INfluencia : Le 6 novembre 2024, lendemain de l’élection américaine, le site du Figaro a enregistré 10,5 millions de visites selon l’ACPM, se plaçant à la troisième place des marques d’information les plus fréquentées, derrière Le Monde et franceinfo. Comment les médias du groupe ont-ils bénéficié de l’actualité très porteuse en 2024 ?
Marc Feuillée : 2024 sera une année exceptionnelle en termes d’audiences pour Le Figaro avec l’actualité générale et politique, mais aussi pour nos autres titres comme Le Journal du Net ou Gala. Depuis le début de l’année, nous sommes chaque mois à près de 220 millions de visites et 22 à 23 millions de visiteurs uniques sur la marque Figaro. Grâce à l’actualité nationale et internationale, octobre et novembre enregistreront de bons résultats. L’intérêt pour l’actualité se ressent aussi sur les abonnements. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, nous enregistrons des records d’abonnements numériques que nous n’avions plus atteints depuis mars 2020 et les débuts du Covid. En 2024, Le Figaro a connu le meilleur été de son histoire sur ce critère avec des recrutements d’abonnements qui ont progressé de plus de 50 %. Septembre était encore en hausse de 60 % sur un an. Nous espérons franchir début 2025 la barre des 300 000 abonnés payants numériques. Nos revenus lecteurs progressent, y compris sur la diffusion traditionnelle, l’augmentation de prix du journal compensant l’érosion très réduite des volumes en vente au numéro.
Nous espérons franchir début 2025 la barre des 300 000 abonnés payants numériques
IN. : En va-t-il de même pour la publicité ?
M.F. : L’année a été très variée : janvier et février un peu moroses, un deuxième trimestre très dynamique, une première alerte au moment de la dissolution avec des coupures et des retards dans les investissements, puis un bel été avec beaucoup d’opérations spéciales, de cahiers spéciaux, Gala Paris, notre émission Bienvenue aux Jeux sur Le Figaro TV… En septembre, les annonceurs se sont montrés plus attentistes, du fait d’une sorte de « dépression post-JO » mais aussi des incertitudes politiques et budgétaires qui ont créé beaucoup d’interrogations sur la conjoncture de fin d’année. Pour l’instant, nous sommes dans nos plans. À fin août, le chiffre d’affaires publicitaire imprimé était en légère progression (+1 %). En 2024, la publicité digitale sera de nouveau en hausse grâce à des audiences puissantes sur Le Figaro mais aussi sur L’Internaute et Le Journal des Femmes, qui est redevenu leader de la catégorie des sites féminins, Gala étant en troisième position. Dans cet univers, le groupe place donc deux marques sur le podium, ce qui est très important pour l’avenir. La publicité sur les réseaux sociaux affichera une croissance à deux chiffres. À l’échelle du groupe, le chiffre d’affaires publicitaire 2024 sera donc en progression.
Le journal des Femmes est redevenu leader des sites féminins et Gala arrive en troisième position. Placer deux marques sur le podium dans cet univers est très important pour l’avenir
IN. : Malgré ces bons résultats, des réductions d’effectifs ont pourtant été annoncées courant octobre…
M.F. : Une douzaine de postes sont concernés en 2025 sur la centaine d’emplois que compte la partie édition. Comme les journaux du monde entier, nous réexaminons tous les trois ou quatre ans les moyens de l’édition imprimée du quotidien car les usages s’érodent et les outils évoluent. Nos journaux et magazines sont aujourd’hui plus faciles à mettre en page, à maquetter et à éditer. Notre logiciel Verso, déployé dans toutes les rédactions, est le point d’entrée unique des contenus qui se déversent ensuite sur les canaux print et digitaux. Tous ces outils amènent des gains de productivité indispensables.
IN. : Où en est l’intégration de Gala, que le groupe a acquis en novembre 2023 à la faveur de la recomposition du paysage média ?
M.F. : Elle s’achève avec le nouveau site qui sort le 25 novembre. En cette fin d’année, nous aurons porté vers le Groupe Figaro l’ensemble des activités qui étaient au début restées très liées à Prisma Media dans leur mécanisme. Tous les liens que nous avions dans le cadre du rachat ont désormais été décommissionnés.
Les émissions du Figaro TV enregistrées ou réalisées dans notre studio et devant un public sont un moyen d’incarner la rédaction, d’être plus proches des téléspectateurs et de rencontrer nos lecteurs
IN. : Et le développement de votre chaîne Le Figaro TV, lancée en 2023 avec le groupe Secom ?
