INfluencia : Votre arrivée à la tête de IPG Mediabrands en France semble se dérouler dans un contexte de crise de l’entreprise. Est-ce un bad buzz issu d’une communication mal maîtrisée ou la situation économique de l’agence est réellement préoccupante ?
Bertrand Beaudichon : C’est apparemment ce que certains ont voulu faire courir comme impression sur la situation d’IPG Mediabrands en tous cas ! Mais, ne leur en déplaise, le Groupe en France va très bien, et je vous remercie de me laisser ici l’opportunité de rétablir la vérité après ce qui ressemble à une attaque médiatique en règle, jeudi dernier. Donc, non, le Groupe IPG Mediabrands n’est absolument pas en crise. IPG Mediabrands sera rentable en 2024, et le sera également l’an prochain. Nous avons, comme c’est très courant dans la vie des agences – sans que cela provoque le même genre d’attaque soit dit en passant – perdu quelques clients internationaux après de longues années de collaboration, nous amenant aujourd’hui à revoir notre organisation pour accompagner une légère baisse de revenus prévue en 2025.
Mais, en tant que leaders responsables, ces mouvements de budget, totalement indépendants de notre contrôle localement, et qui auront un effet qu’en 2025, interviennent alors même que nous nous préparions depuis deux ans à une telle éventualité. Deux années au cours desquelles nous avons revu en profondeur notre force de frappe sur les médias adressables, avec le recrutement réussi de Ludovic Silva à la tête de Kinesso, hybridé nos achats entre on et offline, continué à rendre le positionnement d’Initiative en France encore plus attractif et différenciant, gagné 45% des appels d’offre locaux auxquels nous avons participé depuis le début de l’année (avec notamment les gains récents des laboratoires Cattier, d’Elanco, d’Edgar & Cooper et de Vinted), gagné, chez UM, deux nouveaux superbes comptes internationaux avec Levis et General Mills, et enfin, lancé trois offres data exclusives, déjà primées pour certaines, nous permettant d’apporter plus de valeur ajoutée dans l’usage du programmatique. Deux années, enfin, où notre Groupe IPG Mediabrands a mis les bouchées doubles sur nos outils de planning, avec le lancement récent de leurs versions les plus abouties, Interact, permettant aux 80.000 salariés du Groupe de concevoir, activer et mesurer les campagnes de nos clients en construisant directement leurs audiences en utilisant la donnée Acxiom, notamment.
Au final, ces mauvaises nouvelles interviennent donc à un moment où le Groupe n’avait jamais été aussi prêt à poursuivre la formidable croissance que nous avons connue au cours des six dernières années, qui ont vu nos revenus et nos effectifs tripler.
IN. : Quelle a été votre valeur ajoutée ces six dernières années ?
B. B : Nous avons su, au cours de ces années, rendre nos agences attractives et différentes, en publiant de nombreuses études sectorielles sur l’Etat des Cultures, le produit d’Initiative, et l’étude d’UM, Consumption NXT, sur les nouveaux modèles de consommation en période d’inflation. Et, en plus d’avoir participé à presque tous les appels d’offres européens ou mondiaux grâce à la force de nos deux réseaux UM et Initiative, nous avons été invités à 20% des appels d’offres locaux du marché. Et au moment où UM, qui va réaliser 50% de croissance en 2025 grâce aux gains de cette année, va annoncer un nouveau positionnement mondial qui va, comme celui d’Initiative aujourd’hui, affirmer notre différence.
Donc non, nous sommes loin d’être en crise, et je suis absolument confiant, avec tout notre comité exécutif et nos actionnaires, que notre croissance va continuer de plus belle au cours des trois années prochaines.
Nos enjeux de conquête et les besoins de nos annonceurs en termes de stratégie, d’innovation et de mesure de la performance exigent que nous profitions de ce moment pour revoir notre organisation
IN. : Vous êtes chez IPG Médiabrands France depuis six ans à la tête d’Initiative et du trading, votre nomination est un changement en douceur ou un projet de profonde transformation ?
