26 septembre 2024

Temps de lecture : 12 min

Aurélien Granet (alias Monsieur GRrr) et Maxime Sabahec : « En lançant Trendl, nous voulons construire une communauté de créatifs autour de l’agence »

Cette semaine dans « Sous INfluence », nous rencontrons Aurélien Granet, connu sous le nom de Monsieur GRrr sur les réseaux, et Maxime Sabahec, qui évolue depuis des années dans l’univers de la french tech. Les deux compères viennent de lancer leur agence de marketing d’influence intitulée Trendl, une manière de capitaliser sur l’activité d’un influenceur établi aux plus de 600 000 abonnés sur Youtube.

INfluencia : votre agence a été officiellement lancée en mai dernier. En premier lieu, comment vous êtes-vous rencontrés et qu’est-ce qui vous a donné envie de bosser ensemble ?

Aurélien Granet (alias Monsieur GRrr) : on s’est rencontré pour la première fois à Berlin à l’IFA (l’un des salons incontournables de l’actualité de la tech, NDLR) en 2017. À l’époque, Maxime travaillait pour Business France et organisait le pavillon français pour le compte de l’IFA, sans oublier le CES ainsi que le Computex. De là, je suis venu le voir en lui disant : « Je viens de créer une chaîne YouTube et j’ai envie de parler de Business France, de la french tech et de toutes les startups qui sont présentes au salon. Et est-ce qu’on peut faire des choses ensemble ? ». Ça a commencé comme ça.

IN. : d’ailleurs, vous avez communiqué sur le fait que vous étiez de retour à l’IFA cette année. Était-ce l’occasion de s’y rendre en tant qu’agence cette fois ?

Maxime Sabahec : oui, j’y étais personnellement afin de représenter Trendl mais également en tant qu’agent de Monsieur GRrr. On doit d’ailleurs séparer l’Aurélien de Trendl de Monsieur Grrr, le créateur.

Aurélien Granet : c’est un peu skyzophrène (rire).

IN. : est-ce que vous avez déjà des campagnes ou des opés sur lesquelles vous pouvez communiquer ou tout est un peu encore dans les cartons ?

A.G. : il y a plusieurs choses. Effectivement, l’agence est encore en phase de développement, même si nous sommes déjà dans une belle dynamique. Bien évidemment, c’est une structure qui s’est lancée en se reposant sur mon activité donc, de fait, l’essentiel des campagnes, qui ont occupé une bonne partie du travail de Maxime ces dernières semaines, reposaient sur moi. Ça permet de roder énormément de choses et de mettre en place beaucoup d’outils. D’un autre côté, il y a d’autres campagnes qui sont dans le pipe et que nous sommes en train de mettre en place avec d’autres créateurs.

M.S. : pour être précis, notre terrain de jeu concerne pour le moment les collaborations commerciales avec les créateurs. On n’en est pas encore à l’étape de vastes campagnes de communication ou d’influence pour le compte de grandes marques. Dans cette optique, et notamment autour de l’IFA pour la majorité des opés, on a eu l’occasion de travailler pour les marques Honor et Dreame…

A.G. : Insta 360, avec qui on a travaillé également.

M.S. : oui, et Acer, par exemple. Encore une fois, la plupart de ces opés sont passées sur YouTube puisqu’elles ont découlé de l’activité d’Aurélien, ou devrais-je dire Monsieur GRrr. Il est important également de rappeler que nous travaillons avec une très grande partie des créateurs tech français. C’est le marché sur lequel on se lance principalement, de par notre passé et l’activité d’Aurélien. Mais cela ne nous empêche pas de collaborer avec des marques internationales… ou qui ne sont pas uniquement dans la tech.

IN. : en découvrant votre site, je me suis effectivement rendu compte que vous aviez identifié la verticale technologique comme votre terrain de jeu privilégié…

M.S. : l’idée, c’est de se faire la main sur un marché que nous connaissons et que nous maîtrisons. Même si nous avons déjà signé du contenu sur d’autres plateformes, on reste très orienté YouTube, encore une fois par l’activité d’Aurélien mais aussi parce qu’une présentation d’un produit technologique un peu détaillé nécessite un format plus long que ce que proposent Instagram ou TikTok, par exemple.

A.G. : c’est totalement ça. Souvent, on rentrera plus dans le détail sur YouTube là où on reste un peu plus en surface sur un Insta ou un TikTok, à moins de développer une seule fonctionnalité du dit produit en particulier.

IN. : alors que les agences spécialisées en marketing d’influence et les budgets qui leur sont alloués par les annonceurs se multiplient, a-t-on une plus grande légitimité en étant incarné par un créateur de contenu installé dans le paysage ?

