Le producteur-réalisateur Raphaël Kenzey, co-fondateur de la société de production Raise Up films a vécu le confinement seul dans son appartement parisien, en écrivant chaque jour, tout en produisant des webséries de circonstance pour France TV Slash, notamment. Aujourd’hui il est certain que l’avenir est au brand TV Show et estime que cette crise va permettre à ce métier de se redéployer différemment en donnant sa chance aux réalisateurs et aux producteurs de l’hexagone, souvent boudés. Interview « presque » déconfinée.
INfluencia : on a beaucoup parlé mètres carrés pendant le confinement, vous-même vivez dans un appartement parisien et avez vécu le confinement seul dans un 40m2…
Raphaël Kenzey: j’appréciais particulièrement le fait de donner à manger aux pigeons, je surveillais les allées et venues des voisins et m’intéressais bien trop passionnément aux commérages de l’immeuble. C’est là que je me suis dit qu’il fallait que je me prenne en main. Je me suis mis à écrire un sketch, sur la thématique du confinement. J’étais plutôt content, c’était drôle, mais le titre « le suicidaire », était un peu chaud. J’ai un père psychiatre, et penser à l’inconscient n’est pas toujours rassurant. Bref, Au départ, l’annonce du confinement a été terrible. Plus sérieusement, chez Raise Up Films, nous venions de gagner des compétitions en pub tv et digitales pour lesquelles nous avions travaillé d’arrache-pied, nous avions un long-métrage en sélection officielle au Sxsw, nous allions faire aboutir des développements de séries et de fiction publicitaires (ce que nous appelons en interne brand tv show) importantes notamment au Série mania, sans compter les évènements que nous allions organiser, et le fait qu’on envisageait une belle mise en avant pendant les Lions. Nous allions aussi annoncer les intégrations des très grands noms du cinéma parmi nos réalisateurs, et la création d’un pôle de photographes avec de très grands noms. Et d’un coup tout s’est arrêté. C’était la douche froide. Mais on ne s’est pas laissé abattre, sauf me concernant, pendant la période commère, bien sûr. On en a profité pour réorganiser et peaufiner nos productions qui allaient être reportées plutôt qu’annulées. On a aussi créé de nouvelles propositions, de nouveaux dossiers, recherché de nouveaux talents. On a tâché de conserver une réunion tous les deux jours avec nos équipes afin de maintenir la productivité et la créativité en éveil. Et franchement c’est à croire que les idées fusent encore plus que d’habitude. C’est plutôt agréable de voir que le moral ne baisse pas.
IN : comment voyez-vous le Raise Up d’après ?
R.K. : le monde de demain ne ressemblera pas à celui d’hier, beaucoup de choses vont devoir se réorganiser, si on s’y prend bien, ce sera positif. Un peu comme pour les anticorps, en s’organisant pour continuer de produire malgré les conditions complexes, nous allons faire en sorte que tout ce que nous connaissions avant, passe au niveau supérieur, « s’upgrade ». Cette crise va permettre l’émergence de nouveaux formats et de nouveaux talents. Tout d’abord, le digital fait sa mue. Beaucoup d’individus se sont plugués sur des réseaux sociaux sur lesquels il n’étaient jamais allés avant ou ont téléchargé une app, pour être mieux connectés et avoir la tête un peu hors de son appartement. Même ceux qui n’étaient sur aucun réseau se sont forcés. Les marques sont évidemment sensibles à cette transformation et vont obligatoirement prendre les mesures nécessaires en terme de communication sur leur propres réseaux et pour l’animation de leurs communautés. Les budgets vont donc se solidifier À ce niveau-là, les contenus vont se multiplier et se diversifier. Ainsi, le brand content va passer un cap au-dessus et le snack content, tel qu’on le connaissait va donner naissance à ce que nous défendons depuis longtemps chez Raise Up, comme avec nos campagnes pour Saint Michel ou Optical Center: « le snack content premium ». Autrement dit, du contenu de masse mais plus qualitatif que du fait main. Quelque chose d’agréable à regarder et de bien pensé, même si c’est produit plus vite.
IN : vous évoquez le brand TV show comme étant la prochaine septième merveille du monde publicitaire? De quoi s’agit-il?
R.K. : effectivement, nous avons constaté que chacun s’est inscrit sur des plateformes de streaming, Netflix, prime video, mycanal, (notons d’ailleurs le beau geste de Maxime Saada, qui a offert l’accès à sa plateforme pendant le confinement). Du coup, ceux qui n’étaient pas habitués à regarder des séries sont devenus peu à peu « sérivores ». Et cela va tout changer en pub. Donner naissance à l’étape supérieure du brand content, l’étape que nous défendons depuis deux ans chez Raise up et que nous appelons le « brand tv show ». Autrement dit la fiction publicitaire. Car beaucoup de spectateurs ont déserté la tv pour les plateformes et ces dernières ne diffusent pas de pubs. Le dernier moyen qu’ont les communicants pour atteindre ces derniers est de créer des séries ou autres programmes financés par des marques. Et c’est génial, car pour être acceptés par les plateformes les contenus devront être qualitatifs, suffisamment innovants, et la marque ne devra pas apparaitre de façon grossière. Donc la pub va changer et s’améliorer.
