La pandémie de covid19 que nous traversons a eu de nombreuses conséquences : sur notre vie quotidienne confinée, notre liberté de mouvement, notre vie sociale, nos manières de consommer, de s’instruire, mais aussi de penser. Une crise d’une telle ampleur exacerbe des mécanismes, des réflexes, et conduit la population à s’interroger en alimentant les théories les plus folles. A ce titre, les réseaux sociaux nous ont offert, tout au long de ces huit semaines, une formidable caisse de résonnance et vitrine de ces comportements.
I. La généralisation du sentiment de manipulation
Les relayeurs des fake news et autres théories du complot ont trouvé un public bienveillant sur les réseaux sociaux, du fait d’un contexte particulièrement anxiogène. Les mesures de confinement obligatoire ont entraîné une perte de contrôle sur nos conditions de vie, et le virus a rendu chacun potentiellement mortellement menacé. Face à l’incertitude croissante, la transmission du coronavirus d’un animal à un humain n’a pas satisfait une partie de l’opinion publique, les complotistes, qui ont cherché des explications alternatives à la pandémie : des réponses simples et irréfutables. L’exemple le plus prégnant est sans nul doute celui de la fuite volontaire ou accidentelle du virus dans un laboratoire de Wuhan. La crise sanitaire a donné lieu à la mise en place de l’Etat d’urgence, par définition Etat d’exception et de surcroît prolongé jusqu’au mois de juillet, permettant au gouvernement de prendre des décisions par décret et de rogner nos libertés fondamentales. Ce type de dispositifs donne automatiquement du grain à moudre aux conspirationnistes, qui y voient la mainmise des autorités ou d’acteurs tous puissants. Sur les réseaux sociaux, des images spectaculaires circulent, les contenus erronés se multiplient dans un unique but : celui de dépasser l’anxiété généralisée, et expliquer l’inexplicable, à travers la recherche de bouc émissaires. Cette quête ne concerne pas seulement le sens des événements, mais s’intéresse surtout aux responsables, qu’il s’agit de désigner. Les complotistes veulent montrer que la pandémie qui sévit est délibérée et non hasardeuse, et le fruit de concertations entre représentants du pouvoir.
II. La fustigation du doute et la défiance des autorités
La recherche d’un bouc émissaire entraîne nécessairement un sentiment de méfiance accru envers les autorités. Les complotistes s’en prennent avant tout aux membres du gouvernement, les accusant d’incompétence, ou de dissimulation d’intentions malveillantes. Grâce à des comparaisons simplistes qui ne tiennent absolument pas compte des innombrables différences entre pays, les complotistes incriminent l’Etat d’avoir minimisé la situation ou exagéré les règles de confinement. Se méfier des institutions est typique des conspirationnistes, en particulier dans le contexte du covid19: le gouvernement aurait été incapable d’adopter des directives et de diffuser un message clair, rendant l’expression du doute inaudible, dans une cacophonie généralisée. Les multiples porte-paroles du gouvernement d’Edouard Philippe ont accentué la défiance de l’opinion publique, qui ne s’y retrouvait plus. Les tentatives de clarification du propos se sont avérées au pire, vaines, au mieux, maladroites. En témoigne l’initiative gouvernementale concernant la vérification des fake news, très délicate, puisqu’elle rend l’Etat à la fois juge et partie d’un même dispositif. Face à ces défaillances, le modèle allemand a été encensé (Les résultats d’un sondage Ifop réalisé pour Reputation Squad et qui a analysé 1,7 million de tweets et 28 000 articles de presse, montrent que 32% des Français voient l’Allemagne comme le pays le mieux préparé pour répondre aux grands enjeux de demain), et la crise de confiance dans les autorités largement renforcée. Refuser le discours ambiant du gouvernement, c’est en contester tous les rouages : la science, la recherche médicale, l’expérimentation, l’hypothèse, le doute (à ce titre, la figure controversée du professeur Raoult n’a cessé d’alimenter les thèses conspirationnistes). Dès lors, croire en un discours alternatif, conspué par la majorité, revient à espérer apparaître comme un résistant ou un contre pouvoir. Les nombreux groupes qui ont fleuri sur Facebook le prouvent sans équivoque : les internautes se sont rassemblés pour mener une action d’envergure, à l’échelle nationale, le 4 mai, qui n’a finalement pas eu lieu.
III. Le rôle des réseaux sociaux comme amplificateur
La création et la prolifération de ces groupes révèlent la dimension cathartique des réseaux sociaux et des communautés virtuelles, notamment en période de confinement où le temps passé sur la toile est beaucoup plus long. Surtout, les réseaux sociaux amplifient largement les débats, et créent du buzz. Le moindre faux pas des hommes politiques donne lieu à une trainée de poudre, qui peut s’enflammer. La prolifération des trolls, qui s’apparentent à des provocateurs virtuels pour obliger les gens à réagir, est équivoque. Sur Facebook, il est aisé de convaincre un adversaire du bien fondé de sa pensée, à grand renfort de preuves fumeuses, les fake news. De plus, les réseaux sociaux accentuent l’exposition aux théories du complot, et le simple fait d’y être confronté rend plus facile l’adhésion à cette théorie. Facebook apparaît comme un exutoire, où l’on peut cracher son venin en toute impunité avec des gens qui pensent la même chose, car les réseaux sociaux sont conçus pour proposer du contenu en adéquation avec les convictions de l’internaute; Des communautés virtuelles se créent, à l’instar des groupes Facebook, peut-être pour y trouver de la proximité, car le sentiment de défiance ambiant est manifeste de l’écart entre la classe politique et la population. Ces petites communautés virtuelles qui fourmillent sur la toile apparaissent comme des tentatives de rapprochement, face à une actualité et un futur effrayants.