Arnaud Robin (Swipe Back) : « 2025 sera l’année gaming, en matière d’investissements publicitaires »
Avis aux annonceurs qui renâclent, ou doutent encore des effets du gaming sur les marques. L’ancien de We Are Social, head of gaming chez Swipe Back, Arnaud Robin fait l’état des lieux du gaming et des opportunités immenses que représentent les jeux pour les marques. À condition, comme il le dit si bien, « de savoir quelle expérience offrir à ses gamers ». Au rapport…
INfluencia : vous faites un état des lieux du gaming afin de faire comprendre aux annonceurs la manne que pourrait représenter ce secteur. Quels sont les principaux enseignements ?
Arnaud Robin : une évidence d’abord, le gaming est une culture incontournable. En 2023, le nombre de joueurs dans le monde a atteint 3,38 milliards, avec une croissance annuelle de 6,3 %.
« Le gaming est un moteur culturel et publicitaire puissant pour les marques, à condition de respecter ses codes et ses communautés »
En 2024, le marché global du gaming est estimé à 282 milliards de dollars, surpassant largement le cinéma et la musique combinés. Le gaming est devenu un « troisième lieu » social, favorisant des connexions entre joueurs et même au-delà, grâce à des plateformes comme Twitch et Discord.
IN. : la Gen Z n’est plus la seule à s’intéresser au phénomène…
A.R. : non, l’audience est segmentée.Les profils des joueurs vont des « Ultimate Gamers » passionnés de 10 à 15 ans aux « Time Fillers » occasionnels qui ont entre 51 et 65 ans (voir encadré). Les gamers privilégient le digital et recherchent des expériences publicitaires immersives et pertinentes, avec un fort intérêt pour les campagnes récompensantes.
IN. : selon vous, la publicité semble enfin mordre à l’hameçon du gaming…
A.R. : 85% des annonceurs se disent confiants dans la mesure des performances publicitaires dans les jeux. En 2024, 40 % des annonceurs prévoient d’augmenter leurs budgets dans les jeux, reconnaissant son importance croissante.
IN. : pourtant ce potentiel est encore sous-exploité par les marques ?
A.R.: une chose est sûre, les marques qui adoptent une approche culturelle et authentique, comme Nike avec Tekken 8ou Lacoste avec Trackmania, peuvent générer des affinités fortes. Le gaming permet de diversifier les revenus grâce à des activations immersives, comme l’exemple de Gucci dans Zepeto ou Greenpeace dans GTA 5.
Les gamers sont des individus qui méritent plus qu’une accroche opportuniste, car de fait, le gaming n’est pas un phénomène culturel, mais une culture à part entière
De fait, le gaming dépasse largement les simples loisirs, il est un moteur culturel et publicitaire puissant pour les marques, à condition de respecter ses codes et ses communautés.
IN. : les annonceurs ne savent plus où donner de la tête tant la révolution actuelle de la communication évolue… Comment leur expliquer.
A.R. : ce que l’on explique aux annonceurs, c’est que le gaming mérite mieux en termes de communication que l’adaptation pauvre ou le copié-collé d’une campagne existante sur une autre. Pour être efficace dans le gaming, il faut être créatif, audacieux.
IN. : si le « jeu » est vieux comme l’humanité, le marché du gaming, variante moderne a forcément un succès comparable. Que représente-t-il exactement aujourd’hui ?
A.R. : c’est effectivement un marché qui représente la moitié de l’humanité…, en comptant les jeux pratiqués en solo, les sudokus, les Candy crush auxquels on ajoute les jeux de tir, d’aventure, de découverte, de sport, qui sont aujourd’hui pratiqués dans le monde entier et par toutes les générations. Des revenus possibles dont les annonceurs ont vite compris l’intérêt, mais sans doute pas immédiatement la manière de s’y exprimer. D’autant que ces terrains évoluent chaque fois plus vite. En clair coller son logo sur un jeu vidéo ne sert à rien. La pub traditionnelle n’a pas sa place ici.
C’est un marché qui pèse plus que le cinéma et la musique réunis
Et puis surtout il faut bien comprendre la cible gamer. Elle aussi a évolué. Ce sont des individus qui méritent plus qu’une accroche opportuniste, car de fait, le gaming n’est pas un phénomène culturel, mais une culture à part entière.
IN: vous sous-entendez par-là, qu’elle est bien plus qu’une mode…
A.R. : effectivement ce n’est pas un phénomène qui va s’arrêter. Comme je le disais, dans le monde entier, il y a, depuis la nuit des temps, des « familles » de joueurs, et celles qui ne jouent pas. Les dés, les osselets, les billes, les cartes venues d’Asie… La proportion n’a pas changé. Jouer est un état d’esprit. Et aujourd’hui, la moitié de la population joue à des jeux vidéo.
