8 octobre 2024

Temps de lecture : 6 min

Sophie Nunziati (Agence Verte) : « Placer la RSE au cœur de l’activité de l’entreprise reste un défi quotidien »

« RSE dans les grandes entreprises : les paradoxes du passage à l’âge adulte », une étude menée par l’Agence Verte* qui analyse les perceptions croisées des professionnels de la RSE, de la communication et des salariés. Pour en parler, Sophie Nunziati, DG de l’Agence Verte (Havas Paris).  

INfluencia : pourquoi cette étude sur la perception de la RSE en entreprise, et qu’avez-vous voulu mesurer ?

Sophie Nunziati : en fait nous voulions avoir une photo, à un instant T car comme vous le savez c’est un sujet qui évolue rapidement. Si l’on revient cinq ans en arrière, on se rend compte que les entreprises, les marques n’étaient pas forcément aussi avancées, en matière de RSE. Avec cette étude, nous prenons le pouls, pour avoir un état des lieux sur la perception des professionnels de la RSE et de la communication, sur l’avancement de la RSE en entreprise. Nous sommes d’ailleurs allés plus loin en interrogeant également les salariés afin d’avoir leurs perceptions en miroir de celles des professionnels.

IN. : ces questions semblent évoluer dans le bon sens malgré une situation géopolitique et économique compliquée.

S.N. : vu par les professionnels de la RSE ou de la communication, le tableau est plutôt positif. En tout cas, à écouter les professionnels, la RSE a gagné sa place dans les grandes entreprises puisque 89 % d’entre eux estiment que la politique RSE dans leur société est intense.

Par ailleurs, la RSE est vécue comme un atout pour le business pour 83% d’entre eux. Tandis que 6% seulement y voient un frein, et ça c’est une vraie révolution. Cela signifie que la RSE est devenue un levier d’innovation, qu’elle est intégrée au récit global des entreprises donc qu’elle a gagné sa place. Les clients sont même cités comme les premières cibles devant les employés, et les fournisseurs.

IN. : la RSE au centre de l’entreprise ne peut pas se faire en seulement cinq ans, si ?

S.N. : la placer au cœur de l’activité de l’entreprise reste un défi quotidien, puisque les professionnels interrogés nous disent en effet que la première de leurs priorités pour les années à venir, c’est de crédibiliser la RSE, de renforcer l’authenticité et la cohérence des actions. En clair, cela avance, mais le sujet n’est pas toujours central. D’ailleurs, quand on demande aux professionnels qui décide des orientations en matière de politique et de communication RSE, la direction générale n’est impliquée que dans à peine plus de la moitié des cas (52%).

IN. : c’est ennuyeux, si la direction générale n’est pas elle-même persuadée de l’importance et de la priorité de la politique RSE de son entreprise ?

S.N. : en tous cas si elle n’est pas impliquée oui. Il y a un autre sujet intéressant, c’est que lorsque l’on demande à un professionnel de la RSE, quels sont les sujets prioritaires, le premier est la qualité de vie au travail, suivi de l’égalité, et de la diversité. Ensuite, viennent les aspects environnementaux, le respect de la nature et la lutte contre le réchauffement climatique.

Si l’on compare cela avec les résultats de l’étude Meaningful Brands réalisée par Havas, on se rend compte que cela ne correspond pas toujours avec les attentes des consommateurs, et des clients. C’est un peu la différence entre la responsabilité sociale des entreprises et la responsabilité sociale de la marque. À savoir, que la marque ne doit pas forcément s’exprimer sur tous les chantiers de la RSE. Un sujet qui rassemble professionnels de la RSE, salariés et consommateurs c’est la qualité de vie au travail. Un volet que certaines marques ont très bien su mettre en place comme chez Carrefour avec les congés en cas d’endométriose, le congé IVG ou la transition de genre pour la MAIF, ou le salaire décent chez Michelin.

L’autre tendance que l’on constate et qui n’est pas forcément le sujet le plus prioritaire chez les professionnels de la RSE, c’est le local qui devient un peu la nouvelle frontière de l’engagement des marques.

IN. : vous évoquiez les salariés et l’importance de leur point de vue sur la politique RSE menée par leur entreprise…

S.N. : en effet, on se rend compte que dans ce combat pour rendre la politique RSE plus centrale, un des enjeux pour les professionnels de la RSE est d’impliquer les collaborateurs. Ils sont de précieux alliés lorsqu’on parvient à les engager. Et de fait, aujourd’hui, ils portent un regard bienveillant, sur la politique RSE de leur entreprise, la jugeant crédible à 77 % et pertinente à 76 %.

IN. : quid de la perception à l’interne ? Les collaborateurs sont-ils informés des politiques menées par les entreprises ?

S.N. : nous nous rendons compte qu’ils sont plus spectateurs qu’acteurs. Seulement 36 % des salariés pensent que les actions de leur entreprise sont bien connues en interne là où les professionnels sont 66 % à le penser. Il y a là un vrai décalage de perception entre les professionnels et les salariés.

