Publicis, c’est une adresse, le « 133 », et un Drugstore célébrissime, dont on ne fera pas la réclame ici. Juste un rappel : le groupe aura 100 ans dans peu de temps, et l’on peut s’interroger sur les secrets de sa pérennité. Si les personnalités emblématiques de ses fondateurs et dirigeants Marcel Bleustein-Blanchet puis Maurice Lévy pourraient magiquement l’expliquer, il est plus vraisemblable que les priorités éthiques qui accompagnent son développement et son avant-gardisme en matière de RSE y soient pour beaucoup. Talents, clients et société composent les trois axes de sa gouvernance, et l’éthique et l’environnement conditionnent sa feuille de route. Alors que la légende veut que Publicis fut l’inventeur en 1968 de la « gestion de crise », pour savoir comment les entreprises endosseront la veste de protagonistes du changement dans le monde d’après (crise), il fallait poser la question à la présidente et à la directrice RSE de Publicis Groupe en France, Agathe Bousquet et Caroline Darmon.
IN : d’un côté la bienveillance, les autres, le bien-vivre, le bien-manger. De l’autre le libéralisme effréné, la consommation à outrance, les difficultés économiques : le « good » aura-t-il le même visage demain ?
Agathe Bousquet : c’est vrai que le good était déjà une valeur en hausse dans le discours des marques, des politiques et des consommateurs. La période que nous traversons accélère ce mouvement et fait émerger de nombreuses initiatives généreuses. Cela tombe bien. Nous avons raison de prendre de l’élan. Notre capacité d’engagement sera cruciale et mise à l’épreuve face aux difficultés à venir. C’est important maintenant de mettre à l’honneur sans réserve la générosité et le collectif. Aujourd’hui, les enquêtes nous disent que le climat reste une priorité devant le pouvoir d’achat pour les Français, malgré l’épidémie. C’est un symbole fort. Mais cela va-t-il durer ? Et du côté des entreprises, combien seront tentées –ou forcées– de vendre plus plutôt que mieux, et de mettre leurs engagements sociaux et environnementaux en stand-by ? Le good implique des choix, individuels et collectifs, et des actions concrètes pour les incarner. Il faudra se rappeler que c’est une priorité d’utilité collective et les marques auront ici une responsabilité majeure.
IN : dans le monde d’après, comment voyez-vous les relations entre entreprises et consommateurs ?
A.B. : encore plus qu’hier, les demandes de transparence, de qualité et de sincérité vont devenir des exigences non négociables pour les consommateurs, au risque de voir leurs marques se faire déréférencer. Nous pilotons plusieurs baromètres chez Publicis pour mieux comprendre l’évolution des comportements des Français. Il en ressort que leur consommation va devenir plus raisonnée et raisonnable. Les consommateurs ayant appris à ne consommer que pour les besoins essentiels depuis plusieurs semaines, les tendances à la déconsommation et, ou au mieux-consommer déjà présentes pourraient devenir des constantes de ces pro- chaines années. L’étude #ResterChezSoi menée par FreeThinking (lire page 60) en continu auprès des classes moyennes laisse présager pour ceux qui le peuvent la volonté d’épargner, pour d’autres de se préparer à pouvoir vivre avec moins et en faisant plus par eux-mêmes.
IN : quel rôle auront les marques ?
A.B. : la question de la proximité, dans tous les sens du terme, sera clé. Proximité géographique d’abord – parce que quand on est amené par la force des choses à redécouvrir tout son environnement et ses commerces sur un périmètre d’un kilomètre, on change de fait ses habitudes, et cela devrait durer. Proximité fonctionnelle ensuite – car les marques qui ont su prendre le virage de l’e-commerce avec intelligence, qui savent adresser au bon moment le bon contenu ou le bon service pour le bon consommateur auront toujours une longueur d’avance. Proximité empathique enfin -les marques qui se détachent et à mon sens se détacheront à l’avenir seront celles qui auront su le mieux s’adapter non seulement aux besoins mais aussi à l’état d’esprit de leurs clients en étant utiles.
IN : et la communication aura son mot à dire pour rétablir la confiance…
A.B. : les crises sont des révélateurs et il y aura probablement une forme de bilan à l’actif ou au passif des entreprises en fonction de ce qu’aura été leur comportement pendant la crise. Quelles entre- prises et quelles marques auront le plus montré leur présence, leur utilité, leur empathie au côté des Français? Lesquelles en revanche ne leur ont pas manqué ?
