Thierry Reboul : « J’ai toujours eu envie de laisser une trace, aussi orgueilleux que cela puisse être »
Thierry Reboul, l’homme des JO, qui a été pendant six ans directeur exécutif de Paris 2024 pour les cérémonies et les projets spéciaux révèle quelques secrets sur « l’événement de toute une vie » et répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige.
INfluencia : Votre coup de cœur ?
Thierry Reboul : Je suis allé l’autre soir (ndlr : interview réalisée en décembre 2024) à l’Opéra voir Play, de Alexander Ekman, qui est le chorégraphe et directeur artistique que j’ai choisi pour la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques et avec qui je suis devenu très ami. J’avais déjà vu Play en 2017 et c’est à ce moment-là que je m’étais dit que je voulais travailler avec lui. Quand j’ai su que l’Opéra reprenait ce ballet, j’ai voulu à tout prix le revoir. C’est comme si j’avais bouclé la boucle.
Dans un autre genre, je suis 17 fois par jour en train de regarder le classement du Vendée Globe. Faire le tour du monde et notamment de l’Antarctique, tout seul sur son bateau me fascine et du coup je n’arrive pas à m’en déscotcher.
IN. : Et votre coup de colère ?
T.R. : J’ai vu comme tout le monde la réouverture de Notre-Dame. Je ne sais pas si j’ai raison, mais cela fait un moment que je suis en colère, même si le mot est peut-être excessif. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi on a reconstruit cette flèche de Viollet-le-Duc à l’identique. Tout le monde en parle comme une évidence, mais je trouve que c’est une occasion perdue. Du coup, je me suis penché sur la carrière de cet homme, qui, il faut bien le dire, n’était pas complètement dans mon spectre et j’ai vu que, toute sa vie, il avait été iconoclaste, n’avait pas suivi l’establishment et n’en avait fait qu’à sa tête. Je trouve donc qu’on fait exactement le contraire de ce qu’il avait fait pendant toute sa carrière. Viollet-le-Duc n’aurait vraisemblablement pas reconstruit sa flèche à l’identique. J’arrive certes à comprendre que politiquement ce n’était pas simple mais ce manque de respect pour cet homme me reste en travers de la gorge.
IN. : La personne qui vous a le plus marqué dans votre vie ?
T.R. : je suis depuis toujours pour des raisons personnelles obsédé par le courage, j’en ai fait une espèce de mantra dans ma vie personnelle et professionnelle. Je trouve les gens courageux plus importants ou plutôt plus rares que les gens intelligents. Et je me suis toujours demandé si dans des moments clés non professionnels, j’aurais été courageux. Par exemple, si j’aurais été résistant pendant la guerre. Je n’ai pas la réponse bien évidemment mais, du coup, les personnages qui m’ont le plus marqué sont Manouchian et Jean Moulin. Je suis peut-être encore plus fasciné par Manouchian, par le fait que des étrangers soient venus nous défendre, nous aider à résister et soient morts pour la France. Les panthéoniser me paraissait être une évidence. Il était temps. De la même manière qu’il était temps de reconnaître la responsabilité de la France sur le massacre des soldats sénégalais par l’armée française en décembre 44 à Dakar. J’ai trouvé que cette démarche, qui consiste pour un pays comme le nôtre à regarder les choses en face et à ne plus se cacher les erreurs et les atrocités qu’on a pu commettre, notamment pendant la colonisation, est hyper vertueuse.
IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire
T.R. : Mon père qui était énarque m’a avoué un jour que son rêve avait été d’être garde forestier, que son père le lui avait interdit et l’avait obligé à faire ses études. Il a mal vécu une partie de sa vie à cause de cela, ce qui m’a fait réfléchir. Mais moi, je crois que depuis le début, j’ai toujours eu envie de laisser une trace, aussi orgueilleux que cela puisse être. Ce qui s’est passé cet été m’a détendu par rapport à ce sentiment et du coup je n’ai pas de regrets. J’ai fait ce que j’avais envie de faire.
