17 octobre 2024

Temps de lecture : 3 min

Ouragans aux Etats-Unis : quand la désinformation met des vies en danger

L’information joue un rôle critique lorsqu’une catastrophe naturelle survient. Les citoyens doivent par exemple croire les autorités pour suivre leurs instructions. Or, la polarisation politique actuelle de l’Amérique gangrène cette relation. Quelles conséquences ? Quel est l'impact de la désinformation ? Quelle combinaison entre désinformation et polarisation ?

Les ouragans qui ont frappé les Etats-Unis ces derniers jours ont mis en exergue les risques vitaux posés par la désinformation.

Il faut dire que l’information joue un rôle critique lorsqu’une catastrophe naturelle survient : les citoyens doivent par exemple croire les autorités pour évacuer les zones les plus dangereuses et se protéger de manière idoine dans celles où ils peuvent demeurer. 

Or la polarisation politique actuelle de l’Amérique, qui préfigure peut-être ce qui va nous arriver en Europe dans quelques années, gangrène cette relation. Une analyse des 3 113 comtés des Etats-Unis, réalisée par USA Today, montre ainsi que les comtés respectivement républicains et démocrates se radicalisent de plus en plus : depuis 2012, 73% sont devenus plus partisans et seulement 8% ont changé d’obédience. Ce durcissement politique a également pour conséquence que, dans 40 Etats sur 50, le même parti contrôle le poste de gouverneur et le corps législatif, ce qui limite tout travail bipartisan et crée à travers le pays, et même entre Etats voisins, “une mosaïque de lois très divergentes” sur des enjeux majeurs.

Dans ce contexte, la confiance entre gouvernés et gouvernants est de plus en plus difficile à maintenir. Il importe d’ailleurs que cette relation soit réciproque : si les citoyens doivent croire les autorités, celles-ci doivent aussi être assurées que leurs instructions seront suivies par ceux-là. C’est désormais tellement peu le cas que la FEMA (Federal Emergency Management Agency), l’agence fédérale en charge de la gestion des situations d’urgence, propose sur son site Internet une page dédiée au rétablissement de la vérité sur les rumeurs relatives à chaque catastrophe naturelle (voir ici un exemple). 

Cette pratique est un exemple parmi d’autres des ressources qui sont retirées de la vraie gestion des crises pour mitiger les effets de la désinformation. Un autre exemple réside dans le fait que, ces derniers jours, les équipes de la FEMA intervenant dans le comté de Rutherford, en Caroline du Nord, ont dû cesser leur travail et se déplacer dans une autre zone en raison de menaces émises par une milice armée.

Lorsque, nourris par le venin des extrémistes, beaucoup d’Américains considèrent que tout ce que dit le camp adverse est mensonger, leur vie peut rapidement être mise en danger si ledit camp se trouve être au pouvoir. L’exemple le plus déplorable de cette dérive dégradante, pour celle qui l’exprima et ceux qui l’écoutèrent, est l’affirmation de Marjorie Taylor Greene, élue de Géorgie à la Chambre des Représentants et l’une des porte-flingues de l’extrême-droite trumpiste, selon laquelle le gouvernement démocrate contrôlerait le climat. Affirmation évidemment contredite par la raison, par les experts et, surtout, par les faits, mais sur laquelle elle revint pour confirmer son propos. Son objectif est de faire croire que l’administration démocrate de Joe Biden et Kamala Harris envoie les ouragans vers les régions qui votent le plus en faveur des républicains.

Marjorie Taylor Greene relève de la frange la plus conspirationniste de ce qui reste du Parti républicain. Mais le comportement d’autres élus supposés plus raisonnables montre que la désinformation est un engrange dont il est difficile de s’extraire une fois qu’on y a goûté. Marco Rubio fut longtemps l’un des espoirs du parti d’Abraham Lincoln avant de vendre son âme à Donald Trump pour conserver son siège de sénateur de Floride. Il y a quelques jours, il alléguait que les données mensuelles du gouvernement sur l’emploi étaient fausses (parce qu’elles étaient positives). Peu après, il demandait à ses concitoyens de suivre la recommandation du même gouvernement d’évacuer les zones les plus à risques.

Les médias sont également victimes de l’approche fascisante du Parti républicain (et de leur propre impéritie dont j’ai largement traité sur Superception) : un nouveau sondage de Gallup montre que la confiance que les citoyens leur portent outre-Atlantique est à son plus bas historique (31%). Pis, les médias sont désormais l’institution civique et politique la moins digne de confiance aux yeux des Américains.

La combinaison de la désinformation et de la polarisation est si nauséabonde que les fonctionnaires de Caroline du Nord et de la FEMA furent les cibles d’attaques antisémites et craignirent pour leur sécurité alors même qu’ils se préparaient à affronter un ouragan. Ces attaques immondes prétendirent que les fonctionnaires juifs orchestraient les catastrophes, sabotaient la réhabilitation des régions touchées et saisissaient les biens des victimes. Selon une étude publiée par The Institute for Strategic Dialogue, une organisation à but non lucratif, les messages conspirationnistes à propos de l’ouragan Helene ont été vus 159 millions de fois sur X.

Fort heureusement, tout n’est pas malsain sur les réseaux sociaux qui aidèrent aussi les populations touchées par les ouragans à s’informer et s’entraider. Pour autant, lorsqu’une portion significative de la population d’un pays croit que son gouvernement actionne des ouragans pour frapper une partie de ses concitoyens en raison de leur allégeance politique, il est difficile d’y conserver un fonctionnement démocratique.

Ce sera tout l’enjeu des scrutins américains du 5 novembre prochain.

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