29 novembre 2024

Temps de lecture : 6 min

Fred Raillard (Fred & Farid) : « je m’étais surentraîné avant d’obtenir ma ceinture noire de Kyokushinkai en Chine »

27 déménagements en 20 ans ! Fred Raillard ne tient pas sur place. Le CEO, co-fondateur de Fred & Farid et fondateur et « Head of Gen Ai » de [Ai]magination répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige.
Fréderic Raillard (agence Fred et Farid)

INfluencia : votre coup de cœur ?


Fred Raillard : il est pour l’île d’Yeu, sur la côte Atlantique, toujours aussi belle. Je reviens d’un voyage là-bas avec ma maman, qui y est allée pour la première fois. Elle a 80 ans et a fait son premier baptême d’hélicoptère. C’était juste très beau et émouvant de pouvoir lui montrer cet endroit. Elle a découvert l’île qui est une perle dans l’océan, un endroit hybride entre la Vendée et la Bretagne. Elle me rappelle mes deux grands-mères, l’une est en Vendée, l’autre en Bretagne et donc j’ai l’impression d’avoir mes deux grands-mères sur l’île.

Ne pas accélérer sur l’IA, c’est condamner les générations futures


IN. : et votre coup de colère ?


F.R. : c’est de constater en France et en Europe une espèce de retenue par rapport à l’intelligence artificielle, comparé à ce qui se passe aux États-Unis et à la Chine, que je connais bien, qui foncent à mille à l’heure sur l’IA. J’ai l’impression que l’Europe freine au lieu d’accélérer et je trouve que c’est vraiment dangereux. J’ai récemment parlé avec un journaliste qui me disait que le mot « révolution » était trop faible lorsqu’on parle de l’IA. Ce n’est pas une révolution, c’est un changement de civilisation. Pour la première fois l’homo sapiens est face à une forme d’intelligence supérieure. L’intelligence artificielle va redéfinir toutes les facettes de nos vies et de nos relations les uns envers les autres et tous les domaines. Donc ne pas s’y intéresser, c’est de la folie. Pire, ne pas pousser la France et l’Europe dans l’IA, c’est du suicide en fait. On va laisser une fois de plus les Américains et les Chinois construire des empires autour de l’IA. Face à ce changement de paradigme profond – en fait le plus gros changement qu’a jamais connu l’homo sapiens – on se pose encore des questions ! Il faut vraiment accélérer par tous les moyens possibles, mais le faire en toute conscience, c’est-à-dire en se disant que l’IA n’a pas que des qualités, en essayant de préserver un rôle pour l’homme. Ne pas le faire, c’est condamner les générations futures. Et comme le disent les Américains, « if you can’t fight it, embrace it » (si tu ne peux pas le combattre, accepte-le).


Nous avons participé à une cérémonie chamanique qui a changé notre vie


IN. : l’événement qui vous a le plus marqué dans votre vie ?


F.R. : sincèrement, c’est une expérience chamanique dans un village mexicain, Hautla de Jimenez. J’avais 20 ans et j’étais parti en voyage, sac à dos, avec un ami, également artiste. Cet endroit est connu pour les rituels chamaniques associés à la consommation de champignons hallucinogènes. Nous étions logés chez une chamane et nous avons vécu deux nuits très différentes. Lors de la première, elle a fait une cérémonie dans laquelle elle a brûlé du copal, a prononcé nos noms et fait des incantations. Une seule bougie éclairait la pièce et tout était douceur. Nous avons mangé chacun six champignons. Nous avons vécu une aventure extraordinaire. Nous étions dans un monde de douceur, nous avons dessiné et peint toute la nuit. J’ai vraiment compris le sens de la vie à ce moment-là, non pas avec ma tête mais avec tout mon corps. Que ce qu’on peut appeler Dieu, le Ch’i, le Ki, le prana selon les traditions, ou en tout cas la force de vie, est dans absolument tout autour de nous, dans une fourmi, dans une fleur ou dans une matière. Que les valeurs positives, c’était la beauté, l’écoute, l’harmonie, la paix, la nature. Pendant ce moment nous ne supportions d’ailleurs plus tout ce qui était synthétique, les vêtements, les objets, l’ordinateur, etc…
La deuxième nuit était très différente. J’ai vécu l’inverse, c’était l’horreur absolue, je ne sais pas si c’était intentionnel de la part de la Chamane. Il y avait vingt bougies et pourtant tout était sombre, on ne voyait que des monstres autour de nous. Nous avons eu peur toute la nuit, nous étions en disharmonie, en non-écoute.
Cette femme nous a fait vivre une double polarité, le positif et le négatif. J’ai compris tellement de choses pendant ces nuits, qui m’ont servi toute ma vie. Nous avons ensuite repris notre voyage, mais cette aventure chamanique a changé notre vie. Nous avons été tatoués dans la tête et le cœur sans retour possible. Nous n’avons jamais oublié.

