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La première est baptisée YoT, comme un détournement des IoT qui ont fait les choux gras de la tech depuis des années. Vous savez, cet Internet of Things, regroupant tous ces objets intelligents qui collectent et émettent des datas pour une vie meilleure, nourrissent le cloud et justifient à eux-seuls le déploiement de la 5G. Amy Webb remplace habilement le I par un Y pour parler de You of Things. Votre corps va devenir un network, collectant les data de votre activité corporelle, et sans doute cérébrale un jour grâce à tout un tas de nouveaux devices (le grand retour des smart glasses ?). Vos déplacements, vos mouvements, mais aussi votre pouls, votre transpiration, votre souffle, vos excréments, votre sommeil, tout sera collecté grâce à des capteurs que vous aurez installés, parce que l’ensemble de ces informations vous intéresse (vous avez une maladie qui le requiert ou vous êtes hypocondriaque) ou qu’on vous le demande. Pourquoi donc Amazon a déposé un brevet sur « des bracelets qui enregistrent l’activité des salariés dans les entrepôts ? Cette sophistication insidieuse promet bientôt de passer sous notre peau, dans notre corps, pour remonter progressivement à notre cerveau, devenant en capacité de chiffrer des activités dont nous n’avons même pas conscience. Vous savez bien quand vous avez posté une sextape, mais savez-vous ce que fait/dit votre foie en toute discrétion ? Je me souviens un jour avoir demandé à mon médecin comment il définissait la bonne santé, il m’avait répondu « le silence des organes ». Il faut croire que dans YoT, même le silence sera écouté et sommé de dire quelque chose. La parole est d’or, une fois tout l’ecosystème installé, il suffira de quelques stimulis tels que la peur pour affoler les capteurs et générer des besoins.
Les distorsions de la réalité
Autre tendance, nourrie par tous nos problèmes de relation au monde : les distorsions de la réalité. Ce n’est pas pour rien que nous nous sommes tous jetés à corps perdus dans les bulles filtrantes des mondes virtuels, réclamant même parfois des safe space dans la vie réelle. L’AR, la VR et la Mixed Reality se chargeaient jusqu’à maintenant de nous divertir ou de nous instruire. On parlait même parfois d’assisted reality nous permettant d’appréhender le monde de la meilleure façon, le GPS en étant l’incarnation la plus opérante. Pour mieux vivre dans un réel agressif, Amy Webb nous dit utiliser les brown noises, ces sons dont fréquences et amplitudes particulières nous coupent du monde et accroissent notre concentration. Selon vos gouts ou vos besoins, vous préférez peut-être une réalité assistée de pink noises ou de white noises, qui améliorent la mémoire ou le sommeil. Essayez, il y en a des heures disponibles sur YouTube.
Le passé pourra être corrigé, comme si le droit à l’oubli du réseau devenait le droit à la réécriture
Cette distorsion de la réalité passe par nos sens. Avec le grand retour des lunettes high tech, nous serons bientôt en mesure de supprimer de notre vue ce qui nous dérange, exactement comme on corrige une image avec photoshop. Nous pourrons alors circuler dans la rue comme on circule dans les réseaux, en évitant/effaçant ce qui nous déplait, comme les voitures, les poubelles, ou des catégories de gens qu’on ne veut pas voir. Ces altérations du réel concerneront aussi les deep fake quand ceux-ci se démocratiseront. Il ne s’agira plus uniquement de telle star ou tel homme politique, qui lui (ou elle) aura tout loisir de démentir, mais de gens dont la surface médiatique n’autorisera aucune réponse visible. Pire encore que le présent, le passé pourra être corrigé, comme si le droit à l’oubli du réseau devenait le droit à la réécriture. On peut imaginer que les plus puissants, les plus riches ou les plus malins pourront s’en servir dans leur intérêt.
Sommes-nous condamnés à survivre entre hacktivisme et data dictature ?
Enfin, une des conséquences de la crise du Covid est l’acceptation grandissante pour la surveillance via les videos, les drones, les apps et les passeports vaccinaux. Sur le papier, ces derniers semblent aussi normaux qu’un visa touristique et un carnet de vaccination, mais avec la dissémination des data, que faut-il penser de la sécurité des serveurs, de la neutralité du cloud ou des biais des algorithmes ? Sommes-nous condamnés à survivre entre hacktivisme et data dictature ?
Amy Webb nous brode un scénario catastrophique pour 2036
A partir de ces trois trends (sur plus de 500 je vous rappelle), Amy Webb nous brode un scénario catastrophique pour 2036, sur le rapport à notre corps, bouleversé par ces capteurs, ces data et ces algos. Pour les plus riches, le corps deviendrait un Body Wonderland, malléable à merci, augmenté, performant, protégé, source de plaisir et de possibilité sans fins. Pour les autres, on parlerait de Body Prison, surveillé, corrigé, vulnérable, limité, dont on se méfie car il peut nous trahir à tout moment. Où serez-vous ?
Écouter Amy donne un petit sentiment de Black Mirror. C’est vrai que, son regard sur la tech a changé en quelques années, glissant des prophéties optimistes auto-réalisatrices à des prophéties pessimistes qu’on espère auto-destructrices. Elle nous rappelle surtout l’importance d’écouter les signaux faibles, d’écrire des scénarios et d’agir en conséquence. Le Covid avait été scénarisé, mais nous n’en avions pas tiré les conséquences. Comme si la recherche n’avait pas été appliquée. De même sur votre marché, chaque tendance provoque de nouvelles tensions et un nouvel ordre des choses, le plus important est de s’y préparer, comme pour les Black Swan. Preparation better than predictions