Le Président de DDB, Jean-Luc Bravi nous apporte avec son franc parler sa version des faits quant à cette époque perturbée, confuse, dont il dit drôlement : « on va y arriver, de toutes façons, on n’a pas de plan B ».
INfluencia. : comment vivez-vous cette crise de la Covid qui n’en finit pas? Quels effets sur votre mental de sportif endurant?
Jean-Luc Bravi : Tout d’abord l’expérience du confinement vécue à Paris a été paradoxalement assez positive, notamment sur l’aspect émotionnel, le retour forcé aux choses qui comptent vraiment, trop souvent oubliées dans nos vies de dingues, remplies de choses inutiles. Bizarrement, nous avons découvert que l’Intelligence Artificielle, ne nourrissait pas nos estomacs, ne ramassait pas les fruits & légumes de saison dans les champs, mais bien des agriculteurs en manque de main d’œuvre. C’était brutal, mais au final, même en visio, face à l’incertitude et l’adversité, un lien fort nous a tous unis, équipes de l’Agence et Clients. Après, l’humanité et son arrogance ont pris un sacré coup derrière la tête, comment un petit virus peut-il mettre la planète à genoux aussi rapidement et pour si longtemps ?
IN. : plus personnellement ?
J.L.B. : au début c’était Walking-Dead, lorsque nous sortions faire les courses dans un Paris vide, ma compagne est devenue tour à tour mon équipière, ma coach, ma psy, ma sentinelle, ma conseillère, c’était top de passer autant de temps avec elle, de partager son quotidien, que je ne connaissais pas forcément. Lors de mes pauses, je la voyais apprendre à dessiner à des enfants en live sur Instagram, l’ambiance était plutôt joyeuse à la maison, malheureusement l’absence de nos 2 filles qui vivent et travaillent à New York est une douleur permanente. Le plus difficile mentalement c’est de ne rien maîtriser, de ne pas connaître la date du jour où nous les serrerons fort dans nos bras.
IN. : DDB connait une rentrée riche en création. Un peu comme si la crise était derrière… Comment l’expliquez-vous ?
J.L.B. : même si elle s’est globalement bien passée, la quarantaine a créée des frustrations et donc des réactions de résistance, au-delà de notre travail pour nos Clients nous avons pro-activement conçu des campagnes pour Volkswagen, McDonald’s, Honda-Motos et bien d’autres, parce que nous avions la rage au ventre que cette pandémie mette à mal le business de nos clients et donc notre métier… Donc après un KO debout de quelques jours, nous avons repris nos esprits avec ce motto : « pendant la fin du monde l’Agence reste ouverte » et nous avons délivré.
IN. : une lame de fond nous entraîne à tout changer…
J.L.B. : nous n’allons pas, en quelques mois, changer un modèle basé sur le commerce, depuis la nuit des temps. Mais il n’en reste pas moins que nous devons refonder la société, la réformer en profondeur, l’intérêt général doit désormais guider les actions de tous (des politiques, des marques et du grand public). C’est certain le bénéfice individuel ne sera plus acceptable s’il se fait au détriment du collectif. Cette mutation vers une société durable est en marche, elle sera longue et difficile, mais je vois bien que nos clients s’engagent très sérieusement vers une consommation beaucoup plus responsable cherchent de nouveaux modèles, de nouvelles façons de créer, de produire et de vendre. Les dirigeants qui ne feront pas les transformations nécessaires, qui auront continué à faire du profit sur le dos de la planète vont le payer cher très vite, dans quelques années, ils seront les responsables de la destruction de leur Marque. A ce sujet, je crois beaucoup à la pensée de Navi Radjou qui considère la sagesse plus utile à l’intelligence pour réformer notre société, car la sagesse a la capacité d’accommoder des objectifs antagonistes, comme profitabilité et durabilité.
IN. : comment sont les clients, vos relations, leur état ?
J.L.B. : ils sont inquiets. S’ils vont mal, nous avons mal aussi et plus que jamais nous leur avons prouvé par des actes que nous étions des armes à la reprise. Forcément, lorsque vos concessions, vos gares, vos restaurants, vos boutiques, sont fermés, il y a beaucoup de craintes, pour l’emploi, pour l’effondrement du système. Alors oui, il y a eu des coupures de budgets mais aucun de nos clients ne s’est dit qu’il sortirait de cette crise en ne faisant rien, en se recroquevillant sur lui-même, en attendant que cela passe. Au plus fort de la pandémie, nous avons travaillé avec eux sur différents scénarii suivant les différentes situations des Marques, à l’arrêt, en activité partielle ou en totale activité. Nous avons un peu ralenti les opérations image et nous nous sommes concentrés sur des opérations digitales de « précision marketing ». Nos data analysts ont cherché à comprendre les données du moment, afin de préparer les meilleures réponses, les offres les plus pertinentes. La plupart du temps le travail portait beaucoup sur la bataille de la reprise à gagner, sans trop savoir quand elle démarrerait.