IN. : votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire


F.R. : quand j’étais jeune je voulais être plongeur sous-marin, comme ceux qui descendent pour faire les forages à 100 mètres de profondeur. J’étais fasciné par l’océan qui m’attirait comme un aimant. D’ailleurs mon deuxième fils s’appelle Océan.
La première fois que j’ai mis un masque, je devais avoir cinq ou six ans. L’image est encore tellement claire dans ma tête, je me souviens de sa couleur et de sa forme ! J’étais à Noirmoutier chez ma grand-mère et j’ai eu un choc foudroyant au moment où j’ai vu une algue marron, qui n’était pas spécialement belle mais que j’ai trouvée sublime. Il y avait un peu de courant, elle s’est mise à bouger et j’ai admiré la grâce du mouvement. J’ai appelé mon cousin pour lui montrer. Depuis ce jour j’ai toujours voulu aller sous l’eau, mon signe du zodiaque est d’ailleurs poisson. À l’Ile d’Yeu, je me plonge dans l’eau froide -j’adore- et me mets en apnée comme en méditation.

IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)


F.R : c’est ma ceinture noire de Kyokushinkai en Chine. Auparavant, en Occident, j’avais pratiqué le karaté Shotokan, le karaté Wado-ryu ou le karaté Shito-Ryu. Le Kyokushinkai est beaucoup plus dur, plus violent, il n’y a pas de protection, il faut être mieux préparé. J’étais le seul étranger dans un club 100% chinois à Shanghai. La dernière année, je m’entraînais 5 jours par semaine, environ 4 heures par jour ! Le jour de l’épreuve, il fallait faire 50 pompes, 50 abdos, 50 squats, et 10 katas, (ndlr : un enchaînement de techniques qu’on doit connaître par cœur, réalisées dans le vide simulant un combat réel.) et 10 combats, dont il faut en dominer 5. Si on rate une seule de ces épreuves, c’est éliminatoire. Vous êtes noté par environ 25 ceintures noires qui sont sans pitié. Mon épouse avait amené un défibrillateur car elle avait peur que je ne tienne pas, tellement c’est intense. Je m’étais surentrainé comme un athlète, je ne mangeais que du riz et des protéines, j’avais perdu 10 kilos. J’étais tellement fier quand j’ai eu cette ceinture, je n’en revenais pas. Je continue à faire du karaté trois fois par semaine avec mon iPad avec mon « sensei » chinois qui est encore là-bas. Quand j’y retourne je vais le voir et nous combattons ensemble. C’est mon frère chinois.

IN. : votre plus grand échec ? (idem)


F.R. : ne pas jouer de guitare sèche. C’est une observation presque scientifique : les plus belles soirées de ma vie, c’était vraiment souvent en Provence, lorsque quelqu’un prenait une guitare sèche et se mettait à chanter autour d’un groupe de copains. On mangeait, on buvait, on fumait et on écoutait la guitare. J’ai eu la fainéantise de ne pas apprendre à jouer et je m’en veux. J’ai essayé de compenser en poussant un de mes fils à le faire (rires)…

J’utilise le boulot pour vivre la vie que j’ai envie de vivre


IN : un mot qui vous définit


F.R. : le voyage. Dans tous les sens du mot : intérieur comme extérieur. J’aime bien la définition chinoise de la mort : « la mort c’est l’immobilisme ». Je suis animé par le mouvement. Je n’ai aucun problème d’adaptation. J’ai une soif de voyages tellement énorme. Je suis un voyageur, c’est dans mes gènes ; j’avais des marins bretons des deux côtés de ma famille. Je rajoute des chapitres régulièrement à ma vie. Là, je suis à New York mais je sais que c’est momentané, que je vais y rester quatre ans et qu’après je bougerai dans un autre pays : en Afrique, au Moyen-Orient ou en Inde. L’agence n’est pas un projet d’argent. En fait, j’utilise le boulot pour vivre la vie que j’ai envie de vivre. Dans quatre ans, les enfants seront à l’université, j’ai déjà prévenu mon épouse qu’on quittera les Etats-Unis. Je sais que même à 80 ans, je continuerai à voyager. On me dit parfois : « tu devrais rentrer à Paris, c’est quand même un endroit génial ». Oui, bien sûr, mais je suis trop attiré par d’autres endroits. Le monde est extraordinaire. Je veux continuer à déménager jusqu’à ma mort. J’en suis au 27ème déménagement en plus de 20 ans : Paris, Londres, San Francisco, Shanghai, Los Angeles, New York. J’ai la chance d’avoir une femme qui me suit. Elle a une force extraordinaire et partout où nous allons « we feel home » parce qu’elle stabilise tout. Nous sommes très complémentaires, je déclenche le mouvement et elle consolide.

IN. : Quel compliment vous comblerait ?

F.R. : « he is a good soul ». (c’est une bonne âme)

IN : quelle musique auriez-vous envie d’emmener si vous étiez sur une île déserte ?


F.R. : « Now and Then» des Beatles, cet inédit retrouvé l’année dernière. C’est formidable qu’il ait été en tête des charts au Royaume-Uni. Ça veut dire que la beauté de la voix de John Lennon traverse le temps.

*l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

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L’actualité

Fred & Farid est implanté à Paris, New York, Shanghai, Los Angeles.

A lancé en janvier 2024, [AI]magination un studio de production via l’intelligence artificielle, spin off de Fred & Farid à Paris, New York, Shanghai, Los Angeles.

En projet : l’ouverture d’un nouveau [Ai]magination dans un autre pays prévu en 2025.

Travaille avec de nombreuses marques telles que Fox Studio, McCann World Group, L’Oréal, LVMH, Pernod Ricard, Havas London, Syneos Health, FutureBrand, Toyota Europe, Longchamp.

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