11 juin 2024

Temps de lecture : 4 min

Jean-Pierre Jeunet (Artefact IA Film Festival) : « L’ia générative ne peut pas faire pire que les humains qui imaginent certains Marvel »

Premiers pas dans la pub et le clip, réalisateur aux côtés de Marc Caro de courts-métrages, puis co-réalisateur du surréaliste Delicatessen, de l’étrange Cité des enfants perdus, du Fabuleux destin d’Amélie Poulain, etc. Jean-Pierre Jeunet est aujourd’hui président du jury de l’Artefact IA Film Festival. Interview d'un homme cynique mais pas trop.

INfluencia : vous aimez créer avec de nouveaux outils, vous en avez même fait une spécialité…

Jean-Pierre Jeunet : je suis passionné par la technologie et mes films ont toujours joué avec les nouveaux outils. Je pense avoir été le premier à étalonner au numérique. En 2013, je réalisais  mon premier film en 3D, L’Extravagant Voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet, l’histoire d’un jeune garçon surdoué et passionné de science, qui invente une machine à mouvement perpétuel… La Cité des enfants perdus, conte noir novateur pour l’époque faisait appel aux effets spéciaux. Des logiciels avaient été créés à cet effet. En 2022 sortait Bigbug, tourné en 3D, une comédie de science-fiction où les humains sont pris en otage par des robots, déjà…

Enfin rappelons que les effets spéciaux du Fabuleux destin d’Amélie Poulain servaient l’aspect poétique et narratif du film. C’est ainsi, je prends chaque fois le contre-pied de ce que l’on voit, des images proposées par d’autres. 

IN. : est-ce cet aspect de votre travail qui a joué et fait de vous le président du jury du Artefact AI Film Festival ?

J-P.J. : vous l’aurez compris, j’aime les nouveaux outils, les expériences. Donc, je n’ai pas été surpris. Voilà un nouvel outil,  l’IA générative, cela m’intéresse, je suis curieux. J’ai bien sûr, en amateur, testé ChatGPT… Faire un film à partir d’images existantes m’intéresse. Qu’est-ce que cela va bien pouvoir donner ? Alors bien sûr cette nouvelle technologie déclenche des peurs, des débats, mais nous avons déjà connu cette peur à l’apparition de la photographie qui a menacé la peinture… Le cinéma n’a jamais remplacé le théâtre, la couleur n’a jamais remplacé le noir et blanc. Disons que chacun peut choisir la technique ou pas, l’expérience ou pas. Par ailleurs, en termes de création cinématographique, l’IA générative et l’humain, se devront de collaborer.

IN. : on parle déjà de licenciements dans le secteur de la production notamment…

J-P.J. : oui sans aucun doute. Nous pouvons craindre effectivement une augmentation de chômeurs dans ces domaines.

IN. : vous semblez tout de même penser que l’IA générative peut faire du mauvais boulot, presque autant que certains cinéastes…

J-P.J. : oui en ce qui concerne certaines superproductions hollywoodiennes, blockbusters, et autant de Marvel, des produits peu intéressants du point de vue narratif, de l’histoire, il est clair que la machine qui interviendra ne pourra guère écrire des choses plus stupides que celles créées aujourd’hui. En revanche, il y aura toujours des cerveaux humains pour concevoir des pépites, des Amélie Poulain, des Delicatessen, etc.

IN. : utiliseriez-vous aujourd’hui l’IA générative pour concevoir un film ?

J-P.J. : peut-être. Ce serait assez génial de mettre Jean Gabin dans une histoire totalement décalée dans le temps, cela me passionnerait je pense, de brouiller les pistes…

IN. : cela ne vous pose pas de problème de « semer », de perdre en route les jeunes en brouillant les pistes ?

J-P.J. : quand je parle à des étudiants, je vois bien qu’ils sont terrifiés, mais on ne va pas avoir le choix, on ne peut pas retourner en arrière. À part le Concorde, que l’on a stoppé parce qu’il allait trop vite, seul contre exemple à ma connaissance, nous sommes obligés de suivre le mouvement. Soyons positifs, cela peut être passionnant. D’ailleurs, les jeunes étudiants je les rassure, car franchement qui aurait pu imaginer que l’être humain travaillerait des centaines d’heures avant de parvenir à un résultat grâce à une technologie. C’est un travail d’auteur qui s’inspire de multiples références, mais n’est-ce pas déjà ce que nous faisons dans tous les arts avec nos cerveaux, nos émotions, nos sensibilités ? Nous avons le choix. Travailler et développer ses photographies comme Méliès le faisait, ou utiliser le numérique… Cela bouge à toute vitesse, mais ne balaye pas le passé.

