21 juillet 2021

Temps de lecture : 5 min

La tête dans les étoiles, les pieds sur terre

Il n’y a pas de petits projets dans la vie, il n’y a que de petits désirs. Que vous rêviez d’une licorne, d’une épicerie bio ou de racheter une PME en province, la question est toujours la même : quelle est la nature et la finalité de votre désir ? Petite théorie du désir d’entreprendre.

On peut voir dans les crises actuelles le ciel qui nous tombe sur la tête. Fin de partie, monde vieillissant, panne d’un système à bout de souffle… On peut se rappeler également que de nombreux progrès qui améliorent notre vie sont nés en temps de crise. Le problème, c’est le regard. Changer le regard, sur soi, sur les autres, sur le monde… procède autant de la nécessité que du désir.

Elon et Reid sont dans un avion

Chacun le sait : on n’innove jamais si bien que lorsque l’on est condamné à changer. Par impératif bien sûr, par désir aussi. Le désir, c’est cet appétit qui va plus loin que le besoin, qui résonne comme un défi de conquête, de trouver ce quelque chose qui nous rendra heureux. Il en est de même avec le fait d’entreprendre (au sens large, pour créer une société, une association, pour rejoindre un projet) ; cela va plus loin que la seule nécessité. C’est d’ailleurs l’une des choses les plus dures à faire, entreprendre : il y a souvent d’abord des coups à prendre. Et pourtant, pourquoi sommes-nous autant à nous lancer dans l’aventure ? Parce que justement, c’en est une… aventure ! C’est une histoire de besoin et une histoire d’amour, à la jonction de deux formes de désirs.

Un désir de réalisation de soi.

On est comme ça en matière de désir : pragmatique et irrationnel, avec une envie d’accomplir. Vous savez ce moment où vous vous brossez les dents et qu’une petite voix comme une évidence vous chuchote : « Ce projet de boîte, fonce ! » Oh bien sûr, vous ne savez pas tout à fait comment vous allez réussir, mais vous y êtes : prêt à brûler les navires.

Un désir de contribution. L’aventure de l’entreprise part toujours d’une même question (normalement) : « Qu’est-ce qu’on change pour faire mieux ? » Une manière de faire, de produire, de servir, de penser le progrès pour soi, pour les autres. Dans la vie, il n’y a pas de petits projets, il n’y a que de petits désirs. Le chemin est la destination, et la meilleure entreprise – celle qui a des chances de vous rendre heureux – c’est celle qui vous permet d’être acteur d’un changement. « J’avais le choix entre regarder les choses se produire ou en être acteur », raconte Elon Musk, cinquantenaire milliardaire. Se réaliser soi et contribuer à changer quelque chose est un double défi pour tout « porteur de projet » comme on dit : d’un côté cultiver un zeste de folie qui n’attend pas, et de l’autre garder un œil sur un tableau Excel.

On ajoutera ici un troisième désir, car il le faut bien : être capable d’en découdre (contre le marché, pas contre les autres…). Comme le dit très bien Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn : « Un entrepreneur c’est quelqu’un qui se jette d’une falaise et qui construit l’avion sur le chemin de la descente. »

Licorne, épicerie bio ou rachat d’entreprise, même combat

En 2016, Frederick F. Reichheld (stratège et inventeur du Net Promoter Score) a conduit une étude chez Bain dont la conclusion alors jeta une petite brique dans la mare : 80% des CEO étaient convaincus de délivrer une expérience client satisfaisante là où seulement 8% desdits clients en étaient persuadés. Attention à la marche. Cette étude date et pourtant elle n’a pas pris une ride dans bien des cas. On peut y voir une raison : la finalité du désir. Vous souhaitez monter une boîte à un milliard (vous savez une « licorne »…), une épicerie bio ou racheter cette petite entreprise dans l’édition de reliures implantée dans la Mayenne (exemple fictif) qui vous fait de l’œil ? Libre à vous, mais la réussite dépend d’abord et avant tout de cette seule question : à quelle fin ?