A.G. : c’est évident car ce qui compte au moment de se lancer… c’est avant tout le réseau : comment est-ce que je vais réussir à avoir le bon contact ? Comment est-ce que je vais réussir à m’adresser à la bonne personne ? Est-ce qu’elle va m’accorder du temps même si elle ne me connaît pas ? Quelle proposition de valeur je vais pouvoir lui faire pour pouvoir susciter son intérêt ? Si on arrive sans aucun contact ni connaissance… l’aventure n’est pas impossible, mais beaucoup plus dur. Donc bien évidemment, en étant un créateur identifié, je fais avancer notre cause mais il n’y a pas que moi. Maxime a également beaucoup de contacts de par les différentes activités qu’il a exercées avec Trendl. Mon réseau et le sien sont parfaitement connexes, donc ça démultiplie nos forces.

IN. : une question pour Aurélien, au moment de fonder Trendl, vous aviez, de fait, l’intention de lever le pied concernant votre propre carrière ou les deux activités sont conciliables ?

A.G. : dans ma tête, quand on crée quelque chose, il faut qu’il y ait un besoin identifié en face. Moi, j’avais un besoin énorme d’être plus structuré parce que la gestion de ma carrière personnelle, et la charge de travail qui en découlait, me mettait sous l’eau. Je me suis d’abord entouré de freelances… par exemple pour réaliser les miniatures de mes vidéos ou pour faire du montage, parce que pendant longtemps je faisais tout tout seul. Bien sûr, c’est super de faire l’homme-orchestre parce que tu apprends beaucoup de choses mais tu finis toujours par atteindre tes limites, quelles soient temporelles, physiques ou familiales. Il y a un moment, tu peux plus pousser les murs. Pour autant, je n’avais pas vraiment envie d’externaliser ma partie business, déjà… parce que j’aime ça mais aussi parce que j’aime bien maîtriser mon affaire. Surtout que quand j’ai commencé à discuter à ce sujet avec quelques agences, je n’étais pas convaincu de leur discours… qui était toujours le même, à savoir « On va prendre X pourcentage de tous tes revenus, hors adsense et hors affiliation, mais quand même la plus grosse partie de tes revenus, et en face de ça, tu verras… ça va être super », sans beaucoup plus de précisions, ni sur la nature des opérations ni sur la manière d’absorber le différentiel du chiffre d’affaire au fil du temps. En tant qu’auvergnat, je suis très pragmatique… donc on me la fait pas.

IN. : est-ce que le manque de maturité du secteur quand vous avez commencé à démarcher ces agences, peut expliquer qu’elles n’avaient pas assez de recul pour être clair dans leur discours ?

A.G. : je n’y crois pas un instant, parce qu’aujourd’hui, on est tous dans la même problématique, même notre agence. Quand on bosse avec des créateurs, on ne peut pas leur dire : on vous a signé tel et tel contrat avant même d’avoir les créateurs au sein de l’agence. Mais par contre, tu peux avoir des différentes offres qui seront toujours honnêtes. La transparence, c’est une valeur qui est extrêmement importante pour nous parce que tout travail mérite salaire. Je comprends qu’une agence prenne un pourcentage parce que ses employés vont traiter des mails, gérer des demandes, il y a de l’entrant, il y a du sortant, il y a de la facturation et je ne remets pas ça en question. Mais selon moi, les chiffres qu’ils me donnaient comparés à leur discours ne me convenaient pas.

IN. : une réflexion d’ordre éthique qui est presque le moteur qui a déclenché cette aventure entrepreneuriale…

A.G. : en quelques sortes… mais pas uniquement. Tout d’abord, ça faisait longtemps que je voulais bosser avec Maxime parce que c’est quelqu’un que j’apprécie humainement et dont je connais les compétences professionnelles. Quand tu gères un CES pour Business France, c’est que tu n’es pas trop mauvais dans ton boulot. On en a discuté et on est vite tombé d’accord sur le fait que nous ne voulions pas uniquement gérer des business, notamment parce que Maxime a aussi une appétence sur le fait d’accompagner des gens à se développer dans leurs affaires, notamment toutes les startups avec Business France, donc lui voulait garder un pied dans cet écosystème. C’est pourquoi on a créé une agence un peu mixte qui est à la fois capable de gérer des créateurs de contenu qui seront directement liés en exclusivité à la structure ou pour lesquels on travaillera de manière épisodique mais également d’accompagner des petits créateurs dans leur développement. Moi j’en suis à ma quatrième entreprise, certaines avec succès, d’autres pas du tout. Quand tu t’es un peu cassé la gueule, tu comprends mieux ce qu’il faut faire et ne pas faire, même si toutes les aventures sont différentes. Dans cette optique, je me dis que je suis capable d’aider des personnes qui ont des projets mais qui n’ont pas encore franchi le cap pour X ou Y raisons. L’objectif final étant, et c’est ce qu’on espère, de construire une communauté de créatifs où chacun aurait sa place.

