Écologiste convaincu, Olivier Saguez respire le design, tout comme il va au charbon, se coltiner la vie quotidienne des gens pour lesquels il imagine le meilleur. Engagé politiquement, il fait tout pour que sa ville, Saint-Ouen-sur Seine, dont il aime la gouaille, ses Puces, ses marchés ne devienne pas… Levallois. La parole au passionné.
INfluencia : la vague verte de dimanche 28 juin vous inspire quel sentiment?
Olivier Saguez : je pense depuis un petit moment que les deux échelles qui intéressent les gens c’est : la planète et leur village ou, dit autrement, leur quartier . Jusqu’ici, cela ne s’était pas encore traduit dans les urnes, maintenant c’est fait et c’est au cœur des villes, au cœur de la vie des gens, que cette vague se produit. C’est une très bonne nouvelle, d’autant que ce ne sont pas des ayatollahs verts qui ont été élus, mais des femmes – toujours pas assez – et des hommes pragmatiques et concrets .
INfluencia : le covid a-t-il été selon vous, le temps de réflexion nécessaire pour ceux qui se sont exprimés dans les urnes, les jeunes surtout, donc?
O.S. : pour une fois, on a eu du temps pour cogiter, méditer, voire ruminer et… voter. Ceux qui ont flippé pendant le confinement sur le dérèglement sanitaire et climatique se sont dépêchés d’aller voter, et se sont sentis plus impliqués. Les jeunes sont extrêmement concernés par ces questions d’écologie sociale, ils l’expriment rarement par le vote mais se mobilisent autrement.
IN : vous-mêmes en tant que designer sentez-vous « enfin un vent nouveau souffler »? Précurseur dans votre manière- de vivre, de travailler?
O.S. : un vent nouveau, c’est trop tôt pour le dire, il faut attendre quelques mois pour le savoir vraiment. Mais ceci dit, la santé accessible pour tous, la justice sociale, la ville verte, la préservation de la planète sont des réflexions que presque tout le monde partage depuis la crise du Covid-19. Et pour moi qui crois depuis belle lurette à cette écologie sociale, c’est très réconfortant ! Nous sommes à Saint-Ouen-sur-Seine depuis près de 20 ans où nous soutenons des projets associatifs d’éducation et de lien social dans les quartiers. Nous privilégions les partenariats locaux. 92 % de nos fournisseurs sont basés à proximité en Île-de-France. Notre Manufacture Design est dans le premier eco quartier 100% développement durable aux portes de Paris. L’école Design Act ! que nous y avons installée, co-fondée avec Strate, ne travaille que sur des sujets du 93. Dans cette période Covid et post-Covid, où l’on doit sauver la planète et ses habitants, la seule question qui vaille est : Qui embarquer dans l’Arche de Noé ? Un couple d’infirmiers OK, deux chirurgiens OK ,deux boulangers OK, deux maçons OK… et les deux designers ? Sans doute pas, s’ils se prennent pour des artistes, s’ils oublient leurs cahiers des charges et leurs commanditaires, et s’ils sont plus dans l’image que dans l’usage et l’utile du quotidien.
IN : entre la lutte pour plus de tolérance, de solidarité, d’écologie, de réparation du vivant, quel est votre programme de « designer » engagé, et de citoyen ?
O.S. : engagé, je le suis depuis longtemps même si je ne le communiquais pas. Mais on a fini par me convaincre d’en parler, pour encourager d’autres à le faire. On reçoit plus que ce que l’on donne, notamment à travers les belles rencontres. Donner de l’argent, c’est bien, donner du temps, c’est mieux, donner les deux, c’est l’idéal. J’ai beaucoup lu et réfléchi pendant le confinement. Je crois que le design s’est trop préoccupé de l’industrie au détriment de l’homme et de son environnement. Même si nous ne sommes qu’une espèce parmi d’autres espèces du monde du vivant, comme nous le rappelle Baptiste Morizot*, nous devons nous inspirer de la nature qui est raisonnable, où tout est utile, recyclable, et qui en plus ne fait jamais de faute de goût, comme disait mon grand père. Je crois à la nécessité de revenir à un design frugal, essentiel et durable. Nous sommes partenaires de l’évènement Agir pour le Vivant qui se tiendra à Arles du 24 au 30 août, à l’initiative d’Alain Thuleau, fondateur de Comuna, et pour la première fois de ma vie, je me suis engagé dans ma ville de Saint-Ouen-sur-Seine, pas comme candidat mais comme militant. J’ai pu écouter et observer les besoins, les attentes, les envies de cette ville où il y a une concentration de problèmes sociaux et environnementaux et où il faut faire cohabiter plus de 100 nationalités. J’ai parcouru pas mal de cages d’escaliers … et puis au-delà de soutenir une liste et son projet, j’ai fait des rencontres improbables qui m’ont remis un peu les idées d’être utile en place. À l’entre-soi, je préfère le métissage, la diversité.