IN. : c’est-à-dire…
A.R. : aujourd’hui, il y a des gens qui ne sont pas forcément des joueurs, mais spectateurs de gens qui jouent… Comme quand on regarde du football à la télé par exemple et ces followers, nous les considérons aussi comme étant des joueurs. Des supporters qui regardent des gens qui jouent à des jeux vidéo, qui soutiennent leurs streamers ou leurs influenceurs préférés. Au total il s’agit d’une industrie qui génère beaucoup de revenus.
IN. : vous évoquez l’arrivée en sous marin d’un « tiers lieu » désormais incontournable…
A.R. : c’est un marché qui pèse plus que le cinéma et la musique réunis, du fait de son support, le gaming est partout et en même temps méconnu, car dirons-nous « sous-terrain ». Alors que sans crier gare, le jeu au fil des années est devenu un tiers-lieu. L’endroit où les gens vont socialiser. Le jeu vidéo ce n’est pas seulement un endroit où je fais ma partie et je m’arrête et je vais manger, où je vais me coucher mais c’est là aussi où je fais ma partie dans le métro, où je joue. 82% des joueurs aux US disent avoir créé des amitiés via le gaming. Donc à l’intérieur des jeux vidéo mais aussi à l’extérieur sur les plateformes, on socialise comme dans la vraie vie.
IN. : finalement ce qui a changé depuis la nuit des temps, ce sont les supports, mais pas l’envie de jouer.
A.R. : c’est un état d’esprit. Quelque chose qui est en nous en fait, et quelle que soit sa forme, les joueurs évoluent avec les supports. Il y a 20 ans, il existait mais sous une forme un petit peu différente aujourd’hui, il y a tous les outils qui sont mis en place dans les jeux parce qu’ils sont multijoueurs.
IN. : quelle est la proportion d’hommes et de femmes qui jouent ?
A.R.: il y a plus d’hommes mais nous sommes à 55% pour 45% de femmes.
IN. : vous classez les joueurs par profils types. Quels sont-ils ?
A.R.: je dirai qu’il y a cinq profils types de joueurs qui ont chacun leurs habitudes et que l’on peut aller chercher, en tant que marques. L’ultimate gamer (Tranche d’âge majoritaire : 10-15 ans), le community gamer (21-25 ans), le mainstream gamer, le Time filler, le backseat viewer (16-20 ans). (lire les caractéristiques dans l’encadré « En savoir plus »).
Globalement, les gamers ne sont pas contre la publicité, ils sont pour une « publicité généreuse »…
Les gamers sont une audience unique qui est intéressante pour les annonceurs parce que c’est une audience digitale first donc vraiment très habituée du numérique. Ils sont deux fois plus à même de posséder les derniers produits donc le dernier iPhone, la dernière technologie… Et de fait ce ne sont pas de gens qui sont contre la pub… Ils l’aiment, si elle leur parle produit, innovation, nouveautés…
IN. : pourtant beaucoup de jeunes détestent la pub…
A.R. : ils détestent la pub mal faite, les copier-coller qui montrent clairement qu’on ne les comprend pas. On ne peut pas appliquer les mêmes règles en télé ou en replay pour ces gens-là. Les joueurs ne sont pas une masse informe… Ils ont tous des profils différents, on ne peut pas les adresser comme on adresse les téléspectateurs à la télé.
IN. : que faut-il retenir de leur rôle de prescripteurs ?
A.R.: par exemple, qu’ils sont très influents dans leur cercle familial. Cercle familial, et amical donc. Ce sont des gens qui vont recommander leurs achats. S’ils sont contents du dernier iPhone, ils vont en parler. Influents, ils aiment aussi une certaine forme de publicité basée sur la récompense. Donc globalement, ils ne sont pas contre la publicité, ils sont pour une « publicité généreuse »…
IN. : ce qui veut dire ?
A.R. : cela ne signifie pas qu’on doit leur faire des cadeaux (rires). Mettre un panneau publicitaire dans un jeu, ça se fait, ça existe. Mais ce qu’apprécient les gamers, c’est l’expérience que la marque va leur offrir.
IN. : des exemples ?
A.R. : imaginer des sortes de mini jeux sur Fortnite, et donc faire de la publicité via un mini jeu,- c’est une façon généreuse de proposer aux gens une nouvelle façon de consommer un nouveau contenu, un petit peu de temps, et non pas une affiche !
KFC x League of Legends s’associent pour lancer un nouveau burger au poulet. KFC a collaboré avec Overwolf, une plateforme utilisée par les gamers, pour proposer des défis dans plusieurs jeux populaires. La récompense, ou générosité : les joueurs ayant relevé les défis recevaient immédiatement des coupons de réduction à utiliser chez KFC, leur offrant une récompense tangible et instantanée pour leur participation.
Yop Versus (Splatoon-like) proposait une compétition interactive entre deux équipes, #TeamVanille et #TeamFraise, pour déterminer la saveur Yop préférée.
