INfluencia : pourquoi et en quoi le luxe est-il plus résilient que d’autres secteurs ?
Eric Briones : étudier l’histoire du luxe, c’est contempler 10 000 ans de résilience. L’année 2020 a été particulièrement symbolique. On a promis les enfers au luxe au mois de mars, victime annoncée de la mise sous cloche de son marché star « la Chine », de la fermeture de ses magasins dans le monde, de sa faiblesse originelle en matière de e-commerce et au-delà de sa nature non essentielle. Au final le luxe se trouve renforcé par la crise, il a su résister et affiche une hausse de 48 % de ses ventes en Chine. Il s’est régénéré en multipliant par deux la part du e-commerce (23%) dans ses résultats, il s’est réinventé en offrant des gels et des masques aux soignants, en remettant en cause son business model au profit d’un luxe nouveau, durable et responsable et il a même ouvert la porte au marché de la seconde main. Résister, se régénérer, se réinventer, voici les trois phases du processus de résilience des entreprises ! Les raisons qui expliquent la résilience sont légion, je me concentrerai pour INfluencia à l’essence même de l’objet de luxe, parfaitement dévoilé par le mythique gérant d’Hermès, Jean-Louis Dumas : « L’objet de luxe vieillit, s’abîme, voyage et se répare. C’est même ce qui le distingue d’un objet ordinaire ». Au-delà du symbole, l’objet de luxe reste « le meilleur ami des riches » or les milliardaires ont vu leur patrimoine augmenter de +14% en Europe, +25% aux USA et 50% en Asie pendant la crise Covid.
IN. : avez-vous un exemple d’une marque de luxe particulièrement résiliente ? en quoi l’a-t-elle été?
E.B. : notre travail de recherche historique a particulièrement mis en avant la résilience de la maison Hermès, son histoire intimement liée aux grandes crises. C’est la guerre 14-18, qui fait pivoter Hermès d’une maison spécialiste de l’univers équestre à l’activité bagagerie et accessoire, car Emile Hermès veut rester utile à ses clients qui privilégient l’automobile au cheval. C’est la pénurie de colorant pendant l’occupation allemande qui forcera Hermès à faire des boites orange. Ce sont les augmentations exponentielles de la boutique Hermès Madison à la fin de 2001, qui sonneront la revanche de la vie (fameux syndrome du Revenge Buying) après les attentats du 11 septembre. C’est le samedi 11 avril 2020, avec les ventes records de 2.7 millions $ qui annoncent la résilience du consommateur chinois et son appétit sans limite pour le luxe. Les marchés financiers ont fait des succès de la maison Hermès, le signe annonçant le retour de la croissance après les ténèbres de la crise. Ainsi, l’action Hermès termine 2020, avec une remarquable performance de + 32 %
IN. : quels conseils donneriez-vous aux marques pour être résilientes ?
E.B. : l’ambition de notre livre est d’inspirer au-delà du luxe. A l’image de la premiumisation qui a inspiré tous les secteurs, je pense que le luxe peut également guider au-delà de ses frontières par son art de la résilience. J’aimerais vous proposer cet outil, les 10 clés de résilience inspirée par le luxe
IN. : Voyez-vous un monde d’après pour le luxe ? Un luxe d’après?
E.B. : nous rentrons dans une ère de crise (écologique, sanitaire, sociale, économique), le luxe le sait, il a appris par son histoire que la résilience ressemble au pouvoir, elle ne se donne pas, elle se prend et s’apprend. J’ai la conviction que le futur du luxe est brillant, il repose sur la passion indestructible qui lie les consommateurs chinois avec lui (parfaitement décrypté dans notre livre par Yuan Zou directrice du du développement européen de Hylink) et aussi ses efforts permanents pour séduire toujours plus de nouveaux clients (en particulier une cible jeune et féminine).
Néanmoins, 4 menaces planent sur le luxe : La puissance sans limite des plateformes, véritable force destructrice des marques, l’augmentation sans limite des inégalités sociales à travers la planète, la souveraineté data, La vague écologique. A suivre…
* 6 janvier 2021, chez Dunod