9 mai 2021

Temps de lecture : 6 min

La radicalité du changement est la seule variable permanente des grandes révolutions industrielles

Dérèglements climatiques (1), dégradation de la biodiversité, épuisement des ressources, crises sanitaires, la planète nous exhorte à changer de modèle ! Mais comme le disent les experts du climat et de la génétique “ce n’est pas la planète qu’il faut sauver, c’est l’humanité” (2). En effet, elle nous survivra bien après notre disparition comme elle l’a déjà fait avec d’autres espèces ! Alors comment expliquer que l’Homosapiens que nous sommes, doté d’intelligence, de conscience ne parvienne pas à éviter l’irréparable (3) ?

La crise du Co-vid a rappelé à l’homme sa vulnérabilité dans le monde entier. Les travaux scientifiques montrent une relation directe entre les menaces qui pèsent sur la biodiversité et la multiplication des zoonoses (4) dont la Covid fait partie. Le citoyen averti commence à intégrer qu’il fait partie de l’écologie et que l’écologie ne doit pas être une discipline mais un pré-requis fondamental à la vie intégré au cœur du fonctionnement de notre démocratie.

Un citoyen engagé mais impuissant à faire bouger les lignes d’une démocratie inadaptée à l’écologie

La démocratie est inadaptée à la mutation écologique de notre société car elle est “ incapable de réduire notre niveau de consommation” (5). Son fonctionnement est lié à des mandats et territoires délimités dans un temps et un espace contraints incompatibles avec le temps long et l’approche écosystémique et planétaire nécessaires à une transformation performante. Difficile dans ses conditions pour un citoyen ou un élu de savoir comment s’engager efficacement dans la mutation de notre société !

Un modèle économique pris au piège de l’économisme

Notre modèle économique est basé sur l’exploitation de ressources naturelles limitées (pétrole, forêts, eau, sols, minerais précieux, …) et il est indiscutable qu’il ne permet pas une croissance infinie : “ Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste” (6). Notre société confond l’économie et l’ économisme (7) qui désigne un système de pensée et d’analyse qui tend à tout organiser et expliquer par le jeu de facteurs économiques en déconsidérant les facteurs sociaux et environnementaux. Cette dépendance à un modèle de croissance extractive réduit la capacité de nos sociétés à à passer au modèle de l’économie de la rareté (8) Citoyens, États et institutions peinent à faire bouger les lignes mais l’inertie est aussi dûe à un facteur culturel : la relation des Français à l’écologie.

L’inertie écologique : un modèle qui semble satisfaire notre inconscient collectif.

Les écologistes et les ONG relaient la parole scientifique et nous disent preuves à l’appui qu’on ne peut plus négocier avec l’urgence climatique. Les climato-sceptiques et les néolibéraux leur opposent le principe de réalité et l’inefficacité d’une écologie punitive (9) contraire à la liberté d’entreprendre et discriminante pour les plus défavorisés. De cette opposition de points de vue naît ce qui peut nuire le plus à la performance de la transition écologique : l’inertie. L’inertie est l’ennemie jurée de l’écologie comme de l’économie : elle permet de ne rien faire d’autre que ce qui est imposé par la loi ou la conscience. Le contraire d’une dynamique de performance positive !

L’entreprise, premier agent de la transition vers un modèle d’engagement et de performances durables ?

C’est l’entreprise en tant qu’agent économique qui a donc la lourde responsabilité d’agir pour propulser notre modèle de développement dans un modèle de performance positive. Côté CAC40, on oscille entre la volonté d’améliorer impact sociétal et environnemental et l’incapacité d’investir pour se réinventer en profondeur pour le futur. L’éviction par des fonds d’investissement activistes d’Emmanuel Faber, (10) PDG de Danone et initiateur de la 1ère entreprise à mission du CAC 40 a eu le mérite de cristalliser les débats sur cette tension. On peut espérer que le projet de la commission européenne sur la gouvernance durable des entreprises. (11) les incite à réorienter leur modèle de performance. Côté PME et ETI on constate une conscience écologique à géométrie variable. Pour la plupart, le sujet de la transition vers un modèle d’activité plus responsable n’est pas à l’ordre du jour tant que la législation ou la pression de la société n’impactent pas leur modèle d’activité. Pour les autres, c’est un sujet terme acquis soit parce leur business model est nativement responsable (économie circulaire, économie sociale et solidaire, agro-écologie, Green-Tech …) soit parce qu’elles ont une structure d’actionnariat familial qui implique la transmission de l’entreprise et donc une vision transgénérationnelle. D’après une étude BPI-France, (12), un autre facteur vient entacher la dynamique de performance positive des PME et ETI : 25 % seulement des dirigeants sont convaincus que la RSE est source de compétitivité tandis que 62% lui reprochent sa lourdeur administrative. On est loin du plébiscite !