IN. : le télétravail, l’une des marottes là aussi d’une nouvelle société, est-il votre tasse de thé. Quelle organisation vous semble la plus adéquate ?
J.L.B. : le monde, contraint et forcé, a découvert le télétravail et le constat est immédiat : ça marche, c’est efficace. Il nous a permis de servir nos clients dans des situations de lockdown, mais il y a aussi du moins bon. Chez DDB, nous sommes un collectif très « team spirit », il y a un fort sentiment d’appartenance. Sur la durée, le télétravail pourrait éroder cette cohésion, tellement importante à la performance de l’Agence. Nous avons démarré en test depuis la rentrée, la formule 3 jours à l’Agence, 2 jours en télétravail pour ceux qui le souhaitent, évidemment sans forcer ceux qui se sentent à risques, qui restent chez eux.
IN. : envisagez-vous comme d’autres de réduire l’espace, de réduire les coûts de location, en préconisant ce fameux télétravail, ou avez-vous d’autres options ?
J.L.B. : non, l’espace gagné nous permet de rajouter des espaces cool (canapés, fauteuils, bars…), des salles de réunions et de moins serrer les personnes dans les différents open-space.
IN. : vous avez lancé une opération pour Volkswagen, comme si de rien n’était, en mode pas de crise… l’humour est-il une des clés de la communication aujourd’hui ? N’avez-vous pas eu peur à un moment donné de voir la peur d’être léger vous stopper dans vos stratégies ?
J.L.B. : d’abord, nous n’utilisons pas l’humour comme seul registre créatif, nos campagnes Hennessy, MAIF, Ubisoft ou LCL ne font pas appel à ce registre. Volkswagen, c’est une longue histoire d’amour, démarrée par Bill Bernbach en 1949 à New York. Une Marque allemande commercialisant des voitures de qualité a décidé de ne pas se prendre trop au sérieux et de raconter avec esprit la supériorité de ses produits, parfois même certains défauts comme avec la Beetle, cela afin de créer un avantage émotionnel avec le public. Mais ne vous y trompez pas, plus que drôles, nos créations sont fortes et efficaces, elles donnent la migraine à nos concurrents, qui cherchent en vain à copier ce système de communication. Dans la dernière campagne à laquelle vous faites référence, l’humour vient du fait que les personnes remplacent le « je t’aime » dans leur vie, par le « j’ai envie que tu conduises une Volkswagen ». Au-delà de la vérité du moment, ce fort besoin d’amour, l’insight est extrêmement leader, quelle autre marque peut se le permettre sans que cela ne pèse 3 tonnes !
IN. : comment définiriez-vous DDB aujourd’hui ? A-t-elle évolué portée elle aussi par la quête de sens, d’éthique, et communiquerez-vous un jour sur ce sujet, comme d’autres le font ?
J.L.B. : pas de la communication… des actes ! Dans la culture de l’Agence, notre façon de faire ce métier, il y a la vérité humaine, notre travail sur les comportements humains. Nous détestons les clichés, les artifices, la réclame qui ne construisent rien de fort pour les Marques. Et cela est d’autant plus vrai que désormais contribuer au bon développement de la société est un élément essentiel du business model de ces dernières.
IN. : incontournable, la folie pour la bicyclette, votre passion depuis près de 20 ans, semble vous réjouir. Vous dites même qu’Anne Hidalgo a fait du bon boulot avec toute sa politique voies cyclables, alors que beaucoup râlent… de ce choix pro-vélo.
J.L.B. : c’est vrai, je me réjouis que cet objet aussi simple et génial, puisse désengorger les centres villes, partout dans le monde et bien sûr à Paris. En plus, c’est un véhicule très modeste en coût d’achat et d’utilisation, d’ailleurs, autant l’acheter sur Leboncoin, où l’on trouve un énorme choix et l’on réduira encore l’empreinte carbone. Ce que j’apprécie chez Anne Hidalgo, c’est qu’elle a pris ses responsabilités. Il y a toujours un moment où il faut agir, si vous écoutez tout le monde vous faites du sur-place et forcément, elle a des détracteurs, car ses travaux ont provoqué le chaos dans Paris pour les automobilistes. Au-delà du réchauffement de la planète, le vélo peut régler de nombreux problèmes, à commencer par la santé physique et mentale de l’utilisateur, lorsque vous pédalez sur votre piste cyclable vous êtes moins agressif, moins stressé (no road rage). Vous êtes beaucoup plus en prise avec l’environnement, les saisons, le froid, le chaud, la pluie, mais aussi les quartiers, les bâtiments, le pouls de la ville, ses différentes senteurs (le pain frais, le café, …). Finalement, on redevient plus humain.