Les salariés ont un a priori positif mais dans le détail, ils ne connaissent pas forcément bien les actions RSE, ni les cibles d’ailleurs. Ils sont d’ailleurs 65 % à nous dire qu’ils ont besoin d’être plus formés aux enjeux RSE de leur métier.

IN. : est-ce un problème de conviction de la part des chefs d’entreprise ? Ou d’une mauvaise transmission à leurs salariés ?

S.N. : même si le sujet de la RSE est largement présent dans la société, l’actualité ou la sphère privée, acculturer les collaborateurs à la RSE et intégrer cette dimension dans leur métier ne va pas de soi. Cela reste un sujet complexe, vaste, systémique. Il peut y avoir une méconnaissance, un sentiment de complexité, des hésitations sur les mesures et leur « vraie » efficacité.

Il y a un fort besoin de communication interne et de mobilisation. C’est un sujet sur lequel la plupart des entreprises et des marques nous sollicitent régulièrement, comment mobiliser les collaborateurs ? comment les impliquer durablement dans la mise en oeuvre de la RSE ?

L’enjeu, c’est vraiment de passer d’une communication corporate à une communication à hauteur des salariés. Il faut leur montrer comment la RSE transforme leur métier.  

IN. : vous dîtes que la communication RSE à l’intention du grand public représente des risques…

S.N. : les professionnels font un bilan positif de la communication RSE parce qu’elle renforce l’image de l’entreprise, son attractivité employeur à 70 %. 65 % nous disent qu’elle est bonne pour l’attractivité business et 60 % pour l’engagement des collaborateurs donc le bilan est plutôt très positif. D’ailleurs ils sont 66% à nous dire qu’ils souhaiteraient que leur entreprise communique plus.

Mais si on leur demande s’il y a des risques, ils sont 83 % à estimer que communiquer sur la RSE comporte des risques de modéré à important, du fait du greenwashing, du bad buzz.

IN. : vous êtes donc allés du côté des freins…

S.N. : à 34% ils invoquent le manque d’actions ou de preuves et ce qui arrive en premier, ce sont les risques de voir leur réputation mise à l’index. Le fait d’être accusés de greenwashing est fort pour 43 % des interrogés. Il y a vraiment une crainte parce que cette communication RSE, est de plus en plus surveillée. La peur de communiquer ou le greenhushing sont devenus presque aussi importants que la peur d’être taxés de greenwashing.

IN. : les principaux responsables de cette peur sont les réseaux sociaux, j’imagine…

S.N. : il peut en effet y avoir des réactions très rapides sur les réseaux sociaux. Il existe un vrai risque réputationnel pour la marque ou l’entreprise à faire une communication exagérée sans preuves concrètes. Si la grande majorité souhaite communiquer plus, cela reste un exercice difficile. En tout cas, il s’agit d’être vigilant sur la cohérence et la sincérité entre son discours et ses actes. Et surtout préférer les engagements à court terme aux promesses à long terme où l’on peut dire n’importe quoi puisque cela tombera dans l’oubli…

IN. : c’est là que les agences interviennent ?

S.N. : il faut inciter les marques qui s’engagent à communiquer. Elles peuvent avoir un rôle modèle pour changer les comportements sous réserve qu’effectivement ce qu’elles mettent en avant soit vraiment vertueux. L’objectif étant d’inciter les consommateurs à changer de point de vue et de comportement.

Le dévendeur de l’Ademe

L’Ademe qui met en scène dans ses spots TV des alternatives à l’achat comme la location ou la réparation, Patagonia évidemment, EDF par exemple qui fait une campagne avec un super héros qui éteint les lumières, la SNCF qui met en scène la liberté de prendre le train, en regard des bikers des années 70 qui tombent en panne…

Renault Captur E-Tech hybride, la marque des voitures à vivre va encore plus loin en invitant les usagers à ne pas s’en servir tout le temps.

Ou encore Renault Captur qui incite à « ne pas toujours se servir de sa voiture ». Certains diront que le message reste la promotion de la voiture individuelle, mais n’empêche, le pas de côté fait réfléchir autrement. Le film Caisse d’Épargne aussi, dans un autre genre qui incite à investir son argent dans des projets de développement local, un hôpital, une éolienne, une école….

IN. : la crainte de voir sa communication désossée par les réseaux peut-elle avoir une incidence sur le fait de communiquer ?

S.N. : oui mais ce serait vraiment dommage que des organisations ou des marques qui s’engagent, qui agissent de façon responsable ne communiquent plus par peur d’être attaquées car elles ont un vrai rôle à jouer pour créer de nouveaux imaginaires et provoquer le changement.

*Étude menée auprès de 253 décideurs de la RSE et de la Communication (DG, Dir Com, Dir RSE) travaillant dans des entreprises ou des organisations de 500 personnes et plus, interrogés du 7 juin au 7 juillet et auprès de 974 salariés d’entreprises de 500 personnes et plus (représentativité assurée par la méthode des quotas, âge, CSP), interrogés du 13 au 15 septembre 2024. 

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