M.F. : 2024 a été l’année de la distribution pour notre signal national. Des accords ont été noués avec Free, Bouygues Telecom et SFR. Il nous manque encore Orange (7 millions de foyers IPTV, ndlr) mais j’espère une bonne nouvelle dans les semaines qui viennent. L’accord avec MyCanal est aussi très important et nous sommes en train d’être déployés sur TF1+. La chaîne a trouvé un équilibre entre les émissions que nous produisons et une programmation documentaire qui crée des temps forts en soirée. Nous observons des pics d’audience assez importants en prime time, notamment lors de soirées spéciales sur l’histoire, de bons résultats à l’antenne, en replay et en podcast pour nos Clubs sur la politique, l’international, la culture et les idées. Depuis la rentrée, le rendez-vous d’actualité quotidien Points de vue est diffusé en direct. Ces émissions enregistrées ou réalisées dans notre studio et devant un public sont un moyen d’incarner la rédaction, d’être plus proches des téléspectateurs et une nouvelle opportunité pour rencontrer nos lecteurs.
IN. : Quelle est aujourd’hui la place de TV Magazine dans le groupe ? Depuis le lancement de Diverto par la PQR en janvier 2023, les deux suppléments TV n’atteignent plus les niveaux de diffusion de l’ancien TV Magazine…
M.F. : Je serais tenté de dire que ce n’est pas de notre fait… Nous sommes passés d’un magazine leader de la presse télé en diffusion et en audience (3,7 millions d’exemplaires et plus de 12 millions de lecteurs en 2022, ndlr) à un supplément pour deux quotidiens, Le Figaro et Le Parisien. C’était pour notre groupe une ligne de business et une offre aux lecteurs. C’est devenu surtout une offre aux lecteurs. Le nouveau TV Magazine nous a en revanche permis de résoudre l’écart qu’il y avait parfois entre nos lectorats et le magazine de l’époque, en raison des thématiques et des angles abordés, du choix des personnalités mises en avant… Aujourd’hui, il correspond davantage aux choix de nos lecteurs et de ceux du Parisien. Nous pouvons aussi mettre en avant la programmation de la chaîne Le Figaro TV, Radio Classique et Mezzo (médias du groupe Les Echos-Le Parisien, ndlr). Chacun y trouve son compte.
Une grande partie des applications des plateformes sont fondées sur l’utilisation de l’information ou montrent son utilité mais, dans nos relations, elles cherchent toujours à sous-valoriser nos contenus et à démonétiser le travail des créateurs
IN. : Le numérique est une activité essentielle du groupe et vous appelez toujours à plus de régulation dans les relations entre les médias et les Gafam. L’arrivée du « distraction control » d’Apple, qui permet notamment d’évincer la publicité, est l’un des derniers épisodes. Une nouvelle bataille à mener par les sites médias après celle des block lists ?
M.F. : Il faut impérativement que les règles du jeu soient établies et respectées pour que nous puissions vivre dans l’univers de ces plateformes américaines dominantes. Toutes les décisions prises par ces acteurs sous des prétextes divers – favoriser la conversation pour Facebook, protéger la vie privée et la navigation pour Apple – relèvent au fond de la même histoire : nous empêcher de bien commercialiser notre audience en réduisant l’inventaire des sites médias, en affaiblissant notre distribution avec la baisse du SEO et du search… Il y a toujours autant d’appétit pour l’information et une grande partie des applications des plateformes sont d’ailleurs fondées sur l’utilisation de l’information ou montrent son utilité. Mais, dans nos relations, elles cherchent toujours à sous-valoriser nos contenus et à démonétiser le travail des créateurs. C’est très décevant…
IN. : Le Figaro, tout comme Les Echos-Le Parisien, L’Equipe et Prisma Media, a assigné Google devant le tribunal de commerce pour abus de position dominante sur le marché publicitaire. Avec quelles chances de faire valoir vos arguments face à ce géant ?
M.F. : Google fait face aux États-Unis à un important procès sur cette même base d’abus de position dominante sur le marché publicitaire, pour laquelle le groupe a été condamné en 2021 par l’Autorité de la concurrence (ADLC). En France, le juge du tribunal de commerce vient, fin octobre, de le condamner à 26,5 M€ de dommages et intérêts au profit d’Equativ (ex- SmartAdserver) qui l’avait assigné en 2022 pour abus de position dominante et effet d’éviction sur le marché (le groupe réclamait le paiement d’une somme de 369,1 millions d’euros pour réparer le préjudice subi, ndlr). Cette société, qui était l’adserveur des médias, a aujourd’hui presque complètement disparu puisque l’AdX de Google – un outil performant dont Le Figaro est d’ailleurs client – domine le marché. Notre procès suit son cours et je ne doute pas que le juge, comme il l’a fait pour Equativ, condamnera Google à des dédommagements pour ceux qui ont été privés de valeur ou de revenus à raison de l’intégration verticale de ses outils et des choix de préférence sur ses propres inventaires. Notre volonté première reste de collaborer et de trouver des accords financiers. C’est parce que nous n’avons pas d’accord que nous allons devant le juge.
IN. : D’où la procédure au fond intentée par plusieurs éditeurs, dont Le Figaro, contre Twitter France et Twitter International sur la question des droits voisins ?
