et bus qu’il a emprunté. Une fois de plus, la réalité dépasse la fiction. Avis aux scénaristes, il faut trouver désormais un autre filon…