25 octobre 2024

Temps de lecture : 8 min

Pierre Calmard (Dentsu) : « j’aurais peut-être pu devenir un grand écrivain de science-fiction »

Quand on a été capable de faire en moins de 50 heures un ultra trail de 130 kms sur 8000 mètres de dénivellation, diriger une agence média serait presque facilePierre Calmard, président de Dentsu France, répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige.

INfluencia : votre coup de cœur ?

Pierre Calmard : au risque de vous étonner, c’est un coup de cœur tout bête mais cela veut dire beaucoup de choses pour moi : la France, qui est un pays de basket, et fournit pourtant le premier contingent de basketteurs non-américains en NBA, était nulle en Coupe d’Europe. Et elle a enfin une équipe qui joue à Paris l’Euroligue, qui est un peu la NBA européenne. J’ai eu la chance il y a quelques jours d’assister à Bercy à la première victoire de son histoire du Paris Basketball, qui en plus a fait tomber le champion en titre, le Panathinaïkos. Le basket a toujours été une partie de ma vie, j’y ai joué depuis que je suis tout petit et j’ai continué en club jusque très récemment. C’était vraiment ma respiration. J’ai arrêté, même si je tenais encore très bien sur le plan physique et cardio. Mais je me disais qu’à 55 ans, je risquais de me faire mal… Pour la petite histoire, les anciens en basket, cela commence à 36 ans !

 J’ai vraiment l’impression d’assister à la mort lente de la démocratie

IN. : et votre coup de colère ?

P.C. : Il est contre la situation politique actuelle, et surtout sur l’incapacité mortifère de nos hommes politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, à faire passer l’intérêt du pays avant le leur. Après la guerre, on a monté un modèle de démocratie assez éclairé issu de la philosophie des Lumières. Et aujourd’hui j’ai vraiment l’impression d’assister à la mort lente de la démocratie. Parce que le mensonge est devenu la règle de notre classe politique et que l’idéologie domine. Bien sûr cela a souvent été le cas mais il y avait quand même toujours autrefois un fond d’intérêts collectifs et de véracité. Il pouvait y avoir des opinions différentes mais on était tous à peu près d’accord sur un corpus de vérité. Ce n’est plus le cas maintenant et une guerre d’ego a tout emporté, y compris l’intérêt collectif. S’il y avait des personnes responsables, on pourrait trouver des consensus et faire avancer l’intérêt du pays. Je fais un parallèle avec le monde de l’entreprise. Celle-ci est un lieu de débat : comité de direction, syndicats, représentants du personnel, ne sont pas forcément d’accord mais ils arrivent quasiment toujours à avancer ensemble vers un objectif commun. Je trouve sidérant qu’aujourd’hui nous ayons perdu complètement cette logique et ces valeurs dans ce pays. Je ne sais pas si nous arriverons à sortir de cette ornière mais je le souhaite ardemment. Notre génération pensait que la démocratie était un dû et qu’on ne reviendrait jamais en arrière mais l’histoire actuelle du monde démontre que ce n’est pas le cas, que c’est un combat et que si on ne le mène pas, il y a des risques graves.

IN. : la personne qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

P.C. : j’aime beaucoup lire, mais celui qui m’a vraiment marqué c’est Frank Herbert, l’auteur de « Dune ». On pense souvent qu’il y a seulement les deux bouquins initiaux. Il se trouve que j’ai lu toute l’œuvre du père mais aussi toute celle du fils Brian, qui est donc l’histoire complète de « Dune », depuis les origines jusqu’à la fin. Je suis un passionné de science-fiction depuis que je suis adolescent. Et grâce notamment à « Dune », j’ai compris deux choses qui ont été importantes dans ma vie, y compris dans mes études de philosophie : le pouvoir de l’anticipation, la capacité de l’être humain à se projeter dans l’avenir pour mieux déminer ou décrypter ce qui se passe à l’instant T. Frank Herbert a créé une œuvre incroyable de ce point de vue là parce qu’il y a tout : le rôle des religions, la crédulité humaine, la nécessité de se projeter en permanence dans le chemin de l’humanité… Il y a aussi beaucoup d’espoir sur ce qu’on peut tirer de positif des technologies et de la modification de l’être humain. Le dernier livre qu’il a écrit « la maison des mers » est juste un chef d’œuvre absolu, il a aussi compris avant tout le monde le pouvoir des femmes et le féminisme. J’ai vu les films 30 ans après avoir lu les bouquins et ils font un carton parce que ce qu’ils racontent est toujours extrêmement actuel.

