26 novembre 2020

Temps de lecture : 8 min

Lionel Cuny : « Google, Amazon, Instagram, Youtube, Netflix ne se sont pas construites grâce à la pub »

Président d’Insign Agency, Lionel Cuny ne mâche pas ses mots pour exprimer le malaise qu’il ressent à l’égard d’une profession qui selon lui ne fait pas tout ce qui est en son pouvoir pour être prise au sérieux. Interview cash du trublion de la Corporate Family.

Président d’Insign Agency, Lionel Cuny ne mâche pas ses mots pour exprimer le malaise qu’il ressent à l’égard d’une profession qui selon lui ne fait pas tout ce qui est en son pouvoir pour être prise au sérieux. Interview cash de l’intéressé du trublion boss de la Corporate Family.

INfluencia : vous avez réagi assez violemment à la diffusion de la tribune signée entre autres par l’AACC contre les quelques unes des 150 propositions de La Convention citoyenne pour le climat qui attaquaient la publicité. Pouvez-vous nous rappeler pourquoi ?

Lionel Cuny : il n’y a pas de violence mais l’envie de faire entendre une autre voix. Parce que je trouve que ceux qui ont la responsabilité de représenter la profession des agences et des annonceurs, ne sont pas à la hauteur des enjeux. Qui peut nier qu’il y a trop de publicité aujourd’hui ? Il n’y a d’ailleurs aucune étude sérieuse qui comptabilise cette réalité. Certains parlent de 5000 messages publicitaires par jour contre 2000 il y a 10 ans (Cabinet Yankelovitch). Certains comme Media Dynamics parlent de 362 contre 296 en 1985. Les dépenses publicitaires ont crû de 8 milliards en 10 ans. Donc oui il y a trop de pub. Et ce qui me gêne c’est que ce marché est dans le plus et pas dans le mieux. Que vaut-il mieux pour une agence ou un annonceur ? Une pub plus efficace mais plus chère parce que plus rare ou une publicité moins chère mais moins efficace?

IN. : que reprochez-vous exactement aux « communicants »?

L.C. : d’être conservateurs, de vouloir continuer de faire comme avant. De ne pas réussir à être auto disciplinés et à se réguler. De ne jamais reconnaître ses responsabilités, d’être dans le syndrome de la plaque de verglas. Ils ont glissé et ont eu un accident, c’est la faute du verglas. Que 40 voitures soient passées au même endroit et qu’elles n’aient pas eu de problème ne leur effleure pas l’esprit. Que l’on trouve normal qu’un taux de clics soit bon quand il est de 0,15 % devrait nous alerter. Notre responsabilité dans la construction de représentation ? Rien. La sexualisation de la femme ? L’obésité ? La surconsommation ? L’égalité ? La diversité ? Pour la patrie de droits de l’homme, les Anglo-Saxons ont plus fait bouger les choses que nous. RGPD ? Est-ce que l’on a entendu quelqu’un de notre profession dire que c’était une bonne chose ? Le scandale Cambridge Analytica ? Qui a réagi ? Aucun des professionnels de ce secteur. Alors que nous sommes au cœur du sujet. On hurle dès qu’il y a une réglementation mais il y a règlementation parce que nous sommes incapables de réagir collectivement et de nous aligner. Mais la règle elle vient toujours a posteriori quand il y a des débordements. Ce que l’on traverse mérite que l’on prenne les choses en main, et que l’on aille de l’avant. Dans la période que l’on traverse, on ferait mieux de se serrer les coudes plutôt que de serrer les fesses en restant sur nos positions.

IN. : la pub a toujours été un bouc émissaire facile pour ses détracteurs, comment l’expliquez-vous ?

