Philippe Starck : « J’ai été battu par l’IA! J’en ai été formidablement content »
En 2019, Philippe Starck présentait AI, un modèle de chaise conçu avec l’aide de l’intelligence artificielle d’Autodesk, l’un des spécialistes mondiaux du design assisté par ordinateur. Cette chaise est désormais produite et commercialisée par Kartell. À l’occasion de la “Design Night Autodesk 2021” le célèbre designer est revenu, dans un style bien à lui, sur cette expérience de création inédite…
Pour concevoir son modèle de chaise, Philippe Starck a posé une seule question à l’intelligence artificielle, répétée sans cesse : « comment faire pour reposer notre corps en utilisant le minimum d’énergie et le minimum de matière possible ? ». Les itérations ont duré pas moins de trois ans – le designer avoue avoir failli se décourager à plusieurs reprises – jusqu’à ce que les algorithmes d’Autodesk parviennent à proposer un modèle correspondant aux standards du design industriels.
Mais pourquoi faire appel à l’intelligence artificielle – à part pour susciter un nouveau coup de “buzz” dont Philippe Starck est familier ? « Je l’ai appelée pour venir à l’aide, à l’aide de mon propre ennui », expliquait-t-il lors de la Design Night Autodesk 2021, fin janvier dernier, en ajoutant : « je me suis aperçu au bout d’un moment que je faisais différent, mais que finalement c’était toujours la même histoire, parce que tout est géré par la culture, la mémoire, le sentiment. Tout est géré par l’humain ».
Comme un nouveau-né, « hors de l’histoire humaine, hors du goût, hors du désir, de la culture, hors de tout », l’IA a donc apporté un œil neuf et neutre sur un objet si commun dans notre quotidien… « On a vu cette machine aller dans un sens, voir qu’elle en faisait trop, se tromper, revenir. C’est comme un enfant qui apprend à marcher. Et un jour la machine a su marcher, on a vu l’objet s’affiner, et elle a accouché d’une chaise ». Résultat : une chaise fine, conçue avec le moins de matière possible, tout en restant confortable et solide.
Pour parvenir à ce résultat, Autodesk et Philippe Starck ont eu recours à la “conception générative”. « Le processus commence avec la saisie de contraintes (telles que les charges ou les points de fixation) et l’établissement des préférences (telles que le poids, les facteurs de sécurité et les techniques de fabrication) », explique la société californienne sur son site.
A partir de ces informations, les algorithmes explorent différentes options géométriques et proposent des centaines, voire milliers, de solutions « en fonction des matériaux, des processus de fabrication et des exigences de performance ». Le designer n’a plus qu’à choisir les alternatives les plus convaincantes pour les affiner. Ces technologies sont déjà utilisées par des industriels comme Airbus ou General Motors pour explorer de nouvelles solutions à des problématiques techniques.
Philippe Starck ajoute : « je m’étais mis en position d’être battu – comme le fameux joueur d’échec – par l’ordinateur. Eh bien j’ai été battu ! J’en ai été formidablement content, car je sais aujourd’hui qu’on a un ami : on a une intelligence, une créativité illimitée à notre service. Il ne faut pas croire que l’intelligence artificielle est quelque chose de négatif. N’oublions pas que c’est malgré tout l’une de nos créations ».
Interrogé sur l’avenir du design dans un monde où l’intelligence artificielle est appelée à jouer un rôle croissant, Philippe Starck poursuit dans la provocation. « Je ne suis pas sûr qu’il en ai. Par faiblesse, par habitude, par confort, on croit souvent que ce qui existe est là pour toujours. Ce n’est pas vrai : tout a une naissance, une vie, une mort et répond à un moment. Le design a répondu à la laideur des premiers objets industriels obligatoires dans notre vie. Il date donc du XIXe siècle. Son aboutissement est au milieu du XXe. Aujourd’hui le problème n’est plus là ».
En guise de conclusion, le designer prédit l’avènement du transhumanisme, (qu’il nomme “bionisme”), une théorie très populaire au coeur de la Silicon Valley d’où est justement issue Audodesk, dans lequel « nous serons la machine et nous aurons toute l’intelligence et la puissance du monde. Enfin, nous serons ce dont nous avons toujours rêvé : Dieu ». Rien que cela…
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