13 septembre 2024

Temps de lecture : 7 min

Sandrine Cormary (SCRP) : « Dans ce monde actuel, j’aimerais souvent prôner un retour au silence »

Sandrine Cormary partirait volontiers sur une île déserte avec Winston Churchill. Et on la comprend… La présidente du Syndicat du Conseil en Relations Publics (et également directrice générale Omnicom Public Relations Group France) répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige.

INfluencia : votre coup de cœur ?

Sandrine Cormary : il est pour le livre « Le Barman du Ritz », que je viens de terminer. Je suis assez fascinée par la Seconde Guerre mondiale et comment on en est arrivé à cette folie des hommes. Et ce que j’ai aimé dans le roman de Philippe Collin, c’est cette dichotomie entre ce qu’il appelle « le monde du dedans » et « le monde du dehors », entre le Parisien qui a froid, n’arrive pas à manger à sa faim, est régulièrement humilié, et le luxe des locataires du Ritz, qui ont véritablement existé, comme Coco Chanel, Arletty ou Sacha Guitry, qui eux vivent la fin de leur ancien monde. Il décrit vraiment les sentiments ambivalents et les émotions contradictoires de ces personnages, qui sont tous en proie à des débats intérieurs, même le Commandant de la Wehrmacht. Et je me suis posé la question : « et si toi tu avais été dans le monde du dedans, ou dans celui du dehors, qu’aurais-tu fait ?»

Beaucoup feraient mieux de tourner leur langue sept fois dans leur bouche avant de parler

IN. : et votre coup de colère ?

S.C. : c’est une colère qui en fait, existe depuis des années. À chaque fois que je reviens à Paris, après trois semaines « off », je constate dans tous les commentaires et débats, des jugements qui sont au mieux des critiques faciles, au pire de la méchanceté gratuite et de la violence verbale de plus en plus exacerbée. C’est aussi une colère contre le fait qu’on met tout le monde au même niveau : l’influenceur – je n’ai rien contre les influenceurs je travaille beaucoup avec eux – et le Prix Nobel et qu’on se doit d’avoir un avis sur tout et n’importe quoi. On est tous devenus des experts ! Je crois qu’on vit de plus en plus dans cette injonction de l’immédiateté et c’est au détriment de la prise de hauteur et de recul. Je suis plutôt quelqu’un d’intravertie à la base qui aime bien argumenter. Je pense que beaucoup feraient mieux de tourner leur langue sept fois dans leur bouche avant de parler, parce que cela leur permettrait de construire une argumentation et de ne répondre que si c’est pertinent. Dans ce monde actuel, si on se tait, on a le sentiment qu’on est perçu comme quelqu’un d’inintéressant, ce qui est complètement faux. J’aimerais bien prôner un retour au silence.

IN. : l’évènement qui vous a le plus marquée dans votre vie ?

S.C. : je vivais en Afrique depuis l’âge de 3 mois et mes parents étaient en train de déménager. Chaque été nous passions nos vacances avec mon frère chez mes grands-parents sur la Côte d’Azur. Une année – j’avais 8 ans – alors que je jouais au badminton, je me suis fait une entorse. Mon pied gonflait de jour en jour et je ne pouvais plus marcher. Le généraliste m’envoie à l’hôpital pour enfants à Nice, l’hôpital Lenval. J’y suis restée un mois et demi. Je m’en souviens très bien. J’étais au dernier étage, il y avait plein de petits enfants sans cheveux, je trouvais cela bizarre. Ma mère m’a plus tard expliqué que c’était l’étage des enfants atteints de cancer. Je me souviens très bien d’un long couloir et au bout d’un espace où se retrouvaient les familles face à une grande baie vitrée donnant sur la Promenade des Anglais. J’étais en chaise roulante car je ne pouvais plus marcher. On me faisait de nombreuses prises de sang jour et nuit pour savoir ce que j’avais. Ma mère était venue me rejoindre et dormait dans ma chambre. Et puis un jour un médecin lui fait comprendre qu’il faut m’amputer parce que la gangrène remonte, et qu’il ne sait pas si cela va s’arrêter. Et il donne l’autorisation à ma chienne de venir me voir, alors que les animaux étaient formellement interdits. Je n’avais pas conscience de ce que j’avais mais j’ai vu ma mère devenir blanche. Et puis, coup de chance, un ami de mes grands-parents qui était médecin militaire en Afrique vient me voir et nous dit : « je sais ce qu’elle a, il faut l’opérer. J’ai vu cela sur des petits Africains et sur une seule européenne ; elle a un staphylocoque doré ». Il m’a sauvé la jambe – j’ai une belle cicatrice – et la vie

J’ai fait ma rentrée scolaire au CM2 au Lycée français Charles de Gaulle à Londres. Pour remuscler ma jambe on m’a fait faire du sport intensivement : du basket, du patin à glace, de la danse classique… Et finalement, ce qui était un évènement négatif m’a indirectement poussé dans une forme de résilience et cette envie permanente d’exigence que j’ai toujours eue.

