17 juin 2024

Temps de lecture : 6 min

Quelle place pour l’écologie dans les médias ?

Les sujets liés à l’environnement et au dérèglement climatique trouvent désormais une caisse de résonance dans les médias. Toutefois, la pratique peut encore s’améliorer en leur accordant davantage de place, mais aussi en revoyant les mots et les images retenus. Les messages restent encore parfois biaisés. Un article extrait du livre blanc "Médiascopie d'un pays" en collaboration avec le SIG.

Fin décembre 2023, en marge de la Cop 28 qui se déroulait à Dubaï, TF1 s’est mis au vert. Le groupe, sur l’ensemble de ses chaînes, avait prévu des programmes et reportages spéciaux consacrés à l’environnement en lui accordant une place toute particulière. Ainsi, en conclusion de chaque bulletin météo, la présentatrice Évelyne Dhéliat proposait une capsule intitulée Notre planète pour délivrer conseils et bons gestes aux téléspectateurs.

L’objectif ? Éveiller leur conscience écologique, la renforcer le cas échéant. Et cela n’est pas un cas isolé. D’après les données de Médiamétrie, la démarche est de plus en plus fréquente : les enjeux climatiques font évoluer les grilles des programmes. Rien que pour la télévision, les chiffres démontrent une certaine attention des téléspectateurs. Par exemple, le Journal Météo Climat, diffusé tous les soirs sur France 2 depuis mars 2023, réunit en moyenne plus de 24 millions de téléspectateurs. Parmi les rendez-vous ponctuels, le Cash Investigation sur la sécheresse et les inondations de septembre 2022 avait rassemblé 2,3 millions d’intéressés. Même Jamy, qui trois mois plus tôt avait quitté son camion pour réaliser un épisode sur le thème « Montée des eaux : comment sauver nos plages ? », avait réuni 2 millions de téléspectateurs, pour une part d’audience de 10,2 %.

Depuis l’Accord de Paris (décembre 2015) et les différentes marches pour le climat, l’actualité conduit à davantage prêter attention au dérèglement climatique et au traitement de ses conséquences. D’autant plus que les phénomènes extrêmes se succèdent et font désormais partie de l’actualité quasi quotidienne.

Questions écologiques : 174485 UBM

Toutefois, si la voix donnée à l’environnement progresse, elle reste, aux yeux de ses défenseurs, bien trop faible. Il n’y a qu’à se rendre compte du traitement médiatique du Covid ou de la guerre en Ukraine : «Deux poids, deux mesures», selon Eva Morel, co-présidente et co-fondatrice de l’association QuotaClimat. Cette dernière s’est constituée début 2022 autour d’une requête précise et claire : que les journalistes et les rédactions prennent l’engagement volontaire de mettre l’accent sur les enjeux, les conséquences et les solutions face à la crise écologique à hauteur de 20% de l’espace audiovisuel disponible. « Nous constatons que d’un point de vue quantitatif, le traitement des enjeux écologiques reste très faible, insiste Eva Morel. Nous avons développé un observatoire avec un consortium d’acteurs, dont l’Ademe et l’Arcom, sur le sujet. Cela nous permet d’établir que, grosso modo, l’écologie en France représente 3 % de l ’espace médiatique. En comparaison, les crises géopolitiques occupent, elles, systématiquement plus de 10 % de cet espace. »

 

Depuis l’Accord de Paris et les différentes marches pour le climat, l’actualité conduit à davantage prêter attention au dérèglement climatique et au traitement de ses conséquences.

 

Attention aux confusions

Si le quantitatif pêche, Eva Morel montre aussi du doigt le qualitatif, un certain nombre de travers faussant la bonne retranscription de l’information. Le premier d’entre eux : n’aborder que les conséquences de la crise écologique, cela créant un climat anxiogène où le téléspectateur, le lecteur ou l’auditeur ne font que subir l’information. Très peu de liens sont établis avec les causes et, surtout, très peu de liens sont établis avec les solutions à mettre en œuvre.

