28 février 2021

Temps de lecture : 8 min

Sylvia Tassan Toffola / TF1 Pub : « TF1 a su accompagner ses clients et ils nous l’ont bien rendu »

Près d’un an après le séisme qu’a connu le marché de la publicité télé, Sylvia Tassan Toffola, directrice générale de TF1 Pub, partage sa vision de la reprise du marché, les enseignements tirés de la crise sanitaire, et les perspectives d’innovation de ce média résilient qui a repris une place de choix dans le quotidien des Français.
INfluencia : comment se comporte le marché publicitaire en ce début d’année 2021 ?

Sylvia Tassan Toffola : le démarrage est un peu compliqué, mais ce n’est pas surprenant car janvier et février sont toujours des mois un peu creux. Le marché reste en demi-teinte, avec une grande hétérogénéité sectorielle, un manque de visibilité et un attentisme bien compréhensible par rapport à la situation sanitaire. C’est aussi un marché qui frémit d’impatience de revenir à la normalité. Au deuxième semestre 2020, quand la consommation a repris de la vigueur, le marché publicitaire est aussi reparti à la hausse. On sent que les annonceurs ont à nouveau envie de revenir. Lors des grands événements programmes lancés depuis le début de l’année – Je te promets, The Voice, Les Enfoirés -, ils ont répondu présents et les niveaux de remplissage en prime time ont été très satisfaisants. On voit aussi que, malgré les difficultés, il y a quand même des discussions sur des engagements annuels.

IN : TF1 Pub a sorti ses offres sur l’Euro 2020, reporté en juin 2021. L’incertitude qui plane encore sur les mois à venir a-t-elle changé la manière de construire les conditions commerciales d’un événement aussi porteur ?

S.T.T. : le groupe doit apporter sa proposition premium aux téléspectateurs et à ses clients annonceurs. Nous partons donc du principe que l’Euro se tiendra normalement, quitte à nous adapter à nouveau en cas de besoin. Nous n’avons donc rien changé ni à notre état d’esprit, ni à nos tarifs. Et nous allons bien sûr refaire notre concours de pronostics avec les acteurs du marché ! Les roadshows organisés en distanciel autour de l’Euro ont enregistré des niveaux records d’assiduité. Côté agences et côté client, on voit l’envie de se fédérer autour d’un événement synonyme de joie populaire et de fête.

IN : peut-on pour autant faire totalement abstraction de l’incertitude, voire de l’inimaginable ?

S.T.T : l’immense leçon de l’année passée, c’est que l’on ne peut rien prévoir et qu’il faut aussi rester bien modeste par rapport à la sortie de crise. Nous avons appris l’humilité et ça ne fait pas de mal ! En tant que groupe de télévision, qui produit du direct tous les jours, nous avions déjà cette culture de l’urgence, de l’impondérable et de l’imprévu. Par rapport à d’autres industries, nous étions donc peut-être un peu mieux préparés… Au niveau des antennes, la direction des programmes avait compris dès la mi-février ce qui allait se passer et s’était mis dès ce moment-là en gestion de crise. Dans les semaines qui ont suivi, nous avons formé un tandem pour adapter au quotidien les programmes en fonction de la pression publicitaire. Ces derniers mois nous ont aussi appris à tester la robustesse des équipes en temps de crise. C’est une grande satisfaction personnelle de constater les retours des équipes qui, dans leur très grande majorité, ont été de tous les combats.

La régie a accompagné ses clients et ils nous l’ont bien rendu

IN : 2020 a modifié en profondeur les comportements et attentes des consommateurs. En va-t-il de même pour les relations entre la régie et les annonceurs ?