IN. : en vous écoutant, on a le sentiment que les tâches sont bien reparties entre vous deux…

A.G. : on est encore en train de finaliser les bases de notre collaboration mais plutôt, oui. Moi je m’occupe de l’accompagnement, de la structuration, etc. et Max prend en charge tout le reste, c’est-à-dire le dialogue avec les créateurs, les marques… et globalement pour parler business. On sépare réellement les deux pôles parce que je ne voulais pas que tous les créateurs avec qui nous allons travailler… et que je connais personnellement car le monde de la tech est tout petit… se disent que j’allais connaître leurs tarifs ou leurs conditions. Voilà pourquoi je n’aurai pas accès aux outils, au CRM, et qu’il s’agit du domaine exclusif de Maxime.

M.S. : je rebondis un peu sur ce que tu dis Aurélien. Concernant la partie accompagnement, il y a effectivement la stratégie du créateur mais aussi l’accompagnement humain. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit (un futur client potentiel, NDLR) qui va quitter son travail, ou qui vient de le faire, avant de monter une entreprise dont le succès est incertain… c’est un contexte loin d’être anodin. C’est toujours mieux de se sentir appartenir à un collectif, à une famille qui pourra te venir en aide, afin de surmonter cette épreuve pour l’affronter. Le tout, et c’est essentiel à nos yeux, avec des process de travail totalement transparents, comme le disait précédemment Aurélien.

IN. : pour prendre un peu de hauteur et parler du fonctionnement d’une opération de marketing d’influence, une fois la verticale sectorielle identifiée – qu’il s’agisse du monde de la tech, de lifestyle, de sport et j’en passe –, comment les annonceurs sélectionnent les créateurs de contenu ? La taille de leur communauté et le taux d’engagement sont-ils toujours les metrics les plus consultés ?

A.G. : aujourd’hui, c’est vrai que le nombre d’abonnés reste quand même important… mais tout seul, il ne veut rien dire. Tu dois avoir, à côté, un engagement et un nombre de vues important même s’il faut garder en tête que chaque secteur a ses spécificités. Le monde de la tech engage naturellement moins que celui du lifestyle, par exemple. Mais en ce qui me concerne : quand je fais une vidéo où je teste le dernier smartphone de Samsung qui fait des centaines de milliers de vues et qu’en face, je teste un robot aspirateur qui en génère dix fois moins… je comprends tout de suite que le marché, la dynamique n’est pas le même. Pour autant, la vidéo de l’aspirateur robot aura quand même beaucoup de valeur parce que tu sais que les gens qui l’ont regardé sont vraiment intéressés par le produit. En d’autres termes, le nombre de vues ne fait pas tout. Dans la même optique, tu vas avoir des créateurs qui ont des communautés un peu moindres ou même qui débutent, mais qui créent quand même beaucoup de valeur en réussissant à engager la majorité de leurs abonnés.

IN. : au-delà de la taille des communautés, c’est donc leur fidélité vis-à-vis du créateur qui prime…

A.G. : votre réflexion est intéressante et je vais prendre un exemple pour illustrer le fait… que ce n’est malheureusement pas souvent le cas : d’un côté, vous prenez une chaîne comptant des centaines de milliers d’abonnés qui publie une vidéo sur un sujet précis qui fera 25 000, 30 000 vues. De l’autre, vous avez une chaîne qui compte « seulement » 10 000, 15 000 abonnés mais qui, pour aborder la même thématique, publiera une vidéo qui fera exactement le même nombre de vues que la première chaîne. Pourtant, la chaîne qui compte la plus grosse audience se vendra toujours mieux que la seconde… même si cette dernière arrive à impacter davantage les ventes. La raison est toute simple, et c’est là où le bât blesse : quand tu es une petite chaîne, tu es moins staffé et moins organisé pour arriver à prendre le pouls du marché et connaître ta valeur réelle ou ton ROI pour une opération donnée. C’est pour ça qu’on fait le choix de travailler sur la base de l’EMV (l’Earned Media Value, un KPI indispensable au marketing d’influence pour calculer l’impact d’une campagne, NDLR) qui permet d’avoir des chiffres indiscutables en ne se basant pas uniquement sur le nombre d’abonnés. Une fois de plus, c’est hyper transparent pour tout le monde.

