10 septembre 2020

Temps de lecture : 4 min

Akon dévoile « Akon City », une ville futuriste digne du Wakanda

Le chanteur Akon lance la construction d’une ville intelligente futuriste à une centaine de km de Dakar, sur la petite côte du Sénégal, dont l’économie sera basée uniquement sur sa monnaie virtuelle : l’Akoin. Reste à convaincre les populations locales des bien -ondés du projet…

Le chanteur Akon lance la construction d’une ville intelligente futuriste à une centaine de km de Dakar, sur la petite côte du Sénégal, dont l’économie sera basée uniquement sur sa monnaie virtuelle : l’Akoin. Reste à convaincre les populations locales des bien-fondés du projet…

« Home sweet home ». Au crépuscule -on est vache…- d’une carrière musicale parfaitement négociée, qui l’aura vu ambiancer les clubs du monde entier au tournant du XIXème siècle, le chanteur/rappeur américain Akon s’attaque à présent à l’entreprise le plus importante de son existence : la construction d’une « ville intelligente » portant son nom -Akon City- dans son fief du Sénégal. L’artiste d’origine Sénégalaise a posé la première pierre du projet pharaonique au début du mois de septembre et ne compte pas s’arrêter là. Dakar ne s’est pas construite en un jour.

Le programme est incroyablement ambitieux : matériaux de pointe, studios de cinéma, hôtels, université, hôpitaux, centres d’affaires et de loisirs, mais aussi un district agricole et des îles artificielles… en bref, une ville nouvelle, futuriste et écologique, et qui pourra à terme accueillir 300 000 habitants. Le projet a été estimé à 6 milliards de dollars et sera mené à bien dans le petit village de Mbodiène, sur les rives de l’Océan atlantique, à une centaine de kilomètres au sud de Dakar.

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— AKON (@Akon) August 31, 2020

Une dimension politique affichée

Cette ville intelligente, imaginée par l’architecte Hussein Bakri, se veut une ode à la culture ouest-africaine : « Je veux que l’architecture ressemble aux vraies sculptures africaines qu’ils font dans les villages. Les formes sont peut-être bizarres, mais au moins, elles sont africaines. » Un mélange d’ultra-modernité et de tradition censé offrir aux Afro-Américains victimes du racisme systémique un « chez-soi » authentique afin de renouer avec leurs racines.

« L’une de mes plus grandes motivations est que, quand je suis aux États-Unis, je rencontre beaucoup d’Afro-Américains qui ne comprennent pas vraiment leur culture. J’ai donc voulu construire une ville ou un projet comme celui-ci pour leur donner la motivation de venir voir d’où ils viennent ». Une portée sociale qui n’est pas sans rappeler la dimension politique du Wakanda -pays fictif que l’on retrouve dans les films Marvel-, qui devient au fil de l’histoire une terre de refuge pour les opprimés du monde entier, synonyme de solidarité entre les nations, d’ouverture et d’innovation. Une référence évidente et totalement assumée par l’intéressé. Big shoes to fill…

Les travaux débuteront véritablement début 2021 avec une première phase de développement censée s’achever en 2023 et qui couvrira 55 hectares. À terme, à savoir dans une dizaine d’années, le complexe devrait s’étendre sur 500 hectares. Le projet est également un bon moyen de mettre la lumière sur l’entreprise Akon Lighting Africa du chanteur par laquelle il ambitionne d’électrifier l’Afrique grâce à l’énergie solaire. Rien d’étonnant qu’Akon ait lui même rappelé la dimension écologique de son projet. Il a aussi expliqué s’être rendu à Mbodiène pour recueillir les conseils et les bénédictions des anciens, et estimé que les populations locales, ainsi que la jeunesse sénégalaise, profiteront de ce nouveau pôle de développement.

La monnaie du rap game

Un autre projet du chanteur qui va profiter pleinement de l’exposition médiatique que connait la cité est sa cryptommonnaie, intitulé sobrement… l’Akoin. Celle-ci aura la lourde tache de faire fonctionner seule l’économie d’Akon City. Lancée en 2018, elle se présente comme une devise « qui alimente les rêves des entrepreneurs, des propriétaires d’entreprises et des activistes sociaux qui se connectent et s’engagent dans les économies émergentes d’Afrique et d’ailleurs ». Rien que ça. Pour que l’idée émerge, Akon et ses équipes sont partis d’un constat simple : plus de 60% des Africains ont moins de 25 ans, et la grande majorité d’entre eux ne sont affiliés à aucun système bancaire. Ils dépendent principalement de leurs smartphones. D’ici 2034, le continent africain devrait compter la plus grande population en âge de travailler, soit 1,1 milliard de personnes. L’Akoin pourrait donc rapidement toucher tout le continent, sans se cantonner au Sénégal. D’une pierre deux coups, c’est l’effet domino… vous avez compris la logique.

Des accents trumpiens

Si le projet en lui-même a des atouts indéniables et semble animé par des intentions louables, il ne faut pas se laisser aveugler par les anglicismes pompeux balancés depuis une conférence de presse à Los Angeles. Il faut dire que depuis les premières évocations romancées dans le débat public de ces villes intelligentes, plusieurs voix se sont élevées pour mettre à mal certaines idées reçues les concernant, en pointant du doigt par exemple les graves déséquilibres socio-culturels qu’elles peuvent engendrer, ou plus globalement les méfaits de la sur-urbanisation sur un territoire donné. À ce sujet, nous avions publié en mars 2017, un article intitulé « Regard critique sur la Smart City » et qui, à l’aide d’une étude menée par un acteur du développement technologique des villes intelligentes, cherchait déjà à les démystifier.

Mais la plus grande crainte concernant ce projet est qu’il ne serve pas véritablement les intérêts des populations locales. En nous documentant sur le sujet, nous sommes tombés sur une tribune d’un média sénégalais qui n’hésite pas souligner avec amertume, non sans une certaines ironie, toute la mégalomanie de l’entreprise d’Akon. Selon ses auteurs, on croirait la cité « tout droit sortie de l’imagination fertile d’un dessinateur de comics américain (…). À l’heure où de nombreux quartiers de la capitale et d’autres villes de l’intérieur sont inondés suites à des pluies diluviennes, où se loger correctement est devenu un luxe, un tel projet est-il vraiment fait pour nous ? A-t-on besoin d’une ville ghetto réservée aux plus riches ? D’attirer les touristes en faisant fi de tout ce qui fait notre authenticité ? Nous avons besoin de maisons basses et aérées et d’espaces verts, de petites écoles qui ne sont pas inondées chaque année, nous avons besoin de bannir le béton et de confier à nos architectes le soin d’imaginer nos logements. Nous avons besoin de préserver nos plages et nos sites encore sauvages. Nous avons besoin de planifier nous-mêmes notre développement et pas de confier notre avenir aux rêves mégalomanes d’un rappeur américain ». Au grand dam d’Akon, nul n’est prophète dans son pays.

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