Celles qui auront été les plus droites dans leurs réactions face aux consommateurs, leur attention à leurs salariés, leurs gestes de solidarité envers les citoyens… partiront avec un capital confiance renforcé. Pour les autres, il leur faudra montrer une vraie capacité à se réinventer et proposer des initiatives concrètes pour être auprès des Français dans la période des douze à dix-huit mois qui vient et qui va être rude pour tout le monde. La défiance vis-à-vis des effets d’annonce va être plus grande encore qu’avant.
À défaut de pouvoir faire des prédictions fiables sur tout, nos convictions profondes et la réalité des engagements pris seront donc nos meilleures boussoles. Nos départements de planning stratégique n’ont d’ailleurs jamais été autant débordés. La communication doit anticiper l’évolution des attentes et des modes de consommation, pour permettre aux marques de transformer leur business model en respectant qui elles sont, en exprimant leur raison d’être. Cela fait déjà plusieurs années que nous « drivons » nos clients et leur marque dans ce sens. Nous serons à leurs côtés.
IN : comment mène-t-on une politique RSE en agence ? Chez Publicis ?
Caroline Darmon : en agence, comme pour n’importe quelle entreprise, c’est regarder nos impacts environnementaux et sociétaux et les diminuer le plus possible. Ce qui est le plus compliqué – parce que notre secteur a été un des derniers à s’interroger sur ces problématiques – c’est de ne pas faire de la RSE une expertise en plus mais de la travailler de façon transverse, intégrée véritablement à la stratégie du groupe et de chacune des entités.
Sous l’impulsion d’Agathe et de Valérie Hénaff, qui dirige la stratégie et l’engagement en France, nous avons défini une vision, Lead the Positive Change, et mis en place de nombreux outils : la Positive Library, première banque internationale de cas RSE, des événements inspirants comme les Positive Talks autour de la thématique Business for Good or Good for Business, ou encore notre process d’éco-communication No Impact for Big Impact. Toutes ces actions permettent à chacune des entités de Publicis France de mieux définir sa RSE, à l’instar de Publicis Conseil qui a reçu dès 2018 le label RSE Agences Actives de l’AACC avec 3 étoiles. Et pour tout mettre en place, j’anime une communauté de plus d’une vingtaine de responsables RSE dans les agences du groupe.
IN : qu’est-ce que ce programme « No Impact for Big Impact » ?
C.D. : identifié par le hashtag #NIBI, il s’agit de notre processus d’éco-communication qui ana- lyse le cycle de vie des campagnes et permet à nos clients de mettre en place de nouvelles pratiques pour opérer ensemble la transition écologique de la communication. Ainsi, quelle que soit l’étape, du brief client à la fin de vie de la campagne en passant par le message responsable ou la production, qui concentre environ 70% des impacts, mais aussi quel que soit le support et le média. Et nous avons ana- lysé les impacts et trouvé des solutions pour les réduire en nous appuyant sur des experts internes (ceux de Live pour les événements, ceux de Prodigious pour le print, les tournages, les shootings…) ou externes (Fré- déric Bordage, fondateur du collectif Green-It pour l’éco- conception numérique). Et parce que les KPIs sont indispensables dans toute démarche RSE, avec Bureau Veritas, nous calculons le bilan carbone pour l’ensemble des campagnes et nous nous sommes fixé des objectifs mesurables et ambitieux pour 2025. Enfin, toute cette partie créative et pro- duction de #NIBI va être bientôt complétée par un dispositif média également ambitieux, dans la lignée de la raison d’être de Publicis Media : « La performance responsable ».
IN : la RSE est-elle un vrai critère de choix pour les annonceurs ? Et pour le recrutement de talents ?
A.B. : c’est le cas pour tout le monde! Côté annonceurs, dans les appels d’offres, les éléments de RSE sont désormais presque toujours demandés quand il y a encore deux ans, on n’y accordait une place que dans 30 % des cas. Et sur notre programme #NIBI, nous avons vu une accélération de l’intérêt porté par nos clients, Garnier, Orange et BNP Paribas en tête. Le programme FAIRe de l’Union des marques, qui a d’ailleurs mis l’éco-production dans ses objectifs 2022, nous aide également dans la prise de conscience de ces enjeux.