M.S. : il ne faut pas oublier que n’importe quelle marque, et encore plus dans la tech, a un objectif commercial. In fine, elle souhaite vendre un produit et avant de le vendre, il y a probablement aussi une part de notoriété. La notoriété, tu vas peut-être la chercher avec des plus grandes communautés, ce qui va, par conséquent, te coûter probablement un peu plus cher, et pour vendre derrière, il va falloir engager davantage. C’est là où une personne avec une communauté très engagée va être bien plus intéressante. L’avantage de travailler avec une agence, c’est que l’on va comprendre les besoins de la marque et être plus apte à lui proposer les bons profils adéquats. Elles n’auront plus besoin d’aller se payer – très cher – tous les grands Youtubeurs tech. Elles pourront se concocter un joli mix adapté à leurs objectifs. Du côté des petits créateurs, on pourra lui dire : Il faudrait que tu travailles telle marque et, sache que tu devrais te vendre à tel prix, voilà tes atouts face aux besoins de la marque.

IN. : les mauvaises pratiques de certains influenceurs et de leurs agents ont grandement terni l’image du secteur tout entier ces dernières années… Depuis la promulgation de la fameuse loi du 9 juin 2023 encadrant l’influence commerciale (qui a déjà obtenu de très bons résultats, comme l’expliquait hier l’ARPP), ce scepticisme est-il redescendu ?

A.G. : pour faire un pas en arrière, je trouve que cette appellation d’influenceur ou de créateur de contenu est un énorme fourre-tout qui concernera autant un influenceur LinkedIn qu’un professionnel reconnu sur Youtube… ou même un simple escroc qui cherche à vendre ses formations bidons. Pas plus tard qu’aujourd’hui, j’étais surpris de voir que Kev Adams, qui est un acteur, avait lancé une chaîne YouTube sur lequel il faisait des défis avec Greg Guillotin. À ce moment-là, est-ce qu’il devient aussi un « influenceur ».. ? Je suis quand même très content qu’il y ait à présent une loi qui permette de définir des règles et sortir un peu du Far West législatif dans lequel on était. Maintenant, quant à la question de l’image… même si on est moins touché dans la tech, il m’arrive toujours d’être accusé par une minorité d’abonnés d’avoir été rémunéré secrètement, en tout cas, c’est comme ça qu’ils se le figurent, par la marque dont je viens de critiquer positivement le produit en vidéo. Cela va s’en dire que quand je fais une opération commerciale pour une marque, je le mentionne toujours en description, donc il n’y a jamais eu de rémunération cachée. Au-delà de ça, les agences qui travaillent avec des créateurs de contenu font le ménage au préalable parce qu’ils jouent leur responsabilité derrière. De toute façon, il est clair que le secteur dans son ensemble tend à être de plus en plus clean.

M.S. : aussi, je crois qu’il faut accepter de vivre avec les critiques. Ça fait partie de tous ces métiers, pas que sur Internet, mais tous ces métiers dans lesquels tu as de la visibilité publique. On n’est pas dans le star system non plus, mais il y a un moment où quand tu produis quelque chose, tu es sur une plateforme qui facilite les retours des êtres humains qui sont pas toujours les plus bienveillants. C’est là où on a une vraie volonté d’accompagner les jeunes créateurs en leur conseillant de se blinder par rapport à ça.

A.G. : il faut également faire l’effort de comprendre que du côté des créateurs, c’est presque impossible d’être parfaitement objectif. En ce qui me concerne, quand je traite un produit, c’est qu’il m’a intéressé à la base. On me dit souvent : « Avec toi, tout est toujours super ». Sûrement… mais parce que je parle de produits qui me plaisent.

IN : pour conclure notre discussion, ressentez-vous un décalage entre le traitement médiatique et la compréhension du grand public de votre secteur et sa pratique dans les faits ? En d’autres termes, en avez-vous assez que l’on vous répète que l’industrie est jeune alors même qu’elle fait déjà vivre des milliers de personnes aujourd’hui en France ?

A.G. : je conçois parfaitement qu’un métier comme celui-là soit encore vu comme un nouveau métier. Si tu regardes YouTube, il y a eu un vrai changement dans leur algorithme en 2012. Ça fait donc à peine 12 ans que YouTube a un modèle qui permet aux créateurs de vivre pleinement de leurs vidéos. C’est tout récent et le marché évolue en permanence. Personnellement, j’ai 45 ans dans deux mois et je suis dans le web depuis longtemps. Peut-être que si YouTube avait existé quand j’avais une vingtaine d’années, je m’y serais mis directement dessus au lieu de construire un site web comme je l’ai fait à l’époque. Donc non, c’est toujours un univers en formation… mais je trouve ça justement passionnant de faire partie de la génération qui débroussaille l’histoire. Ceux qui l’écriront véritablement arriveront après nous.

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