S.T.T. : le marché a fait preuve d’une intelligence collective pour être plus fort que la crise, en profiter pour innover et surtout éviter de revivre le traumatisme de 2008-2009. Tout le monde s’est dit : « Pas cette fois ! ». Chez TF1 Pub, nous avons réorganisé les contacts avec nos clients, nous nous sommes lancés à fond dans le CRM pour tracer les offres et les contacts, adapter la communication à la typologie de clients, monter une démarche commerciale sur-mesure… Vivre ensemble quelque chose d’extraordinaire a créé un nouveau lien avec nos clients. Les contacts ont souvent été plus directs, plus chaleureux, parfois même plus personnels. La régie a accompagné ses clients et ils nous l’ont bien rendu : certains se sont battus avec leurs agences pour défendre leurs investissements alors qu’ils avaient légitiment leur direction financière sur le dos. Avec le recul, j’ai trouvé cette séquence assez intéressante.

IN : les aspects réglementaires, notamment autour du climat, restent-ils une menace pour l’industrie en phase de reprise ?

S.T.T : on ne découvre pas complètement le sujet… Depuis plusieurs années, les médias, les annonceurs et les agences ont pris conscience des enjeux sur l’alimentaire, puis sur le climat. Au moment de la Convention citoyenne, il y a eu la tentation d’interdire certains types de publicités mais, au travers du dialogue des médias et de la filière communication avec les instances gouvernementales, des rencontres avec les citoyens, nous avons pu faire émerger le projet de « contrat médias climat », qui s’inspire de ce qui avait été fait sur la charte alimentaire. Ce contrat repose sur l’engagement des médias à mieux relayer les enjeux climat au niveau éditorial – ce que nous faisions déjà –, à mieux interagir avec les citoyens et à réduire notre propre impact carbone. Nous accompagnons également les marques avec des dispositifs publicitaires sur mesure pour valoriser leurs actions responsables en liaison avec l’ARPP, qui va jouer un rôle plus important. Beaucoup d’entre elles ont déjà pris des initiatives. En 2020, les véhicules électriques représentaient 7 % des immatriculations du secteur automobile mais déjà 20 % de ses investissements. Entre septembre et fin novembre 2020, sur les 3200 spots différents diffusés sur nos chaînes, 13 % traitaient de sujets de transition écologique et d’actions concrètes de RSE. Si l’on rajoute le bio et le made in France, la proportion passe à 20 %. Nous allons faire un suivi précis des copies sur ces thèmes.

Un impact carbone réduit de 30 %

IN : et en tant que régie, qu’avez-vous mis en place ?

S.T.T. : le Groupe TF1 a réduit son impact carbone de 30 % entre 2016 et 2019 et s’est engagé à le faire baisser à nouveau de 30 % d’ici 2030. TF1 Pub travaille avec EcoAct pour calculer son impact carbone, avec un dispositif qui sera prêt dans trois mois. L’agence Sidièse nous accompagne pour mettre au point des offres de communication durable et responsable avec une tonalité juste et un marketing qui nous préserve du greenwashing. Cette réflexion ne doit surtout pas être une course à celui qui aura la plus belle proposition. Je suis très vigilante à ne pas mélanger la politique commerciale et les vrais engagements car il peut y avoir des dérives. Au niveau du SNPTV, l’enjeu consiste à se doter d’indicateurs et de référentiels communs afin de de respecter nos engagements et de progresser dans le temps, dans une interopérabilité entre les différents acteurs de la chaîne de valeur. Nous partagerons nos travaux parce que, pour nous, ce n’est pas un sujet de concurrence.

IN : pour revenir à des sujets plus audiovisuels, vous dites qu’en 3 ans l’industrie de la publicité télé a davantage évolué que ces 30 dernières années. Sur quels points en particulier ?