M.F. : Ce groupe n’ayant jamais accepté d’ouvrir de négociations sur les droits voisins avec les éditeurs de presse français. Une condamnation par le tribunal judiciaire de Paris constituerait une étape supplémentaire dans la mise en œuvre des dispositions légales sur le droit voisin des éditeurs de presse. L’accord conclu par Le Figaro avec Meta et Google nous a permis de verser aux journalistes du Figaro 25 % des droits perçus par ces deux groupes, ce qui est une juste récompense du formidable travail accompli par la rédaction.
IN. : La place des plateformes sur le marché a été débattue lors des États généraux de l’information. Qu’en avez-vous pensé ?
M.F. : J’ai été très sensible au fait que la ministre de la Culture, Rachida Dati, dise qu’elle voulait se saisir des idées proposées et les porter dans une réforme qui protégera mieux les médias. Ce qui se passe dans les marchés où il y a peu ou pas de régulation est très documenté. Les États-Unis, considérés comme exemplaires en matière de journalisme, sont aussi devenus le pays dans lequel la situation des médias issus de la presse écrite est la pire. Je vois trois priorités pour notre marché : empêcher l’éviction des plateformes des sites d’information, comme cela est en train de se passer avec Facebook et a failli arriver avec X ; faire en sorte que les médias ne soient pas évincés du marché de la publicité car, captée par d’autres acteurs, la publicité ne suit pas l’audience ; rémunérer les droits voisins et l’utilisation des contenus par les sociétés d’intelligence artificielle (IA) qui s’en servent pour entrainer leur modèle et, demain, pour le search.
J’ai été très sensible au fait que la ministre de la Culture veuille se saisir des idées proposées lors des États généraux de l’information et les porter dans une réforme qui protégera mieux les médias
IN. : Open AI a lancé le 31 octobre 2024 son outil SearchGPT, qui pourrait être à l’origine d’un « Search Shift » pénalisant Google. Cela reviendrait-il à passer d’un géant du net à un autre ?
M.F. : En reconstituant un moteur de recherche avec une dose d’AI, on monopolise l’attention de ceux qui cherchent de l’info en leur fournissant des éléments de réponses à partir de quelques sources. Si c’était si simple en matière d’information, cela se saurait ! Il faudrait aussi savoir comment ces sources sont sélectionnées, comment la première réponse ou le premier résumé est fait… Une chose est sûre : c’est toujours élaboré à base d’un contenu utilisé sans être rémunéré. Leur objectif reste de gagner de l’argent, d’aller concurrencer Google sur les liens sponsorisés pour, ensuite, les faire payer.
IN. : Avez-vous eu des discussions avec Open AI ?
M.F. : Non et ils ne le souhaitent pas. Ils contractent à leur rythme avec certains sites et journaux, visiblement un par bassin linguistique (un accord a été signé en France avec Le Monde, ndlr). Nous avons eu une fin de non-recevoir, ce qui est une drôle de façon de créer des partenariats et un alibi pour ne pas payer le reste, comme le font ces acteurs de l’IA – Open AI ou Perplexity – que les médias attaquent. Je suis intéressé de voir ce qui va se passer dans le procès entre le New York Times et Open AI car l’examen au fond des éléments permettra à un juge de dire ce qui a été utilisé et ce que cela vaut.
Nous avons pour 2025 un projet ambitieux de reprise complète de souveraineté sur l’ensemble de nos abonnés digitaux
IN. : Quelles sont les priorités du Groupe Figaro pour 2025 ?
M.F. : Nous avons un projet ambitieux de refonte du traitement de nos abonnés et de notre base CRM. Ce projet Amex – sans lien avec la carte de crédit – commence à être livré et sera en exploitation en février 2025. C’est une reprise complète de souveraineté sur l’ensemble de nos abonnés digitaux alors que traditionnellement, nous en gérions une partie en direct, l’autre partie était gérée par notre partenaire historique GLI, qui continuera à travailler avec nous sur notre portefeuille imprimé. Pour le reste, il s’agira avant tout de conforter l’existant plutôt que de se lancer sur de grandes ruptures.
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Le Groupe Figaro en chiffres :
Le groupe édite Le Figaro, ses suppléments (Le Figaro Magazine, Madame Figaro et TV Magazine) et ses extensions de marque (Le Figaro Histoire et différents hors-série). Son pôle digital regroupe Le Particulier, CCM Benchmark (L’Internaute, Journal des Femmes…), un département Voyages, Ticketac (qui vient de fêter ses 20 ans), Figaro Classifieds…
En 2023, le chiffre d’affaires du groupe s’est établi à 555 M€ (+6,5 % sur un an à périmètre constant, soit hors TV Magazine et Gala).
Le résultat opérationnel s’est établi à 21 M€.
Le numérique représentait 60 % des revenus du groupe.
La diffusion France payée du Figaro est de 359 767 ex. (+1,3 % sur un an) avec notamment :
- 233 382 versions numériques individuelles (+7,8 %)
- 63 829 abonnés portés ou postés (-9,1 %)
- 21 696 ex. en vente au numéro (-4,98 %)
Source : ACPM (moyenne octobre 2023-septembre 2024)