« Same, same but different ». Si vous avez déjà eu la chance de passer quelque temps en Asie du sud-est, vous avez probablement du entendre cette phrase lorsque votre interlocuteur ne parvient pas à répondre précisément à une de vos questions. Cette clarification, qui n’en est pas vraiment une, nous revient vite à l’esprit à la lecture de l’analyse comparative des transformations du paysage médiatique en France et aux Etats-Unis effectuée par Christophe Asselin, Senior Insights & Content Specialist chez Onclusive. Cet expert s’est appuyé sur l’étude du Reuters Institute intitulée Digital News Report pour présenter ses conclusions lors du PR Lab 2025, organisé par le Syndicat du conseil en relations publics (SCRP) qui s’est tenu à la fin du mois de mars dans les locaux du Medef.
En France, la télé fait de la résistance
La principale différence entre notre pays et les Etats-Unis est notre fidélité envers la télévision qui reste une de nos principales sources d’information. Le « sacro-saint » journal télévisé diffusé en début de soirée reste un rendez-vous incontournable des foyers français. Et pour cause : les « JT » sont toujours considérés comme la source médiatique la plus fiable (69%, +2 points), devant la PQR (63%, +2 points), la PQN (60%, +2 points, et les journaux d’informations à la radio (60%, stable), selon le 38ème Baromètre de La Croix sur la confiance dans les médias. Les réseaux sociaux (29%) et les influenceurs (19%) sont tout en bas de ce classement. Le manque de confiance dans les médias traditionnels est en recul puisqu’il est passé de 27% à 25%. Les journaux télévisés d’information (90% d’utilisateurs, + 2%, dont 62% tous les jours), les chaînes d’information en continu (79%, +3 points dont 44%) et la PQR/PHR (75%, stable dont 30%) devancent les réseaux sociaux (72%, +2 points dont 43%), détaille cette enquête. Cette montée en puissance du net est suivie de près par les médias dits traditionnels. Rodolphe Belmer, le PDG du groupe TF1 expliquait, récemment, que YouTube était devenu son « principal concurrent ». Nier cette évidence n’est plus une option de nos jours. L’année dernière, les audiences de YouTube ont dépassé, pour la toute première fois, celles de la télévision traditionnelle. En comptabilisant plus de 42 millions d’usagers pour un temps moyen de 41 minutes par personne chez les 15-49 ans, la plateforme de diffusion de vidéo dépasse TF1, la première chaîne française. La 9ème étude annuelle réalisée par l’agence d’influence marketing Reech avec l’institut de sondage Norstat vient de montrer que les réseaux sociaux étaient devenus, pour la toute première fois, le média le plus indispensable pour les consommateurs.
Pour s’informer, les Américains regardent… TikTok
Aux Etats-Unis, les réseaux sociaux sont devenus les principaux canaux d’information des citoyens, loin devant la télévision. Les élections américaines de 2024 ont brièvement relancé l’intérêt pour le petit écran de l’autre côté de l’atlantique mais la domination des plateformes numériques a vite repris le dessus. L’année dernière, la plateforme chinoise TikTok a dépassé X (ex-Twitter) en tant que source d’information. Cette première confirme le rôle central des contenus vidéo courts.
L’essor des influenceurs d’actualité
L’analyse du Digital News Report confirme, par ailleurs, la montée en puissance des influenceurs. « Hugo Décrypte en France illustre parfaitement cette mutation : en 60 jours, ses comptes sociaux ont généré 259 millions d’interactions, soit 7,2 fois plus que Le Monde, comptabilise Christophe Asselin. Avec 16 millions d’abonnés, il incarne cette nouvelle manière de consommer l’information, en particulier chez les jeunes : 73 % des lycéens en terminale utilisent Hugo Décrypte comme source principale d’actualité. Aux États-Unis, la tendance est encore plus marquée : 37 % des jeunes adultes (18-29 ans) s’informent via des influenceurs. Des figures comme Tucker Carlson, Joe Rogan ou Ben Shapiro rivalisent avec les médias historiques et façonnent l’opinion publique, souvent avec un prisme partisan. »
Des sources d’information toujours plus nombreuses
Si le JT de TF1 reste le rendez-vous incontournable de nos dîners, une des évolutions les plus frappantes de ces dernières années est la dispersion des audiences sur un nombre croissant de plateformes. C’est tout particulièrement vrai sur la Toile. Facebook a ainsi perdu sa toute puissance qui décline comme source d’information au profit des messageries privées comme WhatsApp, YouTube et TikTok. YouTube est devenu un espace important pour les journalistes et influenceurs, X reste influent notamment pour les discussions politiques et TikTok est devenu le moteur de recherche le plus utilisé par la Génération Z.