L’une de mes qualités est l’anticipation, ce qui est une bénédiction à certains moments mais parfois est aussi pénible

Sur un plan personnel, j’ai plein de défauts comme tout le monde. Mais j’ai quelques qualités (rires). Et je pense que l’une d’entre elles, à la fois dans ma vie personnelle et professionnelle, est l’anticipation. C’est une bénédiction à certains moments puisque j’anticipe beaucoup de choses. Cela me permet d’avoir une approche stratégique ou tactique dans le temps. Mais c’est parfois aussi assez pénible parce que le problème des gens qui anticipent trop est qu’il leur est souvent difficile de se satisfaire du moment présent… Et pour l’anecdote j’ai un fils qui me ressemble beaucoup sur certains points. Depuis qu’il est tout petit, dès que nous faisions quelque chose, il me demandait toujours : « Ok mais on fait quoi après ? Il y a toujours chez lui ce côté hyper anticipatif, qu’il me renvoyait un peu comme un miroir et que je trouve même parfois un peu anxiogène. Parce qu’à un moment donné, il faut bien se dire : Carpe diem.

J’aurais certainement pu faire plus vite, plus fort, plus haut

IN. : votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire

 P.C. : si c’était à refaire, la réponse bateau serait de vous dire que je ferais tout pareil parce que je n’ai rien envie de jeter pour l’instant. Mais à la réflexion, je pense quand même que si c’était à refaire, je le ferais beaucoup plus vite… Et je fais un petit coucou à toutes les personnes qui m’ont, soit mis des bâtons dans les roues, soit qui m’ont fait douter de moi d’une façon d’une autre. Il y en a eu forcément beaucoup pour tout un tas de raisons. Même si, de l’extérieur, beaucoup de gens pensent que j’ai une assez grande confiance en moi et un certain ego, en fait j’aurais dû être encore pire, si je peux m’exprimer ainsi, car je me suis souvent freiné sur certaines choses. Et j’aurais certainement pu faire plus vite, plus fort, plus haut. Je suis allé dans la communication en n’ayant pas le sentiment de le vouloir vraiment. C’est plutôt un enchaînement qui m’y a amené alors que j’étais un ingénieur statisticien qui a fait des études de philosophie. J’ai donc eu un parcours un peu hybride, sauf que dans le système français il fallait être soit littéraire, soit scientifique ; et moi j’étais les deux à la fois ! Je n’étais pas dans une case. Mais dès le début j’aurais dû voir cela comme une force énorme. En me faisant confiance, j’aurais pu être encore plus performant et aller plus vite dans ma vie professionnelle et dans les transformations que j’ai pu mener dans les différents endroits où je suis allé.

Quant à mon rêve d’enfant, il était très simple : je voulais être écrivain, et à la limite ne plus faire que cela. Je rêvais d’écrire un roman. Mais je n’ai jamais eu le temps de m’en occuper sérieusement. J’ai écrit des livres professionnels. Mais je suis encore jeune (rires), donc peut-être un jour…. J’ai plein d’idées dans les tiroirs.

IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

P.C. : cela va peut-être vous surprendre, mais à 24 ans j’ai fait et terminé en moins de 50 heures l’ultra trail de la Réunion qui s’appelle « La Diagonale des Fous » (130 kms, 8000 mètres de dénivellation). Et j’ai été classé. C’était un défi un peu fou que je m’étais lancé, je pratiquais du sport mais jamais en professionnel. A l’époque tout le monde pouvait s’inscrire, mais à peu près la moitié des gens qui partaient n’arrivaient pas jusqu’au bout et parmi ceux qui arrivaient, peu le faisaient dans le temps imparti. J’en ai bavé et j’ai mis 10 jours à m’en remettre, mais j’en suis très fier encore aujourd’hui.