L.C. : la pub, c’est la partie émergée de l’iceberg de la société de surconsommation. Mais on mérite ce qui nous arrive. Il faut juste le reconnaître et cesser de jouer les victimes. Il y a beaucoup de monde qui gagne beaucoup d’argent dans ce métier. Une techno en chasse une autre. Une mode chasse l’autre. Et tout le monde s’engouffre dedans. Ce marché se berce d’illusions en se retranchant derrière la créativité. Oui nous sommes créatifs. Mais nous ne sommes plus / pas ou un objet culturel. Cela a peut-être été le cas dans les années 70 ou 80. Mais nous sommes un acteur économique avant tout. On est une caricature de nous-même parfois. On cherche à se faire plaisir plus qu’à être efficaces. On fait faire des gros paris à nos clients sans avoir aucune idée de ce que ça va produire. Tout le monde va citer Seguela en disant moins de tests, plus de testicules, ce qui est problématique à deux titres. Le courage serait uniquement un attribut masculin, et d’autre part est ce qu’Apple lance des produits sans les tester ? Est-ce que les start-up lancent des choses sans les tester. Est-ce que Apple, la société dont tout le monde reconnait qu’elle est une des plus créative, ne teste pas ses produits ? Elles ont industrialisé les tests AB et sont pour la plupart beaucoup plus créatives que les agences.

IN. : y-a-t-il des comportements de publicitaires qui vous ont semblé irresponsables ?

L.C. : oui la tribune pour défendre le droit d’interdire et de faire de la publicité en toute impunité et sans vraiment de contrôle. La pub de Van Moof interdite alors qu’on laisse les pubs sur les SUV continuer. C’était irresponsable. Laisser n’importe qui faire ce métier sans aucun contrôle ça l’est. De ne pas avoir résolu le problème des appels d’offres ça l’est parce que nous sommes en train de scier la branche sur laquelle nous sommes assis. De ne pas avoir plus de diversité dans nos agences ça l’est. De ne pas avoir sévit plus tôt sur les questions de harcèlement ça l’est. De ne pas être solidaire ça l’est. Il y aura toujours quelqu’un qui acceptera de travailler pour moins cher dans des conditions encore plus dégradées. Accepter de travailler en sachant très bien que ce que l’on fait ne sera pas efficace et ne sert à rien ça l’est.

IN. : pensez-vous que les agences conseil en pub auraient dû agir plus tôt dans la refonte des messages et de la transformation qui bouillonnait déjà depuis quelque temps, ?

L.C. : le fait que dans le Top 10 des marques se soient créées et à ce niveau de performance devrait interpeller. Google ? Amazon ? Instagram ? Youtube ? Netflix ? Elles ne se sont pas construites grâce à la pub. Que des clients nous demandent des vidéos « à la Brut ou à la Konbini » devrait interpeller. Le problème de notre profession, c’est de reconnaître que la pub n’est qu’un des paramètres et plus le seul déterminant.

IN. : pensez-vous qu’elles aient fait du greenwashing en toute impunité avec la complicité des marques ?
 
L.C. : bien sûr qu’on fait du green wahsing. Mais comme on n’est pas comptable des résultats, on peut toujours se retrancher derrière le brief client. Mais imaginons que nous ne soyons plus dans une obligation de moyens mais de résultats, je crois que les choses changeraient beaucoup. Parce que l’on sait quand, on va dans le mur ou que ce n’est pas la bonne direction, la bonne chose à faire, que le budget n’est pas adapté aux enjeux . Mais on n’est pas payé pour ne pas faire les choses, on l’est pour en faire. Alors trop souvent on fait bonne fortune contre mauvais cœur.

IN. : y-a-t-il selon vous d’un côté les agences de pub et les agences corporate? Et dans ce cas comment vous positionnez-vous?

L.C. : je ne pense pas qu’il faille voir les choses sous cet angle. D’abord parce que beaucoup d’agences de pub font du corporate et en ont fait. Mais ce qui a vraiment changé depuis 10 ans c’est que l’image de l’entreprise compte désormais autant que celle des produits. Les consommateurs sont hyper sensibles à l’entreprise qui se cache derrière ses produits, à la manière dont elle traite ses collaborateurs, à la manière dont elle produit, la manière dont elle se comporte. Mais de plus en plus de problématiques sont désormais traitées sous un angle corporate. Mais le corporate nécessite de la nuance et ne peut pas être simplifié à l’extrême. Les choses ne sont jamais noires ou blanches ou simplistes. C’est souvent pour cela que les publicitaires bloquent souvent sur ces sujets, parce qu’ils sont complexes et que la complexité peut difficilement être résumée à une accroche ou un visuel.

