28 juin 2024

Temps de lecture : 6 min

Législatives 2024 : un exercice compliqué ? Pour les sondeurs aussi…

Les législatives sont traditionnellement l’élection la plus compliquée à suivre pour les sondeurs, avec non pas une mais 577 élections en parallèle. Le contexte particulier du scrutin de 2024, évidemment politique mais aussi calendaire, ajoute de l’incertitude et de la complexité dans la prévision des résultats du scrutin. Et cela quelle que soit la pression médiatique.

Dimanche 9 juin 2024, une petite heure aura suffi pour plonger le monde politique, les observateurs et les Français dans un tumulte qui n’est depuis pas redescendu. Si la première place du Rassemblement national, annoncée à 20 heures, était largement anticipée par les différents instituts de sondage, l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République à 21 heures a pris tout le monde de court. Et ouvert une nouvelle séquence politique pouvant potentiellement porter ce parti au pouvoir à l’issue des scrutins du 30 juin et 7 juillet 2024. Il n’a donc pas fallu longtemps pour que la réalité surpasse ce qu’aucun scénariste de fiction politique n’aurait sans doute osé coucher sur le papier : des recompositions politiques et/ou tactiques menées au pas de charge pour se caler sur un calendrier extrêmement resserré, des ruptures dignes de soap opera au sein des partis de droite comme de gauche, mais aussi une mobilisation sans commune mesure pour ce type de scrutin de la part des électeurs, appelés au vote alors même qu’ils s’apprêtaient à plonger tranquillement dans un été tant attendu. L’Euro terminé, les Jeux olympiques et paralympiques auraient dû être le principal horizon collectif…

Une élection législative sous la contrainte du temps

L’annonce de nouvelles élections législatives au moment où leurs équipes étaient en train d’affiner les estimations des résultats des européennes, a aussi placé les instituts de sondage dans une configuration assez inédite. Deux scrutins vont donc s’enchaîner à trois semaines d’intervalle, à l’issue d’une campagne des législatives qui sera l’une des plus courtes de la cinquième République : trois semaines tout juste afin que le deuxième tour ne tombe pas le dimanche 14 juillet. Pourtant, les législatives sont traditionnellement l’élection la plus complexe à mesurer avec ses deux tours et ses 577 circonscriptions… « Cette année, notre difficulté est surtout liée à des questions logistiques avec des équipes déjà épuisées par la campagne européenne et aussi réduites. Beaucoup avaient décalé leurs congés après les élections, ont des impératifs familiaux, des voyages prévus…, explique Frédéric Micheau, DGA d’Opinionway. On doit mettre en place en trois semaines ce qui nous mobilise généralement pendant trois mois. Depuis l’inversion du calendrier législatif, quand on prépare l’élection présidentielle, on monte aussi l’échantillon qui nous servira deux mois plus tard lors de l’élection législative. »

Opinionway a dû mettre en place en trois semaines des dispositifs qui mobilisaient généralement ses équipes pendant trois mois

Cette succession de scrutins peut aussi influer sur les comportements. « C’est la première fois qu’une législative intervient trois semaines après un scrutin européen. Cela crée une forme d’incertitude car nous n’avons pas de référentiel, souligne Christelle Craplet, directrice de BVA Opinion. C’est aussi la première fois que le Rassemblement national est si près du pouvoir. À chaque fois, on disait que les législatives était le plafond de verre de ce parti. Cette année, que va créer cette proximité entre les deux scrutins ? Certains électeurs pourront avoir envie de reproduire leur vote au européennes. Les résultats des européennes et la campagne des législatives vont-ils créer un engouement ou un rejet encore plus fort en face ? On voit depuis des années déjà que le front républicain fonctionne de moins en moins… Tout cela rend les choses plus complexes. »

Un seuil historiquement bas de candidats

La baisse drastique du nombre de candidats – 4 010 en 2024 soit 2 280 de moins qu’en 2022, alors qu’ils étaient 7 877 pour le scrutin de 2017 et un record de 8 443 en 2002 – contrebalance un peu les difficultés. Quoique… « Depuis que les intentions de vote se font sur offre réelle et plus sur étiquette, nous avons pu tester les 577 circonscriptions avec tout ce que cela suppose de candidats radiés, réintégrés à la dernière minute et surtout au niveau du codage des candidats », note Frédéric Micheau. Dans les trois blocs, ce codage relève de la dentelle. À droite, le candidat est RN ou Ciottiste ? Du côté du Nouveau Front Populaire, s’agit-il d’un LFI, PS, EELV ou autre ? Au centre, s’agit-il d’un candidat Divers droite, LR, Ensemble pour la République, Horizons ou Modem ? Comment prendre en compte la question des dissidents ? Et les conséquences du rejet inspiré par certains candidats ou même des leaders politiques qui ne participent pourtant pas directement à l’élection, comme Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Macron ? Si le bloc « majorité présidentielle » semble très loin derrière les deux autres, une petite embellie liée à un point technique peut redonner espoir aux aspirants députés : « Quand on teste un candidat sur son nom propre, il subit souvent moins le rejet d’Emmanuel Macron que lorsqu’il est testé sur étiquette », ajoute-t-il. Chaque élection étant locale, les députés bien implantés dans leur circonscription peuvent eux aussi être protégés des vicissitudes de leur famille politique…