Dans le même ordre d’idée, à 50 ans, là aussi avec peu d’entraînement parce que je n’ai pas le temps, j’ai fait le Mont Ventoux à vélo. C’était aussi un vieux rêve. C’était dur mais quand j’ai abordé la descente cela m’a donné un sentiment de plénitude. J’ai toujours été plutôt « intellectuel » et dans les deux épreuves, le fait de vouloir dépasser son propre corps, était très important pour moi.

IN. : votre plus grand échec ? (idem)

P.C. : J’aurais peut-être pu devenir un grand écrivain de science-fiction. Et si j’ai un échec, c’est de ne pas avoir réussi à persévérer parce que j’ai toujours eu d’autres priorités. Je me suis réfugié dans le fait de gagner mieux ma vie sans prendre de risques. Mais je n’ai pas dit mon dernier mot (rires).

IN. : votre devise ?

P.C. : c’est une devise que j’utilise assez souvent et qui est en fait de Nietzsche, un philosophe que j’ai beaucoup lu, et qui est à mon avis, beaucoup plus profonde qu’il n’y paraît pour le commun des mortels : « deviens ce que tu es ». Il y a au moins deux façons de prendre cette phrase. Pour la majorité des gens et dans le langage courant, il y a un côté extrêmement assertif : en gros « aie confiance en toi, affirme-toi ». Mais pour moi, sous la banquise est cachée la vraie question qui obsédait Nietzsche : « mais qui es-tu ? », et le fait de savoir ce qu’on fait ensuite. Et je trouve que dans cet aphorisme, il y a à la fois un peu de Platon et de Socrate et en plus une dimension d’action. Et cette dualité m’anime énormément.

IN. : si Dieu existait, qu’aimeriez-vous lui dire après votre mort ?

P.C. : je pense que si, à ma grande surprise, je rencontrais Dieu, après ma mort – car je ne crois pas en Dieu -, je lui demanderais : « si ton intention était effectivement de créer un monde où l’être humain pourrait exprimer une certaine liberté, ne penses-tu pas que tu as été trop instrumentalisé et n’as-tu pas l’impression d’avoir « merdé » quelque part ? Ce serait bien de t’excuser de ce que tu as fait ». Fondamentalement j’ai une relation à la religion qui est un peu épidermique parce que je suis un vrai athée actif. Je considère que la religion est un vrai problème et notamment les grandes religions monothéistes.

IN. : quel chanteur emmèneriez-vous sur une ile déserte ?

P. C. : Choisir c’est renoncer, alors je ferais deux choix. Je partirais avec Iron Maiden. C’est toute ma jeunesse. J’écoute beaucoup de hard rock, la discographie de ce groupe est juste hallucinante et sa personnalité est extraordinaire. L’un des chanteurs Bruce Dicksinson, a une palette de compétences étonnantes. Il a été dans l’équipe d’Angleterre d’escrime, il a été directeur marketing, il est pilote d’avion et sait piloter des Boeing 767. Et puisque j’ai des goûts très éclectiques, pour faire le contrepoint, j’emmènerais Lana Del Rey, beaucoup plus zen et calme.

Et comme cela m’ennuie de pas vous donner de noms d’artistes français, j’ajouterais Indochine que j’ai vu pour la première fois quand j’avais entre 15 et 18 ans lors du concert « touche pas à mon pote » place de la Concorde et Mylène Farmer.

* l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

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  • 1000 salariés dont 800 à Paris et 200 en région (Lille, Lyon, Marseille, Nantes et Toulouse)
  • Une hausse prévue des investissements média de ses clients de 15% en 2024
  • Trois agences média : Carat, iProspect, Dentsu X, qui gèrent 800 clients, dont tous les 32 ministères, le groupe Société Générale, Cofidis, Accor, Ferrero, BMW
  • Une agence de création lancée en juin 2022 : Dentsu Creative (L’Armée de terre, Adobe dans le monde, Legrand, Daikin, Jardiland, Midas, Michelin, Flying Blue (Air France / KLM), Midas, GeneraliStihl, Zeiss, Durex, La Banque Postale, ecosystem, IVECO, HP…)
  • Seul groupe de communication en France à être « société à mission » depuis 2023

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