B. B : En effet, j’ai rejoint le Groupe il y a six ans pour prendre la tête d’Initiative, et, au fil du temps, j’ai supervisé l’ensemble des équipes trading du Groupe, et je travaillais évidemment en étroite proximité avec Thomas Jamet tout au long de ces années. Il ne me reste donc aujourd’hui qu’à mieux connaitre les équipes, les clients et le produit de notre agence UM pour leur apporter également mon expérience. Lorsque Thomas a annoncé son intention, après dix ans réussis à la tête du Groupe en France, de se consacrer à de nouvelles aventures personnelles, il a semblé visiblement parfaitement naturel à nos actionnaires comme à l’interne en France, que je prenne sa suite.
Mais passation en douceur ne veut pas dire ne pas réfléchir à notre transformation, et je compte profiter de cette période pour accélérer encore. D’abord, parce que nos enjeux de conquête et les besoins de nos annonceurs en termes de stratégie, d’innovation et de mesure de la performance exigent que nous profitions de ce moment pour revoir notre organisation, ensuite parce que notre produit et nos outils n’ont jamais connu un tel niveau d’excellence qu’aujourd’hui.
IN. : Quel est l’impact réel des départs de Amazon et Lego sur l’entreprise ? Sont-ils en partie compensés par des gains récents ?
B. B : Je ne peux pas commenter ce projet de départs, car nous n’avons lancé que tout récemment les discussions avec notre CSE, une fois qu’il était clair que les talents qui travaillaient sur les comptes en question ne suivraient pas ces comptes. Je peux toutefois confirmer l’ordre de grandeur qui a été annoncé dans la presse jusqu’ici, soit environ 10% de nos effectifs.
Parce que notre modèle humain unique est notre singularité la plus précieuse, et que nous nous sommes aperçus que beaucoup de nos collaborateurs envisageaient un changement de vie ou de faire une pause entre deux jobs, nous avons choisi la formule la plus transparente et ouverte pour procéder à ces départs : une rupture conventionnelle collective sur la base du volontariat. Les discussions ne font que commencer et je ne peux préjuger de leur résultat, mais je peux assurer que nous traiterons tous les futurs volontaires avec le plus grand respect des volontés individuelles et de la meilleure des manières. Même dans cette adversité relative, nous resterons fidèles à notre modèle humain.
Dans la mesure où, en effet, les pertes de clients sont partiellement compensées par les gains récents que j’évoquais plus haut, nous avons pu d’ores et déjà réallouer nos talents les plus motivés sur nos autres comptes, grâce à la mobilité interne entre Initiative et UM, réduisant ainsi l’impact sur nos effectifs. Nous saurons donc limiter au mieux l’impact tant sur les effectifs concernés que sur le moral des talents les plus motivés à continuer l’aventure au sein du Groupe.
IN. : Cela va t-il modifier le fonctionnement actuel assez séparé des deux marques UM et Initiative ? Émilie Thorel est nommée à la tête d’UM, quelqu’un va t-il vous remplacer à la tête d’Initiative ?
B. B : Les deux agences étaient jusqu’ici très autonomes, et ne partageaient finalement pas grand-chose. L’une, Initiative en l’occurrence, était plus outillée que l’autre sur des fonctions clefs telles que le new business, le planning stratégique, les opérations spéciales et les analytics. L’organisation que j’envisage pour IPG Mediabrands visera désormais à renforcer et à mettre en commun certaines de ces fonctions clés, au service des deux agences et de leurs clients, et non plus en silo et de façon inégale, comme c’était le cas jusqu’ici.
Emilie Thorel, qui était jusque-là DGA d’UM sous la direction générale de Thomas cumulant cette fonction avec celle de Président du Groupe a fort logiquement été nommée Directrice Générale, tant son apport sur les clients et sa proximité avec les équipes UM la rendaient légitime.
Quant à Initiative, je continuerai jusqu’à nouvel ordre à en assurer la Direction Générale directe, préférant investir dans les fonctions transverses dont je viens de parler. Ma nomination ne change donc rien pour les clients et les équipes d’Initiative, et celle d’Emilie garantit la continuité pour ceux d’UM.