Pour s’informer, TikTok et la vidéo deviennent des sources crédibles
TikTok, dont l’audience grandit à une vitesse exponentielle, commence à devenir un acteur majeur de l’information. En 2024, 9% des Américains et 8% des Français consultaient la plateforme chinoise pour s’informer. TikTok est, par ailleurs, de plus en plus utilisé comme un moteur de recherche à part entière, particulièrement auprès de la Gen Z. Cette évolution n’est pas forcément très rassurante. L’absence de régulation des contenus, la propagation massive de fausses informations et de contenus violents ainsi que du risque d’espionnage au profit de la Chine ont déjà encouragé plusieurs pays à interdire TikTok. L’an dernier la Commission européenne a ouvert une procédure contre la plateforme et le 25 mars 2025, l’Assemblée nationale a lancé une commission d’enquête parlementaire sur les effets psychologiques de TikTok sur les jeunes.
Une polarisation accrue, principalement aux Etats-Unis
Cette multiplication des sources d’information encourage les citoyens à consulter uniquement des sites qui confirment leurs opinions. Cette polarisation médiatique est nettement plus importante aux États-Unis qu’en France. Les élections présidentielles de 2024 ont encore accentué ces clivages. En 2022 sur X, 65% des utilisateurs se déclaraient démocrates contre 31% républicains. Ils sont aujourd’hui 48% démocrates et 47% républicains.
Journalistes ou influenceurs ? Difficile de faire la différence
« Les frontières entre journalisme et influence se brouillent, analyse Christophe Asselin. Certains journalistes deviennent des créateurs de contenu indépendants et des influenceurs comme Léna Situations sont invités à couvrir des événements majeurs. Les médias traditionnels intègrent des influenceurs pour rajeunir leur audience. Cette évolution soulève des questions sur la fiabilité de l’information, la transparence des partenariats et le respect des standards journalistiques. » Cette évolution « à marche forcée » du métier de journalistes inquiète de plus en plus de possesseurs de la carte de presse.
Des défis complexes pour les pros de la com et des RP
Les professionnels de la communication sont aujourd’hui contraints de se réinventer et les RP doivent s’adapter à ces bouleversements en diversifiant leurs stratégies. Ils doivent, dans un premier temps, identifier les bons relais d’influence, qu’ils soient journalistes, créateurs de contenu ou leaders d’opinion. Il leur faut ensuite « adapter leur approche à chaque plateforme et créer du contenu engageant et adapté aux formats courts », analyse l’expert d’Onclusive. Les nouvelles technologies peuvent les aider à relever ces défis. Interrogée dans le cadre d’une étude publiée par l’agence spécialisée dans l’influence digitale Jin jin.fr et l’E-CERCLE, une communauté de professionnels de la communication corporate digitale, plus de la majorité des 37 directeurs de la communication issus de 100 grandes entreprises françaises du CAC 40 et du SBF 120, reconnaissait que l’impact de l’IA dans leurs opérations était déjà fort (40%) voire même très fort (11%). « Le marketing et la communication ne sont plus seulement des disciplines créatives ; elles deviennent aussi des sciences basées sur la donnée et la technologie, nous expliquait récemment Mehdi Ramdani, le rédacteur en chef de LinkedIn Actualités. Ce secteur se trouve aujourd’hui à la confluence de la technologie et de la créativité. » Ce constat est encore plus visible aux Etats-Unis qu’en France mais ce fossé risque de se combler rapidement…