IN: c’est du placement produit en fait….
R.K. : non, on n’est ni dans le placement produit, ni dans le brand content, on est dans quelque chose de nouveau. Nous sommes à l’âge d’or des séries et du storytelling et les histoires se retiennent mieux qu’un slogan ou un logo, donc les communicants et les marques ne peuvent plus passer à côté du phénomène « brand tv show ». Nous savons qu’elles sont intriguées mais encore frileuses, cependant nous comptons sur les conséquences du confinement pour les faire changer d’avis. Nous comptons aussi sur le succés de séries comme celle que DDB a fait avec Raise Up « Ce jour où j’ai pris à emporter » qui était une campagne Mc Donald’s diffusée sur MyCanal. Un format, qui a fait jurisprudence dans le domaine, notamment pour ce qui concerne l’appellation série de pure fiction. Nous avons assuré l’écriture et toute la production d’une vraie série, c’était génial, les aficionados ont adoré, et nous comptons bien recommencer l’expérience après la crise.
IN : quid des métiers dont on ne parle jamais et qui vous permettent de construire vos films ?
R.K: ils prennent toute leur importance aujourd’hui. Les techniciens de post-production (monteurs, étalonneurs, ingés-sons, animateurs) et les auteurs. Bref à cause ou grâce à cette crise tous ceux qui oeuvraient dans l’ombre vont finalement devenir le dernier rempart à la création culturelle. D’autant que parmi ces créateurs notre pays compte nombre de génies. Cette crise va non seulement leur rendre leurs lettres de noblesse mais en plus donner naissance à de nouveaux talents ainsi qu’à de nouveaux formats inattendus. C’est très excitant. En effet leurs outils permettent de rêver plus grand, de repousser les limites au niveau créatif et donnent donc raison à mon grand-père « des nouveaux problèmes naissent des nouvelles solutions positives ». D’autant que lorsque nous avons créé la production il y a huit ans, on se demandait quel nom pourrait bien mettre en exergue ce qu’une société a taille humaine peut apporter de plus qu’un grand groupe. Et nous avons pensé à Raise up, parce que le propre d’une boite humaine, c’est de faire évoluer n’importe quel talent vers un stade supérieur. Et ainsi de faire évoluer chaque personne individuellement et professionnellement. Donc, inutile de dire a quel point la mise en avant de certains talents que va susciter la crise, correspond totalement à nos valeurs. Et nous comptons bien participer activement à cette mise en lumière.
IN : quel est votre état d’esprit aujourd’hui et comment voyez-vous la suite ou l’après ?
R.K. : nous sortons de la crise avec sérénité. On s’accommode de nos nouveaux trains de vie, et on on finit même par les apprécier. Pour beaucoup, les couples qui devaient se déchirer s’aiment encore plus, les enfants découvrent leurs parents, et le manque des autres nous fait prendre conscience de la valeur de nos proches. Bien sûr les plateaux de tournage que nous avons déjà eu l’occasion d’organiser ont un nouveau visage que celui auquel nous étions habitués. Les normes sanitaires sont contraignantes mais nécessaires et facilement adaptables. Il va falloir prendre en compte les questions d’assurances. Mais ce n’est pas grand-chose en comparaison de ce qu’on a pu imaginer.
Certains parlaient de la fin des prods. Un peu comme s’ils étaient hantés par les images des ruines de Cinecitta. On s’est parfois imaginés subir le même sort. Mais finalement on va juste adopter de nouveaux modes de travail. Et à un niveau plus général, ceux qui ne croyaient pas au télétravail se rendent compte de sa probable efficacité. On a eu le temps d’être créatifs. Les nouveaux talents inconnus suscitent soudainement de l’intérêt. Et surtout le fait que certains tournages ne puissent plus se faire à l’étranger, offrent une manne certaine aux productions franco-françaises, et aux réalisateurs « de chez nous ». Je finis par me demander si on ne devrait pas faire au moins un confinement par an… je plaisante bien sûr. Mais aujourd’hui, nous sommes tous prêts à recommencer à faire de belles images et à raconter de belles histoires, et c’est ce que nous allons faire.
Le bonheur ça tient à quoi? Film hommage Raise Up
Trailer du long métrage Aviva
La confinerie pour France tv slash produite par Raise Up films