Depuis septembre 2018, le Collectif du Planning Stratégique célèbre la justesse, la créativité et l’intuition des planneurs stratégiques d’agences de tous bords. Chaque semaine depuis ses débuts, INfluencia donne la parole à l’un d’eux. Ces deux derniers mois, pris dans l’étau d’une crise sans précédent, les 18 membres fondateurs du CPS ont dressé pour nous le portrait d’une consommation en mouvance. Aujourd’hui, nous clôturons cette discussion en rencontrant Sébastien Genty, Fondateur du CPS, et DG de DDB° Paris. Au menu : reprise, enjeux
IN : selon vous et aux vues de ces dernières prises de paroles, comment la reprise s’organise-t-elle en terrain pub en termes de communication, d’enjeux pour les marques et d’insights consommateurs majeurs ?
Sébastien Genty : c’est compliqué d’ajouter quelque chose à tout ce qui a été dit et écrit ici et ailleurs. Je sais que c’est une réponse que l’on n’aime pas beaucoup, mais en fait la seule réponse possible, c’est, ça dépend. En général on préfère une presque vérité simple et chiffrée. Mais pourtant ici c’est un fait, au cours des trois derniers mois les situations et le vécu du côté des marques, comme des consommateurs ont été tellement spécifiques qu’il est difficile de concevoir un scenario post-covid global. Cela ne signifie pas que l’on ne peut rien prévoir mais simplement que ce sera totalement dépendant de l’impact économique général dont on commence à entrevoir les conséquences concrètes ainsi que de la courbe que suivra le marché sur lequel se situe la marque,(U, V, W, L ?) et bien sûr de la façon dont la marque elle-même est entrée dans la crise et l’a vécue.
C’est un peu comme un vaste « pantonier » allant du 100% sur l’urgence de la relance, au renforcement d’une equity profonde et durable. « Pantonier » au sein duquel chacun devra trouver sa juste place pour réussir le présent sans affaiblir l’avenir.
IN : avec un sujet covid-19 toujours omniprésent dans les prises de parole des marques et au fil des études et enquêtes, on se pose la question de la réalité du « changement » de la consommation. Peut-on et doit-on réellement parler de bouleversement durable des stratégies marketing et publicitaires ?
S.G. : bien sûr, et cela a été dit de nombreuses fois, il peut y avoir une extension et une accélération de phénomènes, d’attitudes et de comportements pré-existants : une frugalité choisie ou subie, une vie toujours plus en ligne, l’envie d’une consommation plus respectueuse, le désir de vivre la ville autrement ou même de la fuir, les pressions contradictoires entre le besoin et l’impossibilité du commun, le désir irrépressible d’en profiter quelles qu’en soient les conséquences parce-que « bon de toute façon ça ne durera pas », la défiance vis-à-vis des institutions, la grande diversité des attitudes morales et mentales face à l’avenir, la revalorisation de l’expertise…
Il y a effectivement fort à parier que ces mouvements plus ou moins pré-existants s’accélèrent dans les mois et les années à venir. Être stratégique signifiera alors plus que jamais choisir sa cible et la manière dont on souhaite la définir (aspiration, état d’esprit, style de vie, CSP, comportement…).
Mais s’il y a ce qui change, ce qui évolue, il y aussi ce qui ne change pas et qui doit continuer à guider nos choix, parce qu’ils demeurent des invariants puissants en période incertaine. Chercher en permanence l’équilibre optimal entre long terme et court terme, parce que c’est le seul moyen de générer réellement un profit durable (cf. the long and the short of it). Autrement dit, mettre des bûches et pas seulement du papier journal dans la cheminée.
Être plus net que jamais dans ses choix. Être très quelque chose ou risquer de n’être pas grand-chose, parce que c’est le seul moyen d’être visible dans un océan de contenus et de sollicitations. Ici la seule réponse ne pourra et ne devra pas être « très engagé ».
Développer une vraie cohérence, pas uniquement l’unification des signes, mais bien l’accord entre les discours et les actes, ainsi que la continuité dans le temps. Ce sont les seuls gages réels d’authenticité et donc de confiance que la communication peut contribuer à construire. Il y a plus de choix inefficaces parce qu’ils changent que parce qu’ils sont fondamentalement mauvais.