IN. : il n’empêche que les emplois vont souffrir de cette « mode » technologique…

J-P.J. : c’est certain. Ceux qui avaient l’habitude de dépenser un million d’euros pour faire un bon film, ne vont pas dire non à un film « pas mal » de 300 euros… Ils vont sauter sur l’occasion. Donc oui, les équipementiers vont être au chômage, c’est comme ça. Moi, j’ai 70 ans et je n’ai pas d’enfants donc je ne suis pas effrayé, j’ai une curiosité naturelle et j’espère simplement qu’il y aura des aspects très positifs dans le développement de ces technologies, et que ce festival est une première expérimentation géante qui va nous permettre de découvrir toute une palette de travaux. J’attends avec impatience d’examiner les projets qui nous seront envoyés.

IN. : donc finalement vous pensez que cette révolution va apporter un surplus de qualité ?

J-P.J. : oui, là où il n’y en avait pas, les dégâts économiques vont être terribles. Je suis sûr que la machine va être capable de faire des choses extraordinaires, on le voit déjà sur les images fixes. Les images sont irréalistes, vivantes, folles. Cela va sûrement être le cas pour les courts-métrages que nous allons découvrir.

IN. :  pourquoi avoir insisté sur vos soixante-dix ans et le fait que vous n’ayez pas d’enfants ?

J-P.J. : je serais plus inquiet si j’étais jeune. À 70 ans, ma carrière est faite d’une certaine manière, il y a plus de choses derrière moi que devant, donc je suis plus excité qu’inquiet. C’est assez marrant finalement d’assister à une révolution sans en subir forcément les conséquences.

IN. : un projet actuellement ?

J-P.J. : oui, j’adapte un roman qui est écrit à la main par un cerveau humain, (rires) cela s’appelle « Changer l’eau des fleurs » de Valérie Perrin… Enfin j’essaye de l’adapter…

En savoir plus

Le lancement d’Artefact AI Film Festival se déroulait le 6 juin dernier à la Station F. Une initiative lancée par Artefact, acteur référent en intelligence artificielle et mk2, groupe de cinéma d’art et d’essai qui ont dévoilé les détails du concours international de courts métrages, ouvert à tous, célébrant l’innovation et la créativité à travers l’utilisation de l’intelligence artificielle générative. Ce festival, le premier en son genre présidé par Jean-Pierre Jeunet, met à l’honneur les talents qui repoussent les frontières de la création cinématographique avec les outils d’IA. Les inscriptions sont désormais ouvertes et les participants sont invités à soumettre leurs œuvres avant le 1er octobre 2024. Le Jury prestigieux, réunissant des experts du cinéma et de l’IA, sélectionnera les lauréats. Le grand public sera aussi invité à voter pour ses courts métrages favoris. La cérémonie de remise des prix aura lieu en novembre 2024 à Paris.

Les modalités de participation au concours international

Le thème de cette première édition intitulée “Réalité(s)” explorera les changements structurants que nous rencontrons à l’ère des avancées technologiques.

Les étapes pour participer à ce concours de courts métrages, que l’on soit cinéaste confirmé ou novice, sont les suivantes :

La soumission des œuvres : Les films doivent être envoyés avant le 1er octobre 2024. Chaque participant a pour consigne de proposer un court métrage de maximum 314 secondes et d’utiliser plusieurs outils d’IA au cours de leur processus créatif (écriture, production, réalisation). Artefact mettra à profit sa connaissance et son expertise de l’IA générative pour s’assurer que les œuvres ainsi que les technologies utilisées respectent les règles de protection de droits d’auteurs. Les directives spécifiques et les ressources pour soumettre les créations sont disponibles sur le site officiel du festival.

La Sélection des finalistes : une présélection de 20 courts métrages sera effectuée en octobre 2024, parmi lesquels le jury désignera les lauréats.

Le vote du grand public : les films des 20 finalistes seront mis en ligne pour un vote public sur le site du festival et sur la plateforme mk2 Curiosity.

La cérémonie de remise des prix : les lauréats seront récompensés et leurs films projetés lors de la grande cérémonie en novembre 2024 au mk2 Bibliothèque à Paris.

Rendez-vous sur le site officiel de l’Artefact AI Film Festival pour soumettre votre candidature : https://artefact-ai-film-festival.com

Quatre Prix seront décernés :

Grand Prix : 10 000 euros

Prix Artefact : aide au développement et à la production du prochain film

Prix du Jury : 1 000 euros

Prix du Public : 1 000 euros

Parmi les membres du jury : Jean-Pierre Jeunet, réalisateur et scénariste, président du jury, Elisha Karmitz, directeur général du groupe mk2, Vincent Luciani, co-fondateur et CEO d’Artefact.

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