2 juillet 2024

Temps de lecture : 4 min

Expression qui claque, « Search generative experience », par Florence Hermelin

Dans la série les mots qui font briller devant la machine à café, Florence Hermelin, nous propose "Search generative experience" qu'elle décrypte pour INfluencia en ce mois de juillet.

Moteur de recherche préféré des Français depuis 25 ans, Google représente aujourd’hui 91% du search en France et capte, avec Meta et Amazon, près de 70% de la publicité digitale, dont le marché devrait dépasser, pour la première fois cette année, la barre des 10 milliards d’euros (BDM, janvier 2024).

A côté des célèbres acronymes (SEO, SEA) qui impactent directement la visibilité, comme le chiffre d’affaires, des éditeurs de contenus et des annonceurs, Sundar Pichai, le directeur général de la firme de Mountain View lors de sa conférence annuelle aux développeurs, vient d’y ajouter celui de la Search Generative Experience (SEG). Disponible en version bêta uniquement dans 120 pays hors d’Europe (dont les USA, l’Inde et le Japon), la SEG est bien plus qu’une nouvelle fonctionnalité car elle est de nature à remettre en cause le business model de Google (basé sur les liens sponsorisés et la vente de mots-clés) et donc, déstabiliser le marché tout entier.

Une seule cause à cette annonce, que certains experts voient précipitée du fait d’une concurrence féroce : l’intégration rapide de l’Intelligence Artificielle Générative dans les usages, depuis l’apparition il y a moins de 2 ans de ChatGPT d’Open AI.

D’UN MOTEUR DE RECHERCHES A UN MOTEUR DE REPONSES

Et même si l’IA est présente depuis longtemps dans l’algorithme secret de la firme, la SEG, à travers son module « IA Overview », invitera à une expérience de recherche totalement repensée, grâce à l’intégration de Gemini, sa nouvelle IA conversationnelle dans tous les services proposés par Google.

Dans un encadré de couleur distinct, présent tout en haut de la page, devant les autres liens sponsorisés (SEA) ou naturels (SEO), la SEG proposera une réponse enrichie et immédiate aux requêtes effectuées en langage naturel par les individus, sous la forme d’un résumé de multiples sources écrites ou audiovisuelles déjà indexées. Un onglet conversationnel (« ask a follow-up ») permettra de continuer d’itérer sur le sujet pour préciser les réponses à partir de la précédente, avec un impact direct sur le carrousel de liens web proposés à côté qui peuvent eux-aussi être amenés à évoluer.

En invitant à poser des questions plus complexes ou descriptives, Gemini vient aussi enrichir les modes de restitution des réponses (à date écrites, visuelles ou sonores), avec la possibilité désormais de générer 4 images personnalisées illustrant la requête, de traduire de manière contextualisée et immédiate les contenus ou d’inclure directement une liste de produits, rassemblant note, avis, localisation et prix, si une intention d’achat est exprimée. Cela viendra à terme remplacer le Rich Snippets (extrait du contenu visible en-dessous du lien, visant à donner un début de réponse appétant au clic).

En affichant ainsi sa volonté de passer d’un moteur de recherche à un moteur de réponse, Google amorce un virage clair dans sa stratégie. Comme 91% des clics concernent la première page de résultats et près de 30% le premier lien organique proposé, il est aisé d’imaginer que cette nouvelle fonctionnalité bouleverse le référencement en dispensant l’utilisateur d’aller sur d’autres sites pour valider/compléter sa réponse. Ainsi, la pertinence des mots-clés et la qualité des backlinks (popularité des pages selon les liens pointant vers elles) vont devenir progressivement moins importants. Avec pour conséquence majeure pour les éditeurs de contenus, un trafic organique en baisse, évalué par une récente étude Search Engine Land, entre moins 18% dans le meilleur des cas et moins 64% dans les scénarios les moins favorables. D’autant qu’en réduisant la partie dédiée aux liens sponsorisés et naturels avec son encart conversationnel, elle va renforcer uniquement la visibilité de quelques-uns au détriment des autres, relégués à la page suivante (pour un taux de clic de 17% en moyenne sur la page 2).

Sundar Pichai s’est pourtant voulu rassurant, en se réjouissant même que ce changement favorise désormais des contenus plus qualitatifs, pertinents et complets sur un sujet, en renforçant finalement l’autorité de ces sites face à des données génériques, comme valorisant un ancrage local des références. Selon lui, cette nouvelle interface conversationnelle – en proposant des réponses plus précises, personnalisées et surtout sourcées, engagera plus facilement les utilisateurs sur ces contenus experts.

D’ailleurs, à l’instar de la présence de Copilot sur le moteur de recherche Bing de Microsoft, Google préfère ne pas déployer son module en première page par défaut mais offrir le choix aux utilisateurs d’y avoir recours en cliquant sur l’option. Cela lui permet de le tester plus tranquillement sur des requêtes pllus informationnelles que transactionnelles et d’éviter, sur des sujets plus sensibles comme la santé, de prendre la responsabilité du contenu produit par son IA.

LE REFERENCEMENT EST MORT, VIVE LE REFERENCEMENT !

Google est à la recherche du bon modèle pour maintenir la préférence des utilisateurs et l’intérêt des annonceurs pour le référencement, à l’origine de la majeure partie de ses revenus, dans un contexte où de nouveaux concurrents, comme Open AI ou Perplexity AI, le challengent fortement. Souvent contesté sur la qualité et la pertinence de ses résultats de recherche, Google, tout comme ses compétiteurs, a bien conscience des limites de son outil dans le risque d’hallucinations, avec notamment de la data synthétique (cf. l’article sur l’Intelligence Synthétique  la reproduction des biais et les contradictions  déjà mises en lumière entre le résumé produit par Gemini et les liens organiques issus du résultat de la requête, présents sur la même page.

D’autant que cela n’est pas sans conséquence sur l’augmentation des coûts d’inférence liés à l’entrainement d’une IA générative sur de nouvelles données estimés par Morgan Stanley récemment à une addition pouvant aller jusqu’à 6 milliards de dollars par an pour Google, soit 8% de ses profits réalisés en 2023.

Pour les éditeurs de contenus, et particulièrement les éditeurs médias qui luttent au quotidien pour faire reconnaitre leur propriété intellectuelle (avec une dernière amende record de 250 milliards d’euros infligée à Google par l’Autorité de la Concurrence pour non-respect de ses engagements sur la question), ils pourraient voir leurs contenus être noyés dans le traitement de l’information par l’algorithme, sans pouvoir alors revendiquer la paternité de leurs sources. Cela pourrait donc avoir pour conséquence une encore plus grande fragilisation de l’économie des médias, à l’heure où la pluralité est essentielle à notre démocratie.

Pour les annonceurs, cette rupture vient questionner bien sûr leur dépendance à l’outil pour générer des leads ou du trafic sur leur site mais également l’utilité et la qualité des informations qui y sont présentes pour pouvoir maximiser leur chance d’affichage dans cette nouvelle configuration. Nous sommes peut-être à l’aube d’une réallocation des budgets digitaux, pourquoi pas vers les réseaux sociaux.

Mais, alors que cette nouvelle interface de référencement semble dictée par l’urgence, si son déploiement effectif prend le même temps que la fin des cookies tiers sur Chrome (annoncée au marché en 2020 et repoussée au moins jusqu’à 2025), éditeurs et annonceurs auront alors le temps d’organiser leur risposte !

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