IN. : Votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)
T.R. : Je suis très content d’avoir tenu bon et n’être jamais allé sur les réseaux sociaux. J’en suis totalement absent et j’ai une adresse Instagram secrète qui me permet d’aller voir des choses par curiosité. J’en suis très fier parce que tout le monde critique les réseaux, mais tout le monde y est et personne n’en part, à mon grand désespoir sauf cas particulier, comme ceux qui ont quitté X.
IN. : votre plus grand échec ? (idem)
T.R. : C’est celui de ne pas avoir continué à jouer… aux échecs.
Je regrette aussi de ne pas avoir été sportif. C’est marrant, parce que, quand je suis arrivé chez Paris 2024 tous les gens à qui je parlais étaient ou avaient été soit champions du monde, soit champions olympiques de quelque chose. Donc il valait mieux se taire, parce que le premier type qui disait par exemple « faisons une partie de ping-pong » était médaillé…
Je parlais du Vendée Globe tout à l’heure et j’aurais adoré faire quelque chose comme cela. Il me manque un accomplissement personnel du type aventure ou exploit.
IN. : Si Dieu existait, qu’aimeriez-vous après votre mort qu’il vous dise ?
T.R. : Qu’il me dise que j’avais tort (ndlr : de ne pas y croire). Tout simplement.
IN. : Un secret à nous révéler
T.R. : Les secrets que je pourrais révéler sont vraiment liés à cette cérémonie des JO qui m’ont occupé pendant six ans. Le premier concerne ce fameux plan B. J’ai dit récemment que je n’avais pas de plan B mais j’ai été mal compris pour des raisons de sémantique. Ce que je voulais dire, c’est que bien sûr nous avions des solutions pour pallier certains problèmes, comme la pluie par exemple, mais que nous n’avions jamais travaillé sur une autre cérémonie que celle sur la Seine. Et je redis que nous avons bien fait de n’avoir qu’un plan A. Parce que quand on n’a qu’un plan A, on ne travaille que sur celui-là et que, dans ce pays et ailleurs, si on a un plan B, c’est le meilleur moyen justement de finir au plan B !
Le deuxième secret concerne Céline Dion. Quand il a plu, il y a eu un petit moment de flottement chez les artistes. Nous étions au point de bascule de la cérémonie parce que s’ils nous lâchaient, c’était la catastrophe. L’équipe de Céline Dion nous a alors demandé de la redescendre au Trocadéro. Et à ce moment-là, c’est elle-même qui a dit : « il n’en est pas question, je ne bougerai pas d’ici et je chanterai de la Tour Eiffel, quoi qu’il se passe et même s’il devait y avoir la plus grande tempête de l’univers ». Une très grande dame ! Et c’est elle, qui, grâce à son attitude, a sauvé la situation. Nous nous sommes, bien sûr, débrouillés pour faire savoir à tous les artistes que la plus grande d’entre eux n’avait pas l’intention de reculer. Et cela a été le moment clé de la cérémonie.
IN. : qui emmèneriez-vous sur une île déserte ?
T.R. : Un chef trois étoiles, parce que je peux me passer de beaucoup de choses mais pas de bonne bouffe. S’il y a des plantes, des fruits sur une île déserte, le fait d’avoir avec moi quelqu’un qui serait capable de s’en servir pour faire un bon plat est très réconfortant.
* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint-Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».
Pour l’instant, ThierryReboul se dit « salarié chez France Travail » (rires). Depuis la fin des JO, il fait le tour du monde (Rome, à Montréal, aux Etats-Unis, à Abu Dhabi…) pour parler à des conférences… « A chaque fois l’accueil est incroyable, le monde entier a envie de célébrer cet événement, c’est incroyable !»
Et demain ? « Les JO,c’est l’évènement de toute une vie. C’est six ans à 100% de son temps. Et tout à coup on passe de 100% à 0%. Ma seule activité pour l’instant est de savoir comment on fait pour sortir de là sans trop de dégâts, comment on remonte sur le cheval, comment on arrive à se reposer, comment on arrête de flotter », affirme-t-il. Et il se dit « en pleine réflexion pour la suite ». Rendez-vous sans doute dans quelques semaines pour en savoir plus.
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