IN : chacun y va de son étude pour expliquer que le travail ce sera désormais à la maison en « télécran ». Votre position?
O.S. : on travaille beaucoup sur le monde du bureau et de l’environnement de travail depuis dix ans. Je ne crois pas du tout qu’on peut bien bosser à long terme chez soi, (sauf peut-être celui qui a un bureau quasi insalubre, qui travaille seul et qui est mal payé…) La force du collectif qui domine aujourd’hui ne résistera pas au télétravail qui isole, génère du stress et annihile la solidarité, partie intégrante de l’esprit d’équipe. Sans le bureau, l’apprentissage – qui passe par la découverte du travail des autres, l’échange, le partage et par un certain tutorat ou compagnonnage – disparaîtra. L’esprit d’entreprise a besoin d’un lieu qui rassemble avec ses rituels comme le papotage à la machine à café, la pause cigarette sur la terrasse, le déjeuner où tout le monde se regarde, la radio-couloir, l’after-work…
IN : d’un point de vue humain, ne serait-ce pas à l’encontre de ce qui nous permet d’évoluer ensemble, d’échanger, d’être ensemble et d’être moins individualiste?
O.S. : le bureau c’est comme le commerce, on n’y va pas que pour y travailler ou pour faire des courses, c’est un lien social, une manière de rencontrer les autres, de partager, de transmettre .Vivre, télétravailler, faire ses courses en ligne, se soigner par téléconsultation, jouer chez soi, j’appelle ça l’enfer ! C’est rester confiné dans ses petites idées et se rétrécir la pensée, les envies, le désir. Je veux voir le monde, rencontrer du monde, et puis je veux bouger, changer de place, pour voir autrement. Savez-vous qu’une amitié sur deux et qu’une relation amoureuse sur dix se nouent au bureau ? Va-t-on finir par ne rencontrer que ses voisins d’immeuble ?
IN : il y a encore un an le coworking, les espaces partagés, les tiers lieux étaient sur toutes les lèvres. Tout cela a-t-il été balayé par la crise du covid?
O.S. : non, le co-working permet aussi de se rencontrer, d’échanger et a priori de travailler mieux que chez soi, près de chez soi. Je crois à une journée voire deux, pour certaines activités, de télétravail. En revanche, le tiers lieu ou le coworking, bien équipé et confortable, peut-être une bonne solution pour un bureau d’appoint. Cette tendance va continuer à se développer, mais sur un mode moins déglingue, moins canapés sur palettes… Il sera plus rigoureux pour mieux répondre aux attentes d’usages, d’ergonomie et de confort. Les nouveaux projets vont dans ce sens.
IN : vivez-vous votre vocation de designer comme une lutte politique? Et dans ce cas comment comptez-vous agir concrètement?
O.S. : c’est une vraie question ! Je crois, en tant qu’entrepreneur et en tant que designer, que j’ai, que nous avons, un rôle social à jouer dans la cité, dans la transformation du quotidien des gens, dans la préservation de la planète encore. J’ai toujours pensé que le design était un acte social et démocratique. Ce n’est pas un hasard si les pays nordiques, qui ont une conscience sociale forte, sont des terres d’un design juste. Faut- il s’engager politiquement ? Je l’ai fait car j’aime Saint-Ouen-sur-Seine, sa gouaille, ses Puces, ses marchés et que je voulais aider la ville à garder son âme et à ne pas devenir Levallois. C’est très personnel et ça n’a engagé bien sûr que moi, pas mon entreprise. Ceci dit, dans notre agence beaucoup de collaborateurs sont engagés dans des associations, des collectivités, des aides humanitaires et je trouve cela formidable .
* Manières d’être vivant, Baptiste Morizot, Actes Sud 2020