Nous visons à doubler la taille du Groupe dans les trois prochaines années
IN. : La France reste-t-elle un pays majeur pour IPG Mediabrands et vos ambitions locales sont-elles intactes ?
B. B : Comme nous pouvons le voir dans l’ensemble des appels d’offre internationaux auxquels nous participons, la France est un marché extrêmement stratégique, tant pour les annonceurs que pour notre Groupe. Je n’ai donc aucun doute sur le soutien de notre Groupe dans la réalisation de cette feuille de route. J’ambitionne d’accélérer fortement notre développement auprès d’annonceurs locaux agissant en France ou depuis la France, partout dans le monde, et nous visons à doubler la taille du Groupe dans les trois prochaines années.
Nous avons aujourd’hui deux agences très différentes, chacune représentant la moitié de nos revenus consolidés. D’un côté, Initiative est aujourd’hui une agence majoritairement locale, avec une notoriété et une attractivité locales fortes, particulièrement adaptées aux besoins de clients locaux en quête d’un partenaire outillé et senior pour mener à bien la transformation de leur modèle marketing, en plaçant la connaissance du consommateur au cœur de leur nouveau modèle. De l’autre, UM, moins connue en France et montrant un profil beaucoup plus international, raccordée au réseau leader aux USA. Son nouveau positionnement, qui sera annoncé mondialement dans les jours qui viennent, correspondra parfaitement à des annonceurs plus en attente de la connaissance des différentes typologies de modèles marketing des plus grandes marques mondiales. Dans les deux cas, nous serons les champions de la transformation marketing, et dieu sait si c’est le sujet qui empêche en ce moment la plupart des annonceurs de dormir. Avec nous, ils trouveront deux offres distinctes, mais qui ont en commun une vision commune : dans ce nouveau monde digitalisé, acheter le plus de parts de voix possible au meilleur prix possible ne fonctionne plus, et il nous faut désormais contribuer à maximiser la pertinence locale des marques pour lesquelles nous travaillons.
Nous sommes à un moment de bascule dans notre métier, où il nous faut désormais revoir nos organisations
IN. : Comment se positionner sur un marché très concurrentiel et tendu ?
B. B : Oui, le marché est en effet très tendu, et en totale recomposition. D’un côté, les plus grosses agences media internationales qui ont un modèle ayant du mal à défendre leur valeur conseil et qui attire de moins en moins les talents. De l’autre, les agences indépendantes, qui montrent la bonne proximité client, mais qui connaissent actuellement en France un mouvement de concentration, suscité par le besoin d’investir dans des outils data qui coûtent de plus en plus chers, et dont une agence a besoin pour accompagner ses clients. Nous sommes à un moment de bascule dans notre métier, où il nous faut désormais revoir nos organisations pour à la fois apporter de la simplicité dans un monde média de plus en plus complexe et dominé par des Gafas qui ne partagent pas leurs données, et, en même temps, adapter le comportement des marques à des communautés de consommateurs de plus de plus hétérogènes et sur la défensive vis-à-vis des marques et de l’interruption publicitaire. C’est un moment où les frontières entre branding et performance, offline et online, et même création et média sont en train d’exploser. C’est également un moment où la demande des grands annonceurs mondiaux vis-à-vis de leur agence média a profondément changé, et on constate que, depuis le Covid, leur recherche d’efficacité et de productivité les a conduit, pour beaucoup à centraliser beaucoup plus leur modèle marketing dans des hubs internationaux. Maintenant que les Gafas ont pris un pouvoir considérable dans leur mix, et qu’on peut gérer la relation avec eux à un niveau global ou régional, la tentation a été grande de réduire leurs équipes locales. On constate donc des modèles où 80% des campagnes sont standardisées et décidées depuis un hub, laissant 20% en local pour aider à coller aux nuances locales de chaque marché. Pour ces clients, notre rôle sera donc de plus en plus d’assurer cette pertinence locale pour les marques et de consacrer nos efforts sur ces 20% qui font toute la différence. Et, pour ces nuances locales, d’assurer la promotion de notre écosystème média local, dont nous avons besoin pour conserver l’efficacité des campagnes. Parce que non, tous les tuyaux ne se valent pas, et les consommateurs portent, on l’a mesuré, beaucoup plus d’attention à une exposition publicitaire intervenant dans un contexte dans lequel ils ont confiance.