Vous pouvez le faire… Pour échapper à une carrière qui ne vous plaît pas. Pour être calife à la place du calife. Pour vous enrichir (tenter en tout cas). Pour répondre à une vraie demande (et vous faire plaisir). On vous laisse deviner laquelle des quatre raisons fonctionne le mieux. Et pour cela, il faut commencer par une question plus compliquée qu’il n’y paraît : votre but dans la vie, c’est quoi ?

Souvent on lit – c’est à la mode – que tout le monde est capable d’être entrepreneur. Émettons ici un doute raisonnable. Entreprendre (et tenir bon le jour d’après et celui d’après encore) suppose des talents, des ressources et surtout un état d’esprit, un désir donc, que tout le monde n’a pas. De l’avis de nombreux entrepreneurs qui réussissent bien dans ce qu’ils font (quelle que soit la taille de leur « bizness »), tous connaissent ce petit moment magique où les planètes semblent s’aligner : entre ce que je suis, je peux faire, ce que je peux contribuer à résoudre, ce que je peux transmettre :
– ce que je suis, dans mes capacités et mes limites, avec mon histoire et mon identité,
– ce que je peux faire, dans le savoir acquis, dans l’expérience qui se conjugue avec l’expertise,
– ce que je peux contribuer à résoudre, dans (allons-y franchement) un vrai esprit de service,
– ce que je peux transmettre, dans une entreprise, dans ce qu’elle a de meilleur à offrir : une aventure individuelle (osons le mot : intérieure) et collective, dont la conséquence est le profit (mais à la fin le profit).
Souvenez-vous : votre entreprise sera toujours à l’image de la personne que vous voulez être et de votre désir (qui est le sujet qui nous occupe ici).

Une entreprise nommée désir

Du désir de se réaliser au désir de contribuer, il y a une recette pour passer du vœu pieux à la concrétisation avec cinq ingrédients, plus un sixième (la secret sauce).

1) Définir la part de rêve. Un but est un rêve avec un délai, disait Napoléon Hill, gourou américain du développement personnel. Rêvez en grand, car il faut de grands rêves dans ce monde où tant de choses sont à repenser entièrement.
2) Avoir un ferme propos. La vision et le plan incliné sont déterminants, en se rappelant que la vie se construit un pas après l’autre. Est-ce incompatible avec le point d’avant ? Pas vraiment.
3) La question c’est le modèle. Ce qui fait la force des aventures durables, c’est le système d’exploitation, votre modèle de développement ; sans modèle, point de salut. On peut toujours changer une app, mais modifier l’operating system entièrement, c’est plus compliqué. Soignez l’équilibre de votre projet (économique, social, opérationnel).
4) Croire dans votre « remarquable ». Nous avons tous le pouvoir d’être remarquable au sens où le définit le dictionnaire. C’est étonnant de voir combien nous avons en nous tout ce qu’il faut pour réussir : avec ce que nous sommes, avec ce que nous pouvons, par la manière dont nous agissons. Rendez-vous service… commencez par croire en vous, vous êtes votre meilleur soutien.
5) Entreprendre pour soi, pour et avec les autres. Puisque l’on parle de désir, redisons-le : on ne désire pas seul dans son coin. Le désir de créer ne s’alimente, ne mûrit, ne se concrétise qu’au contact des autres.
6) La secret sauce : travailler pour le bien. Vous l’aurez compris : être utile aux autres, avoir une éthique, rechercher une juste mesure économique, sociale dans votre projet n’est pas une option dans un monde qui attend de l’authenticité et une forme de grandeur au service du plus grand nombre. C’est peut-être cela le désir ultime, celui qui transcende.

Les entreprises aimées des Français ont toutes en commun des traits caractéristiques qui entretiennent une petite flamme : le sens de la singularité (une mission, une marque de fabrique, une utilité) ; le sens de l’éthique (on ne fait pas rêver en étant cynique) ; le sens des priorités concrètes (les hommes, la solidarité, la planète). Et un certain sens de la joie (car rien de mieux que la joie pour l’engagement). Concluons avec les mots de René Char, poète et résistant français, comme une invitation au désir entreprendre : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. »

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