IKEA x Roblox imaginent The Co-Worker. IKEA a créé une activation sur Roblox où les joueurs pouvaient simuler le rôle de vendeurs dans un magasin virtuel, leur donnant un aperçu ludique du monde professionnel. Les participants étaient « payés » en monnaie virtuelle dans le jeu pour leurs tâches, leur permettant de s’immerger dans une expérience engageante tout en étant récompensés de manière tangible dans l’univers du jeu.
IN. : les annonceurs comprennent-ils cet état d’esprit ?
A.R. : après avoir pris la température, ils sont à fond, et le gaming advertising fait partie des postes dans lesquels ils vont le plus dépenser cette année, où ils vont augmenter leurs dépenses. Le social, la vidéo digitale l’influence et donc le gaming sont les postes qu’ils veulent investir. Ce qui est intéressant, c’est que le jeu vidéo étant un produit culturel, il n’est pas véritablement préempté par des plateformes publicitaires. Par exemple si une marque telle que Lego, nous demande de créer une opération dans Animal crossing, c’est parfaitement cohérent et nous avons les chiffres de connexion dans la foulée ce qui était impossible encore pendant la covid…
Aujourd’hui, on lance une expérience dans Fortnite, il y a un dashboard avec des Data qui indiquent le nombre de personnes qui sont connectés, combien de temps ces personnes ont passé, etcetera. Sur un site web on peut calculer une audience très vite grâce à la data et donc aujourd’hui les annonceurs sont assez à l’aise avec le fait d’aller dans les jeux vidéo parce qu’en fait ils savent qu’ils vont pouvoir récupérer des datas et vont pouvoir les comparer avec les autres médias de leur marketing mix.
IN. : qu’avez-vous à dire sur la violence de certains jeux vidéos ? Un contexte peu favorable à la communication…
A.R. : la brand safety dans les jeux vidéo est désormais largement reconnue, avec près de 90 % des annonceurs estimant qu’elle est aussi fiable que dans les autres médias numériques, ce qui permet des intégrations authentiques des marques.
Un exemple marquant de cette approche est la campagne de Heinz dans Call of Duty, un jeu de tir qui pourrait être considéré comme peu propice à ce genre dintégration. La marque a mis en place une activation originale en créant des « safe zones » où les joueurs pouvaient se réfugier pour prendre une pause et manger. Cette activation s’est parfaitement intégrée au gameplay, renforçant l’association entre Heinz et un moment de détente, tout en respectant l’expérience de jeu des participants.
En savoir plus
Les 5 Profils de gamers
1/L’Ultimate Gamer
Tranche d’âge majoritaire : 10-15 ans,
Répartition : 71 % hommes, 29 % femmes
Caractéristiques : Passionnés, ils jouent sur plusieurs plateformes et recherchent des expériences de haute qualité avec une grande exploration.
Motivations : découvrir des secrets et des mécaniques immersives.
Exemples de jeux :
League of Legends (coopération et compétitivité).
Call of Duty: Warzone (multijoueur avec amis).
Valorant (jeu en équipe compétitif).
2. Le Community Gamer
Tranche d’âge majoritaire : 21-25 ans
Répartition : 63 % hommes, 37 % femmes
Caractéristiques : Impliqués dans les communautés gaming, ils passent plus de temps à regarder du contenu qu’à jouer eux-mêmes.
Motivations : jouer avec des amis et découvrir des expériences multijoueur.
Exemples de jeux :
Pokémon TCG (jeu de carte).
World of Warcraft
3. Le Mainstream Gamer :
Tranche d’âge majoritaire : 26-50 ans
Répartition : 60 % hommes, 40 % femmes
Caractéristiques : Joueurs réguliers mais peu dépensiers, souvent attirés par les jeux gratuits ou à bas prix. Jouent principalement sur mobile ou plateformes abordables. Privilégient les jeux accessibles et faciles à intégrer dans leur quotidien.
Exemples de jeux :
The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom (exploration et découverte).
FIFA (parties rapides et populaires).
Call of Duty (gameplay compétitif).
4. Le Time Filler :
Tranche d’âge majoritaire : 51-65 ans
Répartition : 58 % hommes, 42 % femmes
Caractéristiques : Joueurs occasionnels, ils consacrent peu de temps au gaming et privilégient les jeux simples.
Motivations : passer le temps avec des jeux faciles à comprendre et peu chronophages. Ne se considèrent pas comme gamers mais le sont bien.
Exemples de jeux :
Solitaire (classique et simple).
Candy Crush Saga (mobile, rapide et casual).
Clash of Clans (stratégie légère).
5. Le Backseat Viewer :
Tranche d’âge majoritaire : 16-20 ans
Répartition : 63 % hommes, 37 % femmes
Caractéristiques : Préfèrent regarder des streamers ou du contenu gaming plutôt que jouer eux-mêmes.
Motivations : divertissement passif et participation à des communautés en ligne. Suivent les tendances et sont influencés par leurs créateurs préférés.
Exemples de jeux (souvent suivis via des streamers) :
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