En quelques jours à peine, le Pr Didier Raoult est passé du statut de médecin infectiologue renommé dans la communauté scientifique, notable respecté à Marseille, à celui de star des médias sociaux.
Du point de vue communication/marketing, ce médecin a réussi un véritable exploit : gagner vite en notoriété, (il est passé de 20K followers sur Twitter fin mars à plus de 500K mi mai), générer un fort bouche-à-oreille, mobiliser des fans dévoués (qui se rassemblent dans des groupes fermés dédiés sur Facebook qui cumulent 1 million de membres au total), « convertir » de nombreux patients en « ambassadeurs », qui réclament aujourd’hui ses traitements quand on ne les leur prescrit pas.
Il fait rêver les dircom
Didier Raoult a su activer, en conscience ou non, les bons leviers de communication pour rendre hyper spectaculaire sa trajectoire médiatique, digitale et sociale. Tous les professionnels de la communication rêvent de créer autant d’impact avec si peu de moyen – une timeline de quelques jours et un budget hyper limité (nul, en l’occurrence – aucun média acheté).
Il a su casser les autres voix
Le phénomène est d’autant plus remarquable qu’il intervient dans un contexte très particulier : d’une part, nous avons traversé une période extrêmement concurrentielle en terme de part de voix – le temps média consacré au coronavirus est grand (75% du temps d’antenne sur les chaînes info en moyenne depuis début mars), mais très disputé par de nombreux candidats à la prise de parole, scientifiques ou non. D’autre part, l’ère COVID est marquée par une grande défiance vis-à-vis des experts et des élites dirigeantes, avec, notamment, une forte émergence des théories complotistes (26% des Français sont ralliés à la thèse conspirationniste du virus créé en laboratoire).
Comprendre les techniques de communication
En tant que professionnels de communication, nous avons voulu décrypter ce phénomène, sans prendre parti. Il ne s’agit pas d’admirer l’homme ou son action mais de comprendre les techniques de communication qu’il a utilisées pour mieux appréhender la culture de l’époque. Il ne s’agit pas non plus de promouvoir ces techniques aveuglément, mais de s’en inspirer, et avec réserve bien évidemment, car nul ne sait aujourd’hui si la « marque Raoult » ne va pas dévisser aussi rapidement qu’elle a émergé. Ce que l’étude du « cas Raoult » nous révèle, c’est l’extraordinaire puissance de l’esprit anti-establishment pour créer de l’impact en communication. Tant du point de vue de son discours que dans la manière dont il l’a porté, le Pr Didier Raoult s’est posé en rupture radicale avec l’ensemble des usages, scientifiques, médicaux ou médiatiques – avec ce qu’on peut appeler « le système ».
Le sauveur de vies en action
Sa plateforme de marque est édifiante à cet égard : à l’image du chercheur méticuleux et patient, il a préféré celle de l’homme d’action, concentré pour sauver des vies. A l’image du médecin sur la brèche dans un service d’urgence débordé, il a préféré celle du professionnel hyper sûr de lui, arborant fièrement les signes de sa différence. Aux résultats de laboratoires, il a préféré les observations sur le terrain. Aux longueurs des protocoles de recherche, il a préféré la rapidité d’une feuille Excel. Mais ce n’est pas tout.
Sa propre méthode pour communiquer
Sa stratégie d’activation ensuite : aux médias traditionnels, il a préféré mettre en œuvre ses propres moyens de diffusion (une combinaison simple, mais vraiment galère pour émerger : Twitter + YouTube) et dicter son agenda de communication. Aux contenus courts, simplistes et sans saveur, il a préféré les contenus longs, touffus, parfois abscons (et les gens les ont regardés en entier !), misant sur la curiosité de son auditoire et son envie d’être informé plutôt que sur son « temps de cerveau disponible ». Il n’a jamais cherché à répondre ou à répliquer (« interagir » comme on dit en communication) à qui que ce soit. Il n’a même jamais cherché à convaincre personne, se présentant tel qu’en lui-même. Aux discours, il a toujours préféré l’action (même s’il n’a jamais cessé de communiquer).
Radicaliser les audiences autour de soi
Sa stratégie d’influence enfin : cette attitude « en contre » a eu pour effet de radicaliser les audiences. Les opposants comme les partisans ont déployé beaucoup d’énergie à descendre ou à encenser Didier Raoult, lui fabriquant à la fin, tous ensemble, une part de voix considérable. Didier Raoult est parvenu à utiliser ses opposants comme des relais de notoriété (et de considération !) : il en a fait des éléments stratégiques de sa communication d’influence.
La grande marque Raoult
Bref, son esprit de rupture a transformé Didier Raoult en « une grande marque », qui peut aujourd’hui concurrencer Bill Gates et Beyonce sur les réseaux sociaux (respectivement 1,8 million et 1,3 million de citations sur le web depuis début mars, contre 2 millions pour Didier Raoult sur la même période). Les techniques de communication qu’il a mises en œuvre « à l’instinct » sont sans doute celles qui permettront à de nombreuses marques d’émerger à l’ère post-COVID, dans ce monde où il n’y a plus d’expert qui ne soit controversé, plus d’homme politique qui ne soit bousculé, plus de héros qui ne puisse être, dans le même temps, considéré comme un traitre.
Accepter d’être détestées avant de chercher à être aimées
A partir d’aujourd’hui, toutes les marques qui se disent « brave » ou « bold » pourraient enfin avoir une vraie preuve à apporter à leurs publics : la volonté de détricoter le système auquel elles appartiennent, parfois même qu’elles ont contribué à créer, leur capacité à accepter d’être détestées avant de chercher à être aimées. Voilà comment on pourrait qualifier l’audace en 2020.
Sources : Radarly, INA 2020, Ifop 2020.