Produire un contact émotionnel, parce que c’est le principal moteur de nos choix.
Être généreux, parce qu’au fond, on demande aux gens de donner une partie de ce qu’ils ont de plus précieux, du temps, de l’argent et le plus souvent possible, bien sûr. Cela peut paraître évident mais il faut donner beaucoup pour recevoir beaucoup.
Briser le mur de l’indifférence. Parce que c’est notre premier ennemi, avant nos concurrents.
Ne jamais oublier d’être la réponse à un réel besoin (du plus humain au plus fonctionnel), avant de se dire que l’on va créer un désir si l’on veut soutenir une demande durable.
J’aime aussi me rappeler cette définition simple et claire formulée par Les Binet (Head of Effectiveness DDB Network) et qui s’applique à beaucoup de situations en tous les cas sur la partie publicitaire (hors expérience).
« Advertising increases/maintains sales&margins by slightly increasing chance that people will choose your brandby making the brand easy to think of and easy to buyby creating positive feeling&associationsvia broad reach ads that people find interesting&enjoyableand targeted activation that they find relevant&useful »
IN : avec le Collectif du Planning Stratégique, comment le retour s’annonce-t-il ? Les mesures de sécurité empêchant tout rassemblement, un format digital peut-il s’imaginer pour pallier la cérémonie physique des CPS Awards 2020?
S.G. : initialement la remise des prix devait avoir lieu, le 23 mars dernier. Évidemment nous l’avions annulée. Pour l’instant la nouvelle date n’est pas fixée, mais ce sera je l’espère dans le courant du mois de Septembre. Le but est de faire la remise des prix en présentiel, comme on le dit avec ce mot terrible. La soirée est un moment qui incarne bien l’esprit du CPS. Le palmarès est établi, les prix sont fabriqués, le livre aussi. Tout est prêt, il n’y a plus qu’à se retrouver en vrai dès que cela sera possible, a priori donc au mois de Septembre. Même si le temps passe vite, nous serons toujours en 2020.
Je tiens encore à remercier, au nom du collectif tous les participants (76 dossiers remis), y compris les étudiants et les annonceurs qui ont participé à la première édition de la jeune pépite, les partenaires (INfluencia bien sûr qui soutient l’initiative depuis le début, mais aussi Google, Twitter, le Club des annonceurs, Les Échos/TeamMedias, le Celsa, et HEC) et bien entendu le formidable jury qui a joué le jeu cette année :
Bertille Toledano (BETC), Matthieu Elkaim (Ogilvy), Vanessa Vankemmel Seban (Google), Antoine Gilbert (Twitter), Valérie Accary (BBDO), Laurence Bordry et Hubert Blanquefort (Club des Annonceurs), Isabelle Musnik (INfluencia), Luc Speisser (Landor), Clotilde Briard (Les Echos), Anne-Sophie Bayle-Tourtoulou (HEC-Paris), Julien Levilain (Buzzman), Marina Zuber (TBWA Paris), Pascal Crifo (Publicis Media), David Leclabart (Australie), Edouard de Pouzilhac, Caroline Marti (CELSA) et Frederic Bedin (Hopscotch).
IN : aussi, la communication des 3 derniers mois ayant pris un virage on ne peut plus brutal, les critères de sélection des campagnes vont-ils devoir évoluer ? Une catégorie dédiée à la crise Covid-19 ou une édition spéciale ?
S.G. : pour cette année, nous ne changerons pas le palmarès, il a été établi, il est encore tout à fait pertinent. Concernant l’année prochaine, la question ne s’est pas encore posée. Ce qui est certain c’est qu’une des idées de ce prix, c’est de n’avoir aucune catégorie (ni secteur, ni typologie de communication) et de se concentrer sur la justesse, l’originalité, la rigueur et la capacité inspiratrice de la réflexion pour évaluer si le cas mérite une pépite d’or, d’argent ou de bronze. Sans limite de nombre, sans grand prix et sans case study vidéo.
Donc, a priori si des cas liés directement ou indirectement au Covid-19 sont au palmarès l’année prochaine, c’est qu’ils auront mieux que d’autres répondu à ces critères permanents et non parce qu’ils auront été la meilleure réponse à la crise.