S.T.T : j’avais été très frappée par les propos de Reed Hastings (pdg de Netflix, ndlr) dans The Hollywood Reporter en 2014, qui affirmait que la télévision était morte. C’était juste impossible à entendre et la preuve qu’il fallait réinventer la proposition publicitaire autour de nos médias. Nous sommes partis du principe que, finalement, la télévision c’est de la vidéo. Les premiers jalons de notre stratégie « total vidéo » ont été posés dès 2019 avec l’objectif que, sur ce marché, la télé et ses écrans digitaux se taillent la part du lion. Quand la Covid est arrivée, ce média résilient a repris toute sa place avec une proposition « foyer » extrêmement puissante. En décembre 2020, quand la saison 4 de The Crown – le hit de Netflix – atteignait l’équivalent de 2,5 millions de viewers, notre série Balthazar en réunissait 10,5 millions en audience dédupliquée ! Dans le combat du Cool contre le Populaire, la télé a montré sa capacité à rassembler, divertir et informer le plus grand nombre. C’est le premier média social et sociétal de France. Les autres évolutions se situent au niveau de la mesure d’audience – avec en ligne de mire le graal d’une mesure cross média unifiée et dédupliquée -, des modes d’achat avec la data qui deviendra dans quelques années la monnaie principale du média. Grâce à l’innovation, le média va passer d’une à trois dimensions : un média de masse grâce au linéaire, une offre foyer avec la télévision segmentée et le one to one sur le digital.

IN : on a pourtant l’impression, étude après étude, que la télé doit sans cesse prouver son efficacité…

S.T.T. : la digitalisation nous met en permanence dans une démarche de compétition et nous oblige à démontrer notre différenciation, notre valeur ajoutée… Arrêtons de monter les médias les uns contre les autres, d’opposer branding et performance ! Toutes les études montrent que c’est la somme des points de contact, chacun avec sa spécificité, qui fait l’efficacité d’un ROI. C’est aussi pour cela que, dans les investissements, nous devons défendre la juste place de la télé. En France, en Europe et partout dans le monde, c’est quoi qu’on en dise le média le plus puissant, efficace, inclusif, premium et brand safe.

IN : sur la télévision segmentée, la France a pris du retard. Comment réagissent vos clients ?

S.T.T. : toute la logique et la valeur ajoutée de la télévision segmentée restent vraies mais on a perdu un an. Ce n’est pas non plus si grave car tout le monde avait d’autres urgences et d’autres priorités… Orange est prêt mais les autres opérateurs télécoms ne le seront que d’ici la fin du premier semestre. Nous lançons les premières campagnes mais 2021 sera une année d’expérimentation. Avec un seul FAI opérant, les annonceurs et les agences attendent légitimement d’avoir une couverture géographique plus large et une puissance de ciblage data. Sur le premier trimestre 2021, les annonceurs sont encore en gestion de crise et cherchent à préserver leurs fondamentaux avant de se lancer dans des expérimentations. Mais, pour la suite, cela reste prometteur !

IN : début février 2020, TF1 Pub lançait One PTV, une offre qui amenait le programmatique sur l’inventaire de la télé linéaire. Quel bilan faites-vous de cette innovation ?

S.T.T. : nous avons travaillé avec presque tous les trading desks et signé plus de 20 campagnes, dont 60 % pour des produits qui n’étaient jusqu’alors pas présents en télévision. Au fil des mois, les inventaires de LCI et TF1 ont été ajoutés à ceux de nos chaînes TNT, nous avons développé plus de 100 cibles… Les résultats montent que One PTV est bien une offre de conquête et que, si une offre fait sens, elle se vend.

L’importance d’avoir un cap et des convictions

IN : en quoi l’année qui vient de s’écouler vous a changée et fait évoluer votre mode de mangement ?

S.T.T. : dans « l’ancienne entreprise », c’était « tout va bien, je vais bien ». Depuis un an, il a fallu reconnaître que parfois tout ne va pas bien et que, dans ces moments-là, les managers peuvent ressentir une certaine solitude. On n’est plus dans sa tour d’ivoire, mais un capitaine de bateau en pleine tempête, qui doit réadapter tous les jours la politique commerciale, le management, le discours aux équipes… Parfois, c’est difficile de continuer à montrer que tout va bien et qu’on est en gestion. J’ai appris à en parler et à assumer. La liberté de parole est probablement le meilleur remède. J’ai aussi retenu l’importance d’avoir un cap et des convictions, même si elles s’avèrent parfois partielles. Quand tout tangue, il y a un devoir de transparence et de clarté dans le discours. Et il faut aussi se faire confiance pour embarquer les équipes, suivre la route qu’on s’est fixé et jalonner les priorités pendant la période d’incertitude.

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