C.D. : pour les talents, la question ne se pose plus non plus, c’est une priorité dans leur choix d’entreprise. Nous avons reçu début mars 2020 les jeunes du mouvement Pour un réveil écologique dans nos PositiveTalks et ils nous ont confirmé que même s’ils trouvent que les entreprises ne sont pas assez engagées (à 72% selon le dernier baromètre Talents du BCG de janvier 2020), ils les considèrent aujourd’hui comme les acteurs majeurs du changement (à 86 %), devant les ONG. Ils nous ont également répondu que leur envie première reste de faire bouger ces organisations de l’intérieur en les intégrant… mais si elles ont déjà mis en place des engagements prouvés et sur le long terme. La fameuse quête de sens de la jeune génération nous met ainsi, à bon escient, une pression de plus en plus forte !
IN : la pub doit-elle, plus qu’un autre secteur, assumer publique- ment ses responsabilités ?
C.D. : pas forcément plus qu’un autre secteur, mais a minima au même niveau et plutôt deux fois qu’une! Elle a une forte responsabilité dans les messages, les représentations, les comportements qu’elle véhicule au quotidien et c’est en ce sens que nous devons revoir notre rôle de conseil en stratégie des entreprises. D’ailleurs, dans la crise, les Français attendent de la publicité cette responsabilité : aujourd’hui, 77 % disent qu’elle doit parler de l’utilité des marques dans la nouvelle vie quotidienne et à 75% qu’elle doit les informer sur les efforts des entreprises/marques pour faire face à la situation*. Et parallèlement la confiance dans les campagnes RSE sur le local, la santé, l’environnement ou le bio a encore augmenté de 8 points pour passer à 70 % en avril. En réalité, on ne peut que se féliciter de cette attente croissante de responsabilité envers la publicité.
IN : quelle aide apporterez-vous aux marques pour répondre à l’exigence des consommateurs de mieux consommer ?
A.B. : déjà en continuant de leur dire que oui, les Français sont toujours, voire encore plus avec cette crise, en attente de consommer mieux, quels que soient les secteurs et le profil des consommateurs, chiffres à l’appui. Ensuite, en continuant de prôner le faire autant que le dire. La transformation RSE d’une marque, d’une entreprise dépend d’une feuille de route claire et d’actes concrets sur lesquels se baser. La communication est une action en soi, je l’ai toujours dit, et en tant que telle, elle a un pouvoir d’agir.
Mais elle est une action parmi beaucoup d’autres qui traversent toutes les parties de l’entreprise. Enfin, nous aiderons nos clients en nous appuyant sur notre méthodologie, qui a déjà fait ses preuves, pour aller vers une transformation business qui soit un « consommer plus durable ». Caroline et ses équipes ont des cas exemplaires à valoriser.
IN : Publicis Groupe pourrait demain jouer un rôle sociétal ?
C.D. : Publicis a toujours été un acteur économique engagé, que ce soit à l’époque de Marcel Bleustein-Blanchet, de Maurice Lévy ou aujourd’hui d’Arthur Sadoun. Un exemple parlant : pour la deuxième fois, Publicis Conseil a été nommée numéro une des agences internationales grandes causes au Good Report 2019. Cela récompense notre position d’agence créative engagée en RSE, mais cela confirme aussi notre esprit et l’implication forte des collaborateurs. D’ailleurs, pendant cette crise, nos agences France ont pris part pro bono aux actions de plus d’une vingtaine d’associations, ONG et fondations, sans parler d’opérations spécifiques comme la fabrication de masques en 3D pour les hôpitaux, sous l’impulsion
de Sapient, par exemple.
IN : vous avez lancé en 2019 un réseau professionnel destiné aux employés LGBT+ et leurs allié·e·s, Égalité France. Où en est-il ?
A.B. : le groupe Égalité, c’est d’abord une démarche des équipes elles-mêmes que nous avons soutenue avec bonheur. En un an, des actions de sensibilisation ont été menées, une cellule d’écoute existe en cas de propos ou actes discriminatoires dans le cadre professionnel, des liens forts sont tissés avec d’autres groupes LGBT+ dans d’autres entreprises… Nous sommes fiers de tout ce chemin déjà parcouru. D’ailleurs, d’une manière générale, je suis extrêmement fière et même émue parfois par la dynamique collective et solidaire au sein du groupe.
*Kantar, 27/03/2020.
Illustration de couverture • Marius Guiet
Cet article est tiré de la Revue INfluencia n°33 : « Le Good : Dessine-moi un monde nouveau ». Cliquez ici pour découvrir sa version digitale. Et par là pour vous abonner.