9 janvier 2025

Temps de lecture : 3 min

L’UE va-t-elle tenir le choc face aux provocations de la « tech » américaine ?

L’Union européenne fait face aux attaques de Musk et Zuckerberg, alignés sur Trump, qui dénoncent une "censure". Malgré un arsenal législatif (DSA et DMA) pour réguler les abus numériques et lutter contre la désinformation, Bruxelles reste discrète, suscitant des tensions, notamment avec la France, qui exige une application ferme des règles. Musk et Meta amplifient les provocations, tandis que l’UE hésite à agir frontalement, par crainte d’affecter les relations transatlantiques.


Confrontée aux attaques frontales d’Elon Musk et Mark Zuckerberg, désormais alignés sur
Donald Trump, l’Union européenne, accusée de « censure », doit démontrer qu’elle a les
moyens législatifs – et la volonté politique – de résister à la « big tech » américaine.
La Commission européenne s’est dotée l’an dernier d’un vaste arsenal juridique pour réguler
son espace numérique, avec un grand texte pour lutter contre les abus de position de
dominante, dans le domaine économique (le DMA), et un autre pour endiguer les contenus
illégaux et la désinformation sur internet (le DSA).
Or, depuis l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, tenant d’une ligne dure contre
l’Europe, l’exécutif bruxellois semble soucieux de ne pas froisser son allié américain, tandis
que Meta (Facebook, Instagram) a rejoint X mardi dans sa croisade contre les règlements
européens.
Le silence de la présidente Ursula von der Leyen, certes immobilisée chez elle par une
pneumonie, mais aussi de ses commissaires, était assourdissant ces derniers jours. Pas la
moindre intervention sur les réseaux sociaux.

  • « Pas de commentaire »
    Mercredi, la Commission a toutefois « catégoriquement » réfuté les accusations de censure
    lancées la veille par Zuckerberg contre l’UE. Le DSA ne définit pas ce qui est légal ou illégal
    mais contraint les plateformes à respecter les lois déjà existantes qui interdisent par exemple
    en France les injures racistes ou sexistes, les incitations à la violence ou les contenus
    terroristes.
    Le patron de Meta, dans un mouvement de rapprochement vers Trump et ses soutiens, a
    annoncé qu’il mettait fin au « fact-checking » au sein de son groupe aux Etats-Unis, sans
    incidence en Europe pour l’instant.
    Un tel recours à des vérificateurs indépendants n’est pas une obligation dans l’UE, mais c’est
    un engagement volontaire qui peut être pris en compte par le régulateur parmi les eforts des
    plateformes pour réduire les risques de manipulation de l’information.
    L’AFP participe à un programme de fact-checking, dans plus de 26 langues, développé par
    Facebook, qui rémunère plus de 80 médias à travers le monde pour utiliser leurs « factchecks » sur sa plateforme, sur WhatsApp et sur Instagram.
    De son côté, Elon Musk multiplie les provocations sur X en s’invitant dans les débats
    politiques au Royaume-Uni et en Allemagne. Le milliardaire, proche de Donald Trump,
    participera jeudi à une conversation avec la dirigeante du parti d’extrême droite allemand,
    AfD, retransmise sur X, à un mois et demi des élections législatives.
    La porte-parole de Mme von der Leyen, Paula Pinho, a justifié mardi son mutisme par la
    volonté de ne pas donner plus de visibilité aux messages problématiques. « En réagissant, on
    nourrit aussi le débat, le choix politique pour l’instant est de ne pas nourrir encore ce débat »,
    a-t-elle affirmé.
    Cette apparente passivité a suscité une réaction courroucée de Paris. Le chef de la diplomatie
    française Jean-Noël Barrot a exhorté Bruxelles mercredi à protéger les Etats membres de l’UE
    contre les ingérences dans le débat public européen.
    « Soit la Commission européenne applique avec la plus grande fermeté les lois que nous nous
    sommes données pour protéger notre espace public, soit elle ne le fait pas et alors il faudra
    qu’elle consente à rendre aux Etats membres de l’UE la capacité de le faire », a-t-il lancé.
  • « Protéger nos démocraties »
    Le silence de la Commission contraste avec la fermeté affichée en décembre lorsqu’elle a
    annoncé l’ouverture d’une enquête contre le réseau social d’origine chinoise, TikTok, accusé
    d’avoir manqué à ses obligations et ouvert la porte à de possibles manipulations russes dans
    l’élection présidentielle annulée en Roumanie.
    « Nous devons protéger nos démocraties de toute forme d’ingérence étrangère », avait alors
    déclaré Ursula von der Leyen.
    « Il y a sans doute une volonté de ne pas s’attaquer frontalement à Trump et Musk, parce
    qu’on a peur des réactions », estime Alexandre de Streel, expert des législations numériques
    pour le Center on regulation in Europe (Cerre). La Commission « a été plus stricte avec les
    plateformes chinoises », souligne-t-il, mettant en avant le contexte géopolitique compliqué
    avec la guerre en Ukraine et la dépendance militaire des Européens envers les Etats-Unis
    « Si la Commission ouvrait une procédure contre Musk ça mettrait plus que de l’huile sur le
    feu », constate aussi Umberto Gambini, partenaire de la société de consultants Forward
    Global, spécialisée dans les affaires européennes. La mise en œuvre du DSA « reste très
    politique » selon lui.
    Cela vaut aussi pour le DMA. Selon plusieurs sources, le cabinet von der Leyen a gelé
    récemment l’annonce d’une amende contre Apple pour pratiques anticoncurrentielles par
    souci de ne pas nuire aux liens transatlantiques.
    Une enquête a été ouverte contre X en décembre 2023. Mais aucune mise en cause formelle
    n’a encore été annoncée sur les soupçons de manipulation des algorithmes qui rendraient
    plus visibles les messages de Musk ou de l’extrême droite.
    Dans ce domaine, les violations sont « très difficiles à prouver », explique M. de Streel, selon
    qui le DSA ne va « probablement pas assez loin » pour réguler l’internet. Les plateformes
    numériques ne sont ainsi pas tenues aux mêmes règles d’équilibre politique que les médias
    traditionnels.

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