Disney+ : la difficulté à sortir de l’ombre de Canal+
À quelques semaines de la fin de 2024, Disney traverse une période charnière en France. Alors que le géant du divertissement annonce l'arrêt de ses chaînes thématiques et sa sortie des offres Canal+, il doit réinventer la distribution de Disney+ tout en naviguant dans les complexités de la chronologie des médias. Entre nouveaux partenariats à explorer, concurrence accrue et enjeux de monétisation publicitaire, le groupe est confronté à des choix stratégiques décisifs pour maintenir sa position sur un marché en pleine mutation.
Si Disney a profité de son premier showcase en France pour annoncer le 10 décembre la production de la « workplace comedy » Surveiller et punir (8×30’, Nabi Productions), c’est dans le registre du thriller psychologique davantage que du film de Noël que se déroulent pour le groupe les dernières semaines de 2024.
L’enjeu de la distribution est le plus immédiat avec, le 1er janvier 2025, l’arrêt prévu de ses chaînes thématiques (Disney Channel, Disney Junior…) et la sortie de Disney+ des offres de Canal+. D’après les données du Baromètre des Usages Audiovisuels NPA Conseil / Harris Interactive, la plateforme se trouvera du jour ou lendemain privée de 30 % de ses abonnés et, à la perte des revenus de distribution correspondants s’ajoutera la réduction de la couverture qu’elle garantit aux annonceurs, donc une plus grande difficulté à s’imposer dans la course à la monétisation publicitaire.
« Ne vous inquiétez pas, nous reviendrons vers vous sur les prochaines étapes très bientôt », se voulait, rassurant, un mail adressé le 4 décembre aux clients qui accédaient à Disney+ dans le cadre d’une offre Canal+ ; « Nous envisageons actuellement toutes nos options pour étendre la distribution de notre plateforme et de ses contenus », prolongeait le 10 décembre les responsables du groupe auprès de Satellifax, sans détailler davantage les options envisagées. Placé dans une situation proche début 2023, après avoir – temporairement – coupé les ponts avec Canal+, Warner s’était associée à Amazon pour lancer en mars le Pass Warner. Ce scénario, s’il ne peut être exclu, n’apparait pas comme le plus probable, le groupe Disney n’ayant à ce jour aucun accord avec la maison-mère de Prime Video.
On imagine donc plus aisément un schéma proche de celui trouvé par Disney USA avec le 2e câbloopérateur américain, Charter Communication, en septembre 2023, prévoyant l’accès gracieux au forfait avec publicité pour tous les abonnés 3P de l’opérateur. Dans une telle hypothèse, Orange (qui a intégré Disney+ à son programme de réduction de 5 € par mois par mois pour les abonnés qui y souscrivent par son intermédiaire) ou Free (chez lequel Disney+ est déjà inclus pour les clients à la Freebox Ultra) apparaissent comme les candidats les plus naturels.
Reste à savoir, au-delà, si Disney+ pourra demain proposer les films du studio six mois après leur sortie – en lieu et place de Canal+ qui bénéficiait de cette « fenêtre » dans le cadre de l’accord en phase de terminaison, ou si Disney+ continuera à attendre jusqu’à 17 mois.
Dans ce deuxième cas, synonyme d’une – presque – année de « jachère » pour les longs métrages produits par Disney, la France se trouverait lourdement décalée par rapport aux dates d’accès aux films prévalant dans le monde, et il est à espérer que le public ne trouverait pas dans cette frustration une motivation à se tourner vers le piratage.
Mais le chemin vers les six mois n’est pas un parcours de santé !
Comme le rappelle le schéma proposé par NPA Conseil, le décret SMAD a anticipé cette possibilité, … à charge pour la plateforme (si elle expose des films moins de 12 mois après leur sortie en salle) de contribuer à la création (cinéma et audiovisuel cumulés) à hauteur de 25 %, au lieu de 20 %, et sous réserve de négocier avec l’Arcom la modification de sa convention en inversant les proportions de ses contributions, à l’audiovisuel – 80 % aujourd’hui – et au cinéma – 20 %.
La chronologie des médias mise en place le 24 janvier 2022 n’exclut pas non plus cet avancement… mais l’éditeur, pour pouvoir y prétendre, doit avoir passé avec les organisations professionnelles du cinéma un accord « premium », mieux disant par rapport à un deal « standard » qui permet d’être positionné à 15 mois (au lieu des 17 mois des plateformes qui n’ont rien signé, comme c’est le cas de Disney aujourd’hui).
Trois ans plus tard, ou presque, aucun service de SVoD ne s’est encore positionné sur cette fenêtre premium, de sorte qu’on ne sait pas les engagements qui y correspondent dans l’esprit du BLIC, du BLOC et de l’ARP, au-delà des termes qui sont explicitement prévus (minimum garanti, par abonné ou en valeur absolue, clause de diversité, engagement d’éditorialisation et engagement de préfinancement, notamment).
Les organisations professionnelles ont donc deux cartes fortes dans leur main. Parce qu’un accord résulte d’une conjonction de volontés, d’abord, mais aussi parce que l’accord sur la chronologie de 2022 ne peut juridiquement pas être reconduit. Elles joueront, par définition, un rôle essentiel, dans la négociation des termes qui lui succéderont.
Mais c’est Canal+ qui pourrait finalement se révéler maître du jeu : à la fin du mois de décembre, et quelques jours avant celui portant sur la chronologie, c’est l’accord du groupe avec le cinéma français qui viendra à expiration. Après avoir investi 190 M€ par an pendant trois ans, Canal+ peut aujourd’hui choisir de maintenir sa contribution à un niveau proche ou inchangé, sous réserve que le BLIC, le BLOC et l’ARP ne se montrent pas trop accommodants avec les plateformes, ou d’abaisser significativement le montant qu’il apporte – certains articles de presse évoquaient 120 ou 130 M€ – et laisser Disney+ s’approcher des 6 mois en échange du minimum garanti de 55 M€ par an – en moyenne – sur lequel le groupe américain s’est dit prêt à s’engager.
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