Mon professeur de patinage avait murmuré à mes parents que je pourrais faire sports-études

IN. : votre rêve d’enfant

S.C. : championne de patinage artistique ou surtout danseuse étoile. J’avais commencé la danse classique à l’âge de 6 ans et ai arrêté à 18 ans. Mon professeur de patinage avait murmuré à mes parents que je pourrais faire sports-études, mais ils s’étaient bien gardés de me le dire. C’était il y a plus de 30 ans et à l’époque ce n’était pas forcément bien considéré. Du coup j’ai eu un parcours académique très classique. Cela dit, avec le recul, quand on voit le travail, l’exigence et la résilience que demande la danse, je me suis dit finalement que c’était peut-être une meilleure chose d’être là où je suis…

Il n’y aura pas deux Cormary chez Lagardère

IN. : votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

S.C : c’est de m’être faite toute seule. J’ai étudié le droit et ai bifurqué vers la presse car je voulais être journaliste. À l’époque mon père était un bras droit de Jean-Luc Lagardère. Et il était venu à New York pour monter Hachette Filipachi USA avec Daniel Filipacchi. Une fois mes études terminées, je lui dis que j’allais envoyer mon cv chez Hachette. Et là j’ai eu droit à un veto. Je m’en souviens encore et pourtant c’était il y a 25 ans. Mon père me rétorque : « Il est hors de question qu’on pense que j’ai placé ma fille. Il n’y aura pas deux Cormary chez Lagardère ». Pendant quelques années, vous l’imaginez, ça ne s’est pas très bien passé entre lui et moi (rires). J’ai répondu : « qu’à cela ne tienne », et j’ai quand même envoyé mon CV à certains titres. La rédactrice en chef de Elle m’a répondu et proposé de faire des piges… non rémunérées. J’avais besoin de gagner de suite ma vie et j’ai refusé. Je suis allée ailleurs. J’ai écrit pour le groupe Tests, j’ai été pigiste dans des magazines de brico-déco, etc. jusqu’au jour, en 2000, où je suis passée de l’autre côté du miroir et j’ai répondu à une annonce pour intégrer l’agence Hopscotch fondée par Jérôme Lascombe et Nathalie Bernard afin de gérer les clients tech.

J’ai toujours trouvé soit mes stages, soit mes jobs par moi-même. Du jour où j’ai commencé à travailler, je me suis toujours auto-assumée financièrement. Je ne dois rien à personne. Un jour, j’ai croisé Daniel Filipacchi avec mon père et celui-ci m’a dit : « je suis fier que Daniel Filipacchi t’ait rencontrée ». Cette reconnaissance ultime du pater a été le graal pour moi…

On ne fait pas son deuil de ne pas avoir d’enfant, on apprend à vivre avec

IN. : votre plus grand échec ? (idem)

S.C : il est très intime. Je suis passée à côté de la maternité par amour pour un homme. Et quand j’ai fait des démarches pour avoir un enfant très – trop – tardivement, cela a été échec sur échec pendant quelques années et j’ai poussé mon corps jusqu’à l’épuisement. J’étais déjà directrice générale et, un matin, je n’ai pas pu me lever. Et là, j’ai dit stop. On me demande parfois si j’ai fait mon deuil. Je suis incapable de répondre à cette question parce que je pense que ce n’est pas la bonne manière de l’aborder. On ne fait pas son deuil de ne pas avoir d’enfant, on apprend à vivre avec. C’est la vie. Je suis marraine de cinq enfants de 7 ans à 30 ans et j’en suis très heureuse, j’ai la chance d’avoir des amis qui sont extrêmement généreux et me laissent puiser dans la tendresse de leurs enfants. Donc cela me nourrit. Mais j’ai quand même une petite voix au fond de moi-même qui me dit : « tu es encore active, très entourée, tu n’as qu’une petite cinquantaine, mais dans 10/15 ans comment vas-tu vivre cela ? » Et je n’ai pas la réponse.

Quad j’ai démarré, je devais même être terrifiante tellement j’étais dure

IN. : quelle qualité préférez-vous chez les enfants ?

S.C. : ce n’est pas une question facile, mais en fait ce que j’aime chez eux, c’est leur sincérité, ils peuvent blesser ou flatter mais ils expriment juste oralement ce qu’ils pensent au moment présent. Cette candeur me ramène à la nostalgie de l’insouciance que l’on manifeste quand on est plus jeune, de cette légèreté qu’on perd quand on devient adulte.

IN. : la critique qui vous fait plaisir

S.C. : on m’a souvent dit que j’étais exigeante mais juste. Et je pense que c’est assez vrai. Quand j’ai démarré chez Hopscotch j’avais 28 ans et je dirigeais une équipe de 6 personnes, je devais même être terrifiante tellement j’étais dure. Mais j’avais été élevée à la dure par mes anciens boss. Je me refusais à faire entrer le subjectif dans ma vie. C’était comme cela et pas autrement. Certaines personnes de mon équipe sont devenues des amies et, quand je leur demande si j’étais horrible, elles me répondent que j’étais assez dure mais que je les tirais vers le haut.

Cette exigence, je l’ai évidemment avec moi-même et c’est sans doute lié à ce que j’ai vécu à 8 ans, sans oublier mes propres échecs intimes. Mais j’ai tué papa de manière œdipienne il y a longtemps et en vieillissant je me suis beaucoup arrondie, j’ai enfin ouvert la porte au subjectif.

IN. : quel personnage emmèneriez-vous sur une île déserte?

S.C. : quelqu’un qui me passionne et que j’admire profondément : Winston Churchill. Je suis en train de lire ses mémoires. Je trouve que c’est un personnage extraordinaire qui était d’ailleurs à contre-courant de son époque. C’est, je crois, le seul homme qui était clairvoyant devant la folie de Hitler dans ces années-là. En plus je m’amuserais très bien avec lui, il a cet humour British si délicieux, on boirait du champagne Pol Roger, il raconterait toutes ses anecdotes, me ferait lire ses textes, me montrerait ses peintures… Je ne m’ennuierais pas une seconde.

* L’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu ».

En savoir plus

– Le Syndicat va organiser le 7 novembre le « diner des présidents » pour décrypter les élections américaines pour ses membres
– Le carrefour des RP aura lieu en novembre
– En mars le Syndicat participera à la Semaine des métiers de la communication
– Il va organiser prochainement une agora sur les médias outre-Atlantique

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