IN. : le fait que ce soit les publicitaires qui s’emparent de la raison d’être ne biaise-t-il pas l’exercice ?

L.C. : c’est une interrogation légitime. Si l’exercice est fait uniquement à des fins de communication oui évidemment. S’il est fait dans un cadre d’authenticité, de transparence et d’un projet commun, non. Les agences ne sont pas uniquement là pour trouver l’idée toute seule et imposer une vision de l’avenir. Notre métier c’est d’être capable de faire produire de la créativité et d’aligner toutes les parties prenantes d’une entreprise. Faire travailler des gens intelligents ne suffit pas à produire quelque chose d’intelligent. Ça s’apprend, ça se cultive. Je note là encore que de nombreuses sociétés ont fait de l’intelligence collective un mode opératoire systémique et qu’elles ont des résultats exceptionnels. Les Steve Jobs il n’y en a pas tant que cela. Les agences savent le faire depuis longtemps. Il faut l’étendre à des équipes mixtes, clients et agences, mais aussi aux consommateurs, aux actionnaires… et accepter que l’idée qui aligne tout le monde est meilleure que l’idée d’un seul, aussi brillante soit-elle. Donc ce qui compte dans la raison d’être c’est moins le résultat que le process. Que ce soit un cabinet de conseil, une agence ou un free lance, le problème n’est pas là. C’est un exercice de construction d’une représentation sociale partagée avant tout.

IN. : comment pensez-vous aujourd’hui la com ? A-t-elle sa raison d’être? Ou c’est à d’autres métiers voisins de prendre le relai? Informer, former, créer, innover, faire adopter de nouveaux usages, dans les règles… C’est moins fun que de faire un bon spot de pub qui fait du buzz….

L.C. : la com ne peut pas se penser de manière isolée. Faire une com qui serait déconnectée du modèle opérationnel ou du modèle économique n’a plus de sens. Ce qui fait la différence c’est la qualité de l’exécution d’une expérience client. Dans de nombreux cas, on a le sentiment que les marques n’ont pas intégré qu’il n’y a plus de frontière entre le physique et le digital. La pub raconte quelque chose et l’expérience digitale une autre. D’une part parce que le legacy digital offre moins de souplesse d’adaptation. Et d’autre part parce que ce ne sont pas les mêmes équipes qui sont chargées de ses sujets, mais que la coordination est absente. Chacun à sa feuille de route, son plan, son territoire. Alors que si l’on est hybride, si on aligne, on va beaucoup plus loin. C’est ce qu’il y a derrière notre modèle. Des customer success management team en charge de piloter la réussite du client. Pas d’avoir le plus beau site, la plus belle campagne, la meilleure opé d’activation sociale, le plus bel article dans la presse… Integration is perfection disait Ford.

IN. : aujourd’hui ce ne sont pas simplement les consommateurs qui réclament de la responsabilité, mais tout simplement le réchauffement climatique que nous devons tous tenter d’enrayer. Ne pensez-vous pas qu’agences de com en aient le sentiment sincère?

L.C. : je ne peux pas parler pour mes camarades. L’enjeu c’est la cohérence entre ce que l’on fait et ce que l’on est. Nous nous sommes engagés dans un process pour être certifié B Corp pendant le confinement. Parce que le besoin de savoir où on allait et qui on était, devenait central. Je ne sais pas si on sera les premiers et je m’en fous. Ce qui m’intéresse c’est de redonner toute sa noblesse à ce métier, parce que bien faire les choses est important pour nous. Je veux que mes collaborateurs soient heureux, que l’on puisse partager les fruits de la création de valeur en ouvrant largement le capital, ce que nous avons déjà fait, qu’ils puissent progresser évoluer, apprendre, qu’ils aient envie de prendre des risques pour leur clients et qu’ils soient au rendez-vous de la performance estimée en mesurant systématiquement nos apports et notre valeur ajoutée. Parce qu’on aime ce métier et qu’il est encore plus utile dans le monde dans lequel on vit et ou les changements de comportements sont critiques pour notre avenir. Le nôtre en tant que professionnel autant qu’en tant que citoyen.

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