Le performance durable, une opportunité à saisir en urgence par toutes les entreprises

La transition écologique et sociale des entreprises doit être abordée sous un nouvel angle par les dirigeants : celui de la performance durable. Performance humaine parce que c’est important pour les collaborateurs (13), performance commerciale, parce que les consommateurs se réapproprient leur pouvoir d’achat en mesurant plus facilement l’impact de leur consommation (14), performance économique, parce que la compliance n’est plus suffisante et que l’anticipation des normes et des comportements est le meilleur gage de la performance durable et enfin performance sociétale, parce que les risques d’opinions pèsent encore plus aujourd’hui sur les marques et les entreprises. Des pans entiers de l’industrie n’ont pas pris la mesure de l’impact de l’écologie sur leur performance future. Pour préserver son modèle fossile, l’industrie automobile est allée jusqu’au Dieselgate (15). Elle se retrouve à dépenser des millions de pénalités pour acheter des certificats de compensation carbone à Tesla (16) ! Dans l’Agro-industrie, la défense d’un modèle agricole productiviste basée sur la chimie et les brevets sur le vivant a poussé Bayer au rachat de Monsanto en provoquant une chute de 40% de son cours de bourse… (17) au lieu de consacrer ses investissements à réinventer un modèle agricole plus respectueux de l’environnement.

La RSE, discipline de référence de la transition responsable (ISO 26000) (18), va connaître une mutation radicale comme l’a connu le digital (19) : passer d’une discipline nécessaire et transversale à une discipline stratégique majeure pour être nativement ré-intégrée au cœur du business model et de la dynamique de compétitivité des entreprises. (20) . Trente ans après la naissance d’internet certaines entreprises ne sont toujours pas digitalisées et ce sont celles qui sous-performent en temps de crise ! L’engagement de nouveaux acteurs du mouvement “for good”, start-up, ESS, fonds d’investissements à impact et mouvements tels que Impact France (21) ou B-corp (22) démontrent que la responsabilité sociétale et environnementale est un vecteur de performance durable.

La loi Pacte (23) a également enfoncé le clou en invitant les entreprises à se ré-interroger sur leur utilité et leur engagement futurs dans la société

L’accélération inévitable de l’impératif écologique va conduire à une brutalité du changement, qu’il soit réglementaire ou financier, économique ou social, et ceux qui pensent qu’ils ont le temps, se rendront compte qu’ils n’en ont déjà plus. La radicalité du changement est la seule variable permanente des grandes révolutions industrielles. Arrêtons les discours normatifs, moralisateurs ou bien pensants, engageons- nous du côté de la performance et de l’avenir. Parce que n’oublions jamais que les investisseurs, qu’ils soient publics ou privés, boursiers ou private equity, ne rémunèreront bientôt plus que les modèles d’activité durablement profitables.

Sources

(1) Modélisation de l’urgence climatique – Climate Lab book -uk
(2) Libération – Albert JACQUARD, Généticien, philosophe – Ce n’est pas la planète qu’il faut sauver c’est l’humanité (2010 )
(3) Entretien avec Marie-Antoinette-Meslières, climatologue, Blog la pensée écologique «Il Est Encore Temps D’éviter L’irréparable».
(4) Note du conseil scientifique de la Fondation pour la Recherche et la biodiversité (FRB) (2020)
(5) Revue Projet , Citation Dominique Bourg : « Les démocraties représentatives sont incapables de réduire leur niveau de consommation consommation”
(6) “The only people who believe in infinite growth in a finite world are madmen and economists”. _ Kenneth E. Boulding, cité dans Jump the Curve (Jack Uldrich, 2008)
(7) Définition wikipédia Economisme
(8) Futuribles – La mutation de l’économie à l’ère de la rareté. Hélène le Teno (2019)
(9) Tribune LCI Fabrice Bonnifet – Président du Collège C3D “L’écologie « punitive » est-elle vraiment punitive ? (novembre 2020)

(10) Article L’Echo -Be : Durabilité ou rentabilité? Actionnaires et management pas toujours sur la même longueur d’onde (2021)
(11) Magazine décideurs – la gouvernance durable des entreprises. (2020)
(12) Etude BPI France : Article Novethic Les PME et la RSE je t’aime moi non plus (2018)
(13) France Info – Etude – Opinion Way-Insign « Économie positive » : près de 9 salariés sur 10 sont prêts à s’investir pour que leur entreprise s’engage
(14) Vitagora Blog – Les applis de scoring il faut regarder les opportunités au delà de la défiance
(15) Article Le Point Dieselgate : le procès de tous les dangers pour Volkswagen (2019)
(16) Le figaro -Comment Tesla vend légalement ses crédits carbone à d’autres constructeurs automobiles
(17) Article Capital Les actionnaires désavouent la direction après le rachat de Monsanto (2019)
(18) ISO 26000 : Norme de référence de la responsabilité sociétale des entreprises
(19) Article Usine Digitale – Etude AppDynamics : Covid-19 : Vers une transformation digitale des entreprises à marche forcée ?
(20) Article Martin Richer : RSE : d’un modèle de conformité à une dynamique de compétitivité ( 2021)
(21) Mouvement Impact France ,1er réseau rassemblant des entrepreneurs à impact social et écologique
(22) B-Corp France association loi 1901
(23) Loi pacte – Site du Ministère de l’économie et des finances – (2019)

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