Face aux « géants du Net », 5 scénarios de reconquête par la relocalisation des investissements publicitaires
La domination des « géants du Net » a déstabilisé le marché publicitaire et le modèle économique des médias. Une étude réalisée pour l’association Les Relocalisateurs explore plusieurs scénarios de reconquête des investissements publicitaires avec leurs corollaires sonnants et trébuchants au profit des médias traditionnels, du PIB, de l’emploi et des finances publiques.
En dix ans, au début des années 2000, le marché publicitaire mondial a perdu 40 % de sa valeur. Les médias traditionnels ont vu leur part de marché dans l’économie mondiale tomber à 0,14 % en 2023, soit 10 fois moins qu’il y a 20 ans. En France, le poids du marché publicitaire s’est réduit à 0,61 % du PIB en 2024, alors qu’il était de 1 % en 2000. Dans le même temps, les « géants du Net » (GN), acronyme regroupant le trio Alphabet (Google), Meta (Facebook…) et Amazon, n’ont cessé de voir leur empreinte se renforcer sur un marché qu’ils dominent aujourd’hui avec plus de 40 % des revenus publicitaires mondiaux, soit 0,4 % du PIB mondial. Un montant ni plus ni moins comparable au PIB du Danemark… À l’échelle hexagonale, les revenus de ces groupes représentent 0,34 % du PIB. Entre 2005 et 2022, la branche « Publicité » a perdu 25 000 emplois, dont 15 000 après 2012.
Ces constats chiffrés sont issus de l’analyse économique « Relocaliser les investissements publicitaires », menée par les économistes Bruno Coquet (UNO Études & Conseil) et Éric Heyer (AixEco). Ils ont été présentés lors de la première conférence annuelle des Relocalisateurs, qui s’est tenue mardi 5 novembre 2024 sur le thème « Agir pour la relocalisation média, un enjeu économique et sociétal ». L’étude apporte un (nouvel) éclairage sur le phénomène d’emprise des grandes entreprises du digital qui a profondément déstabilisé le secteur publicitaire, impacté l’emploi et remis en cause le modèle économique, voire la survie des médias traditionnels avec toutes les conséquences sur le fonctionnement démocratique.
Trois particularités du marché publicitaire
Pour les besoins de cette étude, et afin d’estimer les effets sur le PIB, l’emploi et les comptes publics, les deux économistes ont cherché dans les comptes nationaux « l’empreinte de blitzkrieg digital ». Paradoxalement, et bien que le marché soit submergé, l’activité des GN n’apparaît que de manière sporadique dans la comptabilité nationale. Après analyse, il ressort que « tout ce qui se passe sur le marché de la publicité n’est pas lié qu’aux géant du Net, a souligné Bruno Coquet. Il s’est passé quelque chose dans la première décennie d’après 2000 que l’on a du mal à expliquer. Est-ce qu’il faut le relier à la concurrence qui fait baisser les prix, à une baisse des marges, à une rémunération qui a baissé… ? Certains phénomènes sous-jacents rendent difficiles la compréhension du secteur. » Parmi les énigmes figurent notamment l’évolution du « prix de la valeur ajoutée » qui a baissé de 40 % entre 2000 et 2010, mais qui présente des agrégats stables depuis 2013. De même, si l’effet sur l’emploi est certes marqué sur la période où les géants du Net ont gagné des parts de marché, ils n’en sont probablement pas la seule cause…
Alors que tous les secteurs de l’économie ont opéré leur transformation digitale, celui de la publicité présente toutefois trois particularités, poursuit-il : « La transformation du marché qui a été très rapide. L’extra-territorialité d’acteurs très puissants, qui pratiquent une optimisation fiscale et sociale, fait qu’il est difficile d’essayer de les contrôler. Un autre point vaut la peine d’être signalé : d’un point de vue macroéconomique, l’économie ne gagne rien à la présence des géants du Net car plus ils progressent, plus le PIB baisse. Les stratégies de sortie et de relocalisation des investissements médias ne peuvent donc être que gagnantes. » Elles seraient peut-être même plus efficaces que les stratégies juridiques de coercition et d’interdictions engagées jusqu’à présent contre les géants du Net, qui se sont traduites par des procédures « déséquilibrées, trop longues et peu efficaces ».
Cinq scénarios face aux géants du Net
Dans leur étude, les deux économistes ont simulé « 5 scénarios techniques » à demande constante, en appliquant « deux chocs ex-ante ». L’un tient aux importations, qui reflètent le chiffre d’affaires des GN avec des produits conçus à l’étranger, qu’ils « importent » complètement et sont facturés hors de France. L’autre relève d’une production domestique et reflète le chiffre d’affaires des entreprises locales qui créent de la valeur ajoutée en France. Un des cinq scénarios rebondit sur les projections de l’étude Arcom-DGMIC réalisée dans le cadre des Etats généraux de l’information (EGI). Un autre teste une hypothèse où les GN feraient a priori disparaître tous les acteurs locaux de la branche Publicité.
Seuls trois des scénarios testés comptent des effets positifs (ou neutres) sur les revenus des médias locaux, le PIB total, l’emploi et les finances publiques. Le scénario « analytique », qui fonctionne comme une sorte de référence, prévoit la relocalisation de 1 Md€ d’investissements au profit des médias locaux. « C’est déjà un choc important par rapport aux 17 Md€ de recettes publicitaires (0,6 point de PIB) mais les effets positifs restent assez modestes », a commenté Bruno Coquet. Deux scénarios de relocalisation, qui répondaient à l’objet de l’étude, ont été envisagés. Une « relocalisation seule », avec un levier susceptible de réduire les conséquences des distorsions de concurrence dont profitent les géants du Net, permet déjà d’améliorer la situation du PIB, de l’emploi et des recettes publiques. Le scénario de « reconquête du marché » est finalement le plus favorable. Les entreprises locales parviendraient à capter seulement une partie des dépenses (évaluées à 50 %, soit 500 M€) mais une partie du chiffre d’affaires perdu par les GN disparaîtrait, une fraction de la demande étant évincée par la hausse du prix total.
Si l’étude visait à mesurer les évolutions possibles grâce à la relocalisation des investissements publicitaires, elle soulève aussi des questions, en particulier au regard de ce qui s’est passé dans d’autres secteurs de l’économie. « Une telle rapidité de transformation du marché est rarissime etmériterait d’être documentée. La rapidité de cette invasion du marché mondial et français par les géants du Net est extrêmement rare en économie sur un temps si court avec un tel impact », a-t-il observé. Le phénomène d’emprise des géants du Net sur le marché publicitaire n’a sûrement pas fini d’être étudié…
En savoir plus
L’analyse économique s’appuie sur des données en valeur de l’année 2022 – les plus récentes des comptes nationaux – et sur le Tableau d’Entrées Sorties (TES) de 2019, également le dernier disponible en date au moment de l’étude. Les effets obtenus sont donc également indiqués « en valeur 2022 ».
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