IN/ Marseille, Lyon et autres villes sont désormais vertes. Est-ce la preuve que l’on ne peut plus nier notre situation catastrophique ?
J.L.B. : nous devons agir, la situation est alarmante, donc des actes forts sont nécessaires. On parle des vélos, des pistes cyclables mais il faut planter des millions d’arbres (vs des milliers à Paris), cette merveille de la nature absorbe le carbone, réduit les températures de 4 à 5 degrés. Un arbre est une clim naturelle, une arme efficace contre le réchauffement et les canicules estivales sur le béton, New York l’a fait ces dernières années avec 1 million d’arbres : projet (MillionTreesNYC).
IN. : comment expliquez-vous que l’écologie soit encore politique, alors qu’elle est transverse et nécessaire, tout simplement ?
J.L.B. : d’abord, dans le passé, la situation ne semblait pas aussi alarmante et les Français ne faisaient pas confiance aux candidats verts, destructeurs d’emplois pour les classes populaires, de rendements pour les agriculteurs, de rentabilité pour les classes aisées. Un parti de droite ou de gauche ne peut pour l’instant agir réellement sur l’écologie, car ils ne peuvent mener plusieurs combats opposés à la fois : pouvoir d’achat des uns (ex prix du diesel) ou la rentabilité des autres (ex Glyphosate) font que vous ne pouvez jamais aller au bout de vos convictions. A priori, un vrai parti écologique a dans son fondement, ses engagements et ses combats, une seule véritable mission : la sauvegarde de la planète et de ses habitants, mais là, se pose la question du comment sans tout faire sauter (emplois, richesse, …) Aujourd’hui, la jeunesse, compte tenu de la situation, semble plus engagée, plus déterminée à faire changer, cela reste difficile, mais elle a le pouvoir de faire élire des candidats ou en sanctionner d’autres, idem pour les Marques (choisir ou sanctionner)
IN. : L’humain est surdoué en matière de destruction. Comment voyez-vous la suite ?
J.L.B. : Cambridge Analytica qui, grâce à Facebook, a faussé les élections américaines en 2014, la façon dont le choix pour le Brexit a été influencé, Bolsonaro qui a utilisé WhatsApp pour diffuser de fausses informations et gagner les élections, tout cela est plus qu’inquiétant car c’est le devenir des peuples qui est en jeu. La liste grossit, partout dans le monde des chefs d’états tordus et décomplexés utilisent les réseaux sociaux et même les média classiques (ex Fox Roger Ailes) pour gagner ou discréditer des opposants. C’est effrayant ! Les faux mecs cools en tee-shirt de la Silicon Valley sont complices de ces nouveaux comportements, ils contribuent à amplifier la haine, le racisme, la violence, le mensonge. A ce sujet, plus que les politiques, ce sont de grandes Marques qui les ont sanctionnés en retirant leurs investissements.
IN. : ne demande-t-on pas trop aux marques ? Est-ce bien leur rôle ?
J.L.B. : je crois beaucoup plus aux Marques qu’aux hommes politiques pour agir. Une grande Marque est moins égocentrique, plus altruiste, elle a toujours un temps d’avance, elle a le pouvoir d’agir et s’inscrit dans la durée. Désormais, dans son business model, il doit y avoir le durable. Regardez le Groupe Rocher, première entreprise à mission au monde, la Maif et d’autres qui arrivent ; cette nouvelle génération de dirigeants a pris à bras le corps le sujet, ils sont l’exemple à suivre. Passez du temps avec Bris Rocher ou Pascal Demurger, vous verrez leur détermination. Idem pour les constructeurs automobiles qui travaillent sur la nouvelle génération de véhicule 100% durable. ON VA Y ARRIVER DE TOUTES FAÇONS, ON N’A PAS DE PLAN B…
IN. : question désormais rituelle, Quelle est votre analyse sur le thème « En avez-vous vraiment besoin? », nouvelle marotte des censeurs ?
J.L.B. : je suis assez énervé par ces nouveaux moralisateurs de la société, ce conservatisme qui cherchen toujours le bouc émissaire, c’est toujours la faute de quelqu’un et ils désignent très vite le coupable, nous expliquent ce qui est bien ou pas. « En avez-vous besoin est leur nouveau leitmotiv ? ». Mais cette question ne s’arrêtera pas au pot de confiture à la fraise, à la voiture… elle touchera aussi la culture, les arts, le cinéma, la musique, l’information, les média, le football, les JO…etc ? Dans l’absolu, il est vrai que nous n’avons pas besoin du dernier film de Christopher Nolan, d’une étape de Montagne du Tour de France ou de l’Opéra Garnier… mais en fait, nous en avons terriblement besoin, parce que nous sommes terriblement humains, terriblement fragiles, nous savons tous que la vie est éphémère, nous sommes de passage sur cette terre, avec l’envie de bien vivre, nous ne pouvons-nous enfermer dans un trou et attendre la fin.