Le luxe de seconde main s’affranchit des plateformes en ligne pour mieux briser le plafond de verre
Longtemps délaissé par le marché du luxe, l’achat-revente de vêtements d’occasion n’effraie plus personne aujourd’hui… et surtout pas les clients. Des centres commerciaux en passant par les aéroports, jusqu'aux Fashion Week européennes... on n'arrête plus le luxe à prix cassé.
L’achat-revente de vêtements d’occasion a déjà conquis l’Europe, on ne devrait s’embarrasser d’aucun développement pour vous le prouver. On citera au moins quelques chiffres : le marché pèse aujourd’hui plus de 128 milliards d’euros et a déjà séduit 87% des européens, selon les chiffres publiés en février dernier par Tripartie, entreprise spécialisée dans la résolution des litiges utilisateurs, et Wavestone, cabinet de conseil en stratégie et management. Un succès « à la croissance annuelle (…) à deux chiffres » que les auteurs du rapport accréditent, comme beaucoup d’observateurs, à « la baisse du pouvoir d’achat et l’explosion du e-commerce, mais aussi par des considérations écologiques et les stigmates de la crise sanitaire ». Mais tout ça, vous le savez déjà.
Preuve que les mentalités changent, après avoir été longtemps délaissé par les consommateurs et dénigré par ses acteurs, le luxe se revend désormais à toutes les sauces… et dans tous les états. En 2023, les achats d’occasion d’articles de luxe ont ainsi représenté 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde, soit une croissance annuelle de plus de 15%, selon le rapport cité plus haut. De nombreux acteurs, généralistes ou spécialisés, se disputent désormais les reines d’ « un luxe décomplexé où est proposé un service quasiment similaire, mais en enlevant cette barrière des grandes maisons qui effraient parfois », précisait ainsi Beverly Sonego, fondatrice de Monogram, l’un des trois acteurs clé du marché du luxe de seconde main, à Challenges en 2022.
En mode avion
En effet, cela fait bien des collections – la « carbon data » dans le milieu de la mode – que le luxe d’occasion a fait son trou. Mais ce qui change réellement depuis quelques années seulement, c’est la volonté des acteurs du milieu de s’affranchir des plateformes en ligne pour investir des espaces physiques – et donc encore plus mainstream – qui sont habituellement réservés au luxe. Les boutiques physiques pour commencer, avec notamment l’ouverture début octobre de la boutique Héritage dans le centre commercial One Nation dans les Yvelines qui ne commercialise que des sacs de luxe de seconde main.
Chose plus inattendue, les zones duty free des aéroports s’y mettent également, à l’image de Gebr. Heinemann, l’un des « principaux opérateurs de duty free au monde depuis 1879 » – excusez du peu – qui a ouvert à la rentrée une boutique sur ce créneau au sein de l’aéroport de Copenhague (Danemark) à la rentrée 2024. L’entreprise allemande propose désormais à ses clients toute une sélection d’articles d’occasion certifiés issus des collections de marques de luxe telles que Chanel, Dior, Louis Vuitton and co.
Au moment de couper le ruban rouge, Jan Richter, responsable des achats chez Gebr. Heinemann, expliquait qu’« en raison de leur haute qualité, les produits de luxe se caractérisent par un long cycle de vie et sont donc particulièrement intéressants pour le marché de l’occasion. Si notre objectif en tant que détaillant est bien sûr de générer des ventes, nous considérons également qu’il est de notre responsabilité d’agir de manière durable ». Joindre l’utile – et l’éthique – à l’agréable – et au ROI –.
Strike the pose
Mais pour vraiment parachever la mue luxueuse du marché de la seconde main et pour mieux coller aux codes du secteur… il manquait un défilé. Si la mode de seconde main a déjà fait son apparition sur les podiums, y compris en France – avec par exemple l’événement Adopte une Fripe à Lille en 2022 et le défilé organisé par le collectif Upcycling Connexion en mai dernier –, il s’agissait d’initiatives ponctuelles. eBay a voulu aller plus loin en lançant cette année la Second Hand Fashion Week à New York et à Londres. L’initiative, pensée avec le Council of Fashion Designers of America et le British Fashion Council, regroupait une série de défilés appelés « Endless Runway », qui précédaient les programmes officiels organisés lors des fashion week des deux capitales.
Les articles présentés, signés par de grandes marques, telles qu’Off-White, Khaite, ou encore Simone Rocha, avaient été mis immédiatement à la disposition des consommateurs aux États-Unis et au Royaume-Uni par l’intermédiaire d’eBay Live, l’expérience d’achat en direct de la société. Dans le même ordre d’idée, Oxfam, la confédération qui œuvre (entre autres) pour une mode équitable, a organisé le défilé « Style for Change », toujours lors de la Fashion Week de Londres de mi-septembre, en partenariat avec Vinted. Le spectacle s’inscrivait dans le cadre du « Second Hand September » de l’assiocation, une initiative de l’organisation caritative qui vise à accompagner les acheteurs dans leur démarche pour consommer une mode plus durable. Il mettait en scène des modèles arborant des tenues entièrement composées de vêtements chinés dans les boutiques solidaires de l’association.
Un développement en dehors des plateformes en ligne qui permet d’habituer de plus en plus de fashionista à un modèle de consommation vertueux. À ce sujet, Vinted dévoilait la semaine dernière une étude sur les habitudes et les comportements des consommateurs français. Ce sondage, réalisé auprès de 2002 personnes âgées de plus de 18 ans, affirme que même chez les acheteurs de produits de luxe neufs, seuls 38% jugent que le luxe de seconde main n’est plus vraiment du luxe. Selon les sondés, un produit est avant tout associé à des matériaux de qualité, selon 54% des acheteurs de neuf et 50% des acheteurs de seconde main. L’un des autres enseignements à tirer est que les Français achètent autant de produits de luxe neufs – 22 % – que d’occasion – 21 % –.
Pourtant, quelques obstacles demeurent. Même si le luxe de seconde main est de plus en plus privilégié et notamment chez les jeunes générations – 45 % des acheteurs auraient entre 18 et 24 ans –, le spectre de la contrefaçon plane toujours sur les intentions d’achats. Selon les autorités européennes, la France perdrait autour de 7 milliards d’euros par an à cause du trafic de produits contrefaits. Même son de cloche chez Vinted qui affirme avoir supprimé de sa plateforme « plus de 2 millions d’articles contrefaisants »en 2023 grâce à « des équipes dédiées et des systèmes de filtrages automatisés et de modération » et au service de vérification d’articles de l’entreprise.
Face à cette situation, les autorités et les plateformes de vente en ligne intensifient leurs efforts pour réduire ce fléau. Le gouvernement a ainsi invité les représentants des principales plateformes d’e-commerce à signer une charte pour lutter contre la contrefaçon en 2019. Deux lois de 2023 permettent surtout aux marques de constater une contrefaçon commise sur internet et à exiger que sa vente soit retirée des plateformes ou des réseaux sociaux. Mais comme souvent quand il s’agit d’acheter des vêtements d’occasion, le combat reste le même, qu’il s’agisse d’une plateforme en ligne ou d’un magasin : la vigilance reste de mise… sauf si vous voulez vous retrouver avec ça. Allez, bon shopping.
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