Nous sommes la seule agence à avoir investi massivement sur l’excellence stratégique depuis six ans
IN. : Qu’est-ce qui fait votre différence aujourd’hui sur le marché ?
B. B : Dans ce monde, nous apportons trois différences qui vont asseoir la poursuite de notre succès : la première, nous avons la bonne taille. Nous agissons, construisons des relations avec nos clients qui sont ceux d’une agence à taille humaine, avec le réseau international et les outils d’une agence leader globalement. Et parmi ces outils, Interact, notre operating System, alimenté directement par les données d’Acxiom, représente un avantage concurrentiel fort et reconnu, tant en France qu’à l’international. Nous sommes ainsi l’une des agences media françaises les plus recommandées par ses clients en France, avec 80% de nos clients qui recommandent nos deux agences.
La deuxième différence est que nous avons su développer un modèle humain unique, nous sommes la seule agence à être « Best Place to Work » pour la troisième année consécutive. Ce modèle humain unique se traduit en un turn-over trois fois inférieur à celui des grosses agences média du marché, et un accès facilité à un marché des talents, grâce à une cooptation qui, ces trois dernières années, nous a permis de procéder à deux tiers de nos recrutements. Des gens heureux qui s’occupent de clients heureux, c’est le secret d’une société de service, après tout.
Enfin, nous sommes la seule agence à avoir investi massivement sur l’excellence stratégique depuis six ans, à l’heure où les autres agences ont finalement désinvesti la fonction. C’est cette excellence qui nous permet d’apporter à nos clients une meilleure compréhension des cultures auxquelles leurs cibles adhèrent, une meilleure compréhension de leurs patterns de marque, et donc, d’aider les marques pour lesquelles nous travaillons à être plus pertinentes et à se frayer un chemin au sein de ces cultures, en évolution constante.
Nous n’abandonnerons rien de ces trois différences dans notre stratégie, et les renforcerons même. Et nous entendons contribuer au développement de nos deux réseaux, en nous développant auprès de clients français agissant dans le monde entier depuis la France sur certaines catégories comme le luxe, le retail, les marques premium, ou la crypto, grâce à notre hub de coordination international à Paris, dont l’existence nous distingue également.
Nous avons tout pour continuer notre croissance, servir encore mieux nos clients, et revoir notre organisation pour correspondre aux enjeux nouveaux d’un monde media en constante évolution. Là aussi, comme l’a montré notre histoire récente, notre taille nous confère une agilité qui nous permet de nous adapter facilement et rapidement à ces évolutions, et de suivre les besoins des annonceurs avec des innovations que certains mettent des années à concevoir.
Nous réfléchissons à lancer en France la troisième marque d’IPG Mediabrands, Mediahub
IN. : Des transversalités avec les autres entités du groupe ?
B. B : Au-delà de la nouvelle organisation d’IPG Mediabrands mettant au service de nos deux agences l’ensemble des fonctions clés de l’agence de façon plus synergique, nous réfléchissons à lancer en France la troisième marque d’IPG Mediabrands, Mediahub, dont le positionnement très créatif me semble très complémentaire de ceux de nos deux agences actuelles. Et, dans la mesure où je suis convaincu que les frontières entre création et media sont en train de sauter pour de plus en plus d’annonceurs, fatigués d’avoir à coordonner eux-mêmes les messages et les canaux, je souhaite travailler avec nos collègues de McCann, de Weber Shandwick ou de MRM, nos cousins dans le Groupe IPG, à la conception des process de travail et d’une organisation plus fluide, nous permettant de mobiliser, au service des clients du Groupe, l’ensemble des expertises nécessaires à leur transformation. Ces synergies existent déjà lorsque des appels d’offre l’exigent, mais je pense qu’on peut être plus proactif dans cette démarche d’intégration.