Une forte mobilisation des électeurs

Le niveau de la participation – estimé à près de 65 % des inscrits – est une autre donnée de l’équation. Dès le lundi 10 juin, les files d’attente devant les commissariats de police illustraient la volonté des Français de participer au scrutin, malgré les impératifs personnels et les vacances scolaires qui commencent le weekend du 2e tour. Mercredi 26 juin, le ministère de l’Intérieur avait comptabilisé 2,125 millions procurations, soit deux fois plus que lors du dernier scrutin législatif en 2022. « Ce surcroît de mobilisation rendra potentiellement très aléatoire le premier tour et encore davantage le deuxième tour car il y aura beaucoup plus de triangulaires. Tout dépendra où ce surcroît de mobilisation va s’exprimer. Un député peut être élu à 50,1 % ou 75 %. Cela ne fera changer les résultats que dans les circonscriptions tangentes », avance Christelle Craplet.

2,125 millions procurations étaient comptabilisées à quelques jour du premier tour, soit deux fois plus que lors du dernier scrutin législatif en 2022

La difficulté des projections en sièges

Alors que les chaînes d’information – et les médias en général – consacrent depuis le 9 juin une très large couverture aux élections législatives puis aux programmes des différents camps politiques, chacun y va sur les plateaux, les ondes et les colonnes de son analyse d’une société française qui s’apprête à aller voter et de sa projection sur l’après 7 juillet. Les responsables politiques ne sont pas en reste. À quelques jours du premier tour, Emmanuel Macron a évoqué dans un podcast la possibilité d’une « guerre civile » à l’issue du scrutin. Le président du Sénat Gérard Larcher a de son côté évoqué lors d’une réunion publique une « crise de régime structurelle » pour les mois à venir… C’est dire si l’attente médiatique et citoyenne est forte autour des projections sur la configuration de la future assemblée.

Certains sondeurs s’y risquent, notamment Harris Interactive, l’Ifop ou Odoxa. « Notre partenaire Ifop fait un travail remarquable mais reconnaît que les projections en sièges sont fragiles », indiquait toutefois l’éditorialiste Valérie Nataf sur LCI, jeudi 27 juin. Le même jour sur France Inter, Brice Teinturier, DG délégué d’Ipsos, expliquait la décision de son institut de ne pas faire de simulation électorale avant le premier tour : « Les hypothèses à cumuler sont difficiles. On n’a pas les configurations de second tour, on ne peut pas faire de report, il y aura beaucoup de triangulaires… Cela paraît peu raisonnable de diffuser une information non fiable qui peut avoir des effets », a-t-il détaillé. Même prudence du côté d’Opinionway : « Même le soir du premier tour, c’est une donnée à prendre avec beaucoup de recul et de prudence », assure Frédéric Micheau.

Plus aucun sondage ne peut être publié entre le vendredi 28 juin à minuit et jusqu’à la fermeture des derniers bureaux de vote dimanche 30 juin à 20 heures

D’ici le premier tour, les sondeurs continueront de mener des études pour leurs médias partenaires et les études confidentielles qui leur sont commandées autour du scrutin. Le jour du scrutin, les sondages « sortie des urnes » permettront aux sondeurs d’affiner leurs estimations des résultats. Pourtant, à partir de ce vendredi 28 juin à minuit et jusqu’à la fermeture des derniers bureaux de vote dimanche 30 juin à 20 heures, plus question de publier de résultats qui pourraient influencer le vote ! Pour les instituts de sondage, le soir du premier tour sera l’occasion d’ouvrir une nouvelle page de l’élection, pas forcément plus simple, pour un deuxième tour qui fixera enfin les rapports de force entre les trois blocs. Sans que les Français, les politologues et les politiques ne soient complètement sûrs d’y voir beaucoup plus clair au soir du 7 juillet…

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