17 mai 2024

Temps de lecture : 3 min

Urgence démocratique pour la presse d’information

Le recul constant de la diffusion de la presse d’information et la baisse drastique de leurs recettes publicitaires représentent-ils un risque pour nos démocraties ? Nathalie Sonnac, la présidente du Conseil d'orientation et de perfectionnement (COP) du Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (CLÉMI), le pense clairement. Hervé Navellou, le président de l’Union des marques, affirme, quant à lui, que les annonceurs se préoccupent de cette question. Rencontre lors du colloque, « Démocratie, information et publicité » organisé par l’UDECAM et l’ACPM en collaboration avec INfluencia, à la Sorbonne Université, le 23 avril 2024.

La situation est grave et mérite un changement de modèle complet. Quand on lui demande si la crise de la presse d’information représente un réel danger pour nos démocraties, Nathalie Sonnac répond sans hésiter une seule seconde. « Oui, l’urgence démocratique est bien réelle et ce sur au moins deux points particuliers, assure la présidente du Conseil d’orientation et de perfectionnement (COP) du Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLÉMI). Un rapport américain publié en 2019 qui étudiait les Etats-Unis mais aussi plusieurs marchés européens dont la France, l’Espagne, l’Italie et la Grande-Bretagne a observé que l’arrivée du numérique dans les foyers avait profondément transformé la manière dont les gens s’informaient. Les gens ont commencé par abandonner la lecture de la presse papier avant de passer de moins en moins de temps devant le reste des médias dits ‘traditionnels’. Aux Etats-Unis, un canton sur deux a déjà perdu un titre de presse quotidienne. On parle désormais de désert informationnel. Ce phénomène génère une véritable diminution de l’intérêt pour la chose publique et cela se traduit dans les votes des électeurs. » La perte de vitesse brutale de la presse papier, de la radio et de la télévision  au profit d’internet a un autre effet pervers pour ne pas dire alarmant. « Les médias traditionnels ont une double mission : maximiser leurs profits tout en informant, ajoute Nathalie Sonnac. Les GAFAM cherchent, eux, uniquement à accroître leurs bénéfices. Ces plateformes numériques, qui s’appuient sur le modèle de recommandations, n’hésitent donc pas à faire de la désinformation si cela peut les aider à faire du ‘clic’ quitte à déstabiliser nos modèles démocratiques. »

Les marques peuvent, elles aussi, perdre beaucoup

Les annonceurs, qui alimentent cette « machine infernale », s’inquiètent-ils du rétrécissement constant du paysage médiatique ? Eux l’affirment même si ces « craintes » semblent avoir peu d’effets sur leurs plans médias. « Les marques ont tout intérêt à vivre dans un paysage médiatique le plus pluriel possible car cela leur permet de toucher un public très large et différencié, vante Hervé Navellou, le président de l’Union des marques,. Travailler dans un environnement de qualité est extrêmement important car cela donne plus de crédibilité à leurs messages. Nous ne sommes toutefois pas là pour édicter des règles mais pour protéger la liberté de communiquer des marques. » Cette mission peut sembler assez noble mais a-t-elle un sens dans un monde où le modèle économique même de la presse d’information est en danger. Nathalie Sonnac est assez pessimiste à ce sujet.

Lutter contre la toute puissance des GAFAM

« En quinze ans, la presse a perdu 75% de ses revenus publicitaires et la durée d’écoute par individu des chaînes de télévision traditionnelles continue de diminuer lentement mais sûrement, ajoute-t-elle. Nous vivons dans un monde démocratique en pleine transition. La transition technologique que nous traversons actuellement est toujours en cours avec l’arrivée notamment de l’intelligence artificielle générative. La position hégémonique des GAFAM va, quant à elle, continuer de s’accroître. Aujourd’hui, ces cinq groupes contrôlent entre 30% et 40% du marché mondial de la publicité programmatique. Cette proportion devrait dépasser 66% en 2030. Actuellement, 86% des Français ne déboursent pas un centime pour s’informer. Les médias traditionnels vont donc devoir trouver un autre moyen que la publicité pour boucler leurs budgets et subvenir à leurs besoins. »

Cette question, la plupart des propriétaires de journaux ou de magazines se la posent depuis quelques années déjà mais la présidente du COP du CLÉMI a, elle, trouvé une réponse toute simple qui pourrait résoudre bien des problèmes. « Il faudrait commencer à penser à imposer une taxe ou une commission que les GAFAM verseraient aux médias », assure cette professeure à l’Université Panthéon-Assas. L’idée semble assez logique mais le bras de fer risque d’être compliqué à remporter face aux géants de la Silicon Valley. Unie, l’Europe aurait, peut-être, une chance. À voir…

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