« Il y a aussi des dynamiques de pouvoir et d ’influence qu’il ne faut pas négliger. Par exemple, le fait qu’énormément d’entreprises communiquent sur leurs engagements écologiques entretient un afflux d’informations à destination des journalistes – sous la forme de communiqués de presse d’acteurs économiques – qui sont très faiblement contrebalancés par des éléments provenant de la science et des défenseurs de l’environnement», poursuit la co-présidente de QuotaClimat. Ainsi pose-t-elle l’hypothèse que c’est dans le champ même du journalisme – la division du travail et le degré de spécialisation et de disposition des journalistes se révélant des contraintes qui pèsent sur cette information – et les relations propres que les journalistes nouent avec les univers sociaux concernés par l’environnement que s’ancrent les enjeux environnementaux. «En France, la charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique a permis de créer un sursaut au sein de la profession », intervient Eva Morel. Lancée à l’initiative de dizaines de journalistes franco- phones, de médias et de l’organisme de formation Samsa, cette charte propose 13 points clés sur les «meilleures pratiques pour améliorer le traitement de tous les sujets liés au climat, au vivant et à la justice sociale». Car là aussi les solutions existent pour rendre compte, au plus juste, des problématiques environnementales.

Des verbes pour valoriser l’action

Les pistes d’amélioration passeront tant par la sémantique que par le visuel. L’illustration de la récente canicule au Brésil et des 60 °C ressentis est un cas d’école. « L’image omniprésente dans les médias a été celle d’une plage. Cela traduit bien le fait qu’il y a une problématique de représentation, mentionne Eva Morel. La diversité de situations engendrées par ces températures extrêmes ne peut pas être résumée à cette seule plage. Les hôpitaux, les Ehpad, les écoles, les agriculteurs : tous sont en danger, à cause de ce qu’il se passe… »

Concernant la sémantique, l’objectif est aussi d’être plus attentif à la connotation des mots retenus. « On pourrait considérer, par exemple, qu’à un moment donné, on ne parle plus de “douceur printanière” mais d’une “température anormalement élevée”», suggère Eva Morel. De même, pour engager l’action au-delà d’une simple série de souhaits, il faut encore renforcer l’expression de la volonté avec des verbes sur le faire comme « agir », « engager », « lutter », « combattre », etc. Des mots mieux choisis qui pourraient mettre davantage en avant les (bonnes) pratiques de la société.

Pas à pas

Le samedi 3 juin 2023, Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, et Bérangère Couillard, secrétaire d’État chargée de l’Écologie, annonçaient le lancement d’une campagne de communication nationale «Chaque geste compte, préservons nos ressources» afin de sensibiliser à la préservation de la ressource en eau. L’idée ? Inciter à adopter, au quotidien, six gestes simples afin de réduire sa consommation d’eau : installer un mousseur sur les robinets et un pommeau de douche économe, vérifier et réparer les fuites, préférer la douche au bain, installer un récupérateur d’eau de pluie, un goutte-à-goutte, ou encore planter des plantes peu gourmandes en eau. Une campagne dans la lignée de celle lancée en octobre 2022 «Je baisse, j’éteins, je décale», dont les économies d’énergie avaient pour objectif de réduire notre consommation d’énergie de 40% d’ici à 2050.

Un plan de communication en soutien au développement de différentes initiatives pour accompagner le changement climatique, dont la formation obligatoire des cadres dirigeants de l’État suite à la demande du président Emmanuel Macron, portée par Léa Falco, ou le simulateur de bilan carbone lancé par l’ADEME.

« Il y a beaucoup de “bruit médiatique” autour de l’empreinte carbone, mais cela n’aide pas les gens à y voir plus clair. Au contraire, cela a tendance à fausser la perception des ordres de grandeur en attirant l’attention sur des sujets parfois anecdotiques. Les gens ont l’impression qu’il est suffisant de trier leurs emails et leurs déchets, mais alors passent totalement à côté du coût carbone de leurs trajets en avion ou de la viande qu’ils mangent », expliquait Laurène Branaa, responsable de « Nos Gestes Climat » à l’ADEME. L’ADEME et le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires qui lançaient en novembre dernier un autre pavé dans la marre avec la campagne « Dévendeur ». Quatre films mettant en scène le-dit «dévendeur» conseillant aux clients de ne pas acheter un vêtement, de louer une ponceuse ou de faire réparer leur machine à laver au lieu d’en acheter une, et de préférer un smartphone d’occasion à un neuf. Une initiative qui n’a pas été au goût de tous, notamment des commerçants, mais qui a fait couler beaucoup d’encre. Et après tout qu’on parle de cela en bien ou en mal, peu importe; l’essentiel, c’est qu’on en parle. Un Français émet en moyenne 10 tonnes de CO2 par an. Les experts estiment qu’il faudrait limiter ce chiffre à 2 tonnes de CO2 par an pour réussir à atteindre la neutralité carbone et limiter le réchauffement de la planète. De quoi faire résonner autrement la fameuse phrase de Neil Armstrong : «Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour l’humanité.»

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