17 mai 2024

Temps de lecture : 8 min

Georges Mohammed-Chérif (Buzzman) : « Jamais même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais imaginé avoir un dix-millième de la vie que j’ai eue par la suite »

Le publicitaire, fondateur de l’agence Buzzman Georges Mohammed-Chérif nous parle de ses passions, de sa jeunesse et rend hommage à sa mère.  Il répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’hôtel Swann* – Proust oblige bien sûr –

INfluencia : Votre coup de cœur ?

Georges MohammedChérif : J’étais en Thaïlande, il y a quelques semaines et je suis allé dans ce qui est je pense le meilleur restaurant de ma vie Gaggan Anand à Bangkok. Plusieurs personnes m’avaient recommandé cet endroit magique. Nous y avons vécu une expérience étonnante. On arrive à 21h. Il y a juste 18 personnes et la première chose incroyable que fait le chef est de nous demander de nous présenter à tour de rôle. La table est en L, il est au milieu avec sa brigade, chacun jouant son rôle comme au théâtre. C’est un mélange entre un stand up – il fait des blagues – un one man show avec bande-son et jeux de lumières et une sorte de Ted X sur la nourriture. Gaggan Anand explique la cuisine locale, les produits, la durabilité, l’histoire de l’alimentation, l’apport de l’Inde à la cuisine… Tout cela en plus des expériences culinaires incroyables qu’il nous fait vivre, comme son plat vedette « Lick it up », une assiette à lécher. Il apporte une assiette, en fait c’est une carotte avec une substance de carotte qu’on doit lécher, et un peu de saumon à l’intérieur. Tout cela sur fond de Britney Spears ! Avec ma femme, nous avions quasiment les larmes aux yeux à la fin. J’en garderai un souvenir ému toute ma vie. C’est dingue ce que la bouffe est capable d’apporter à l’être humain. En plus le mec, qui a une histoire assez incroyable – il a vécu dans les bidonvilles de Calcutta – est un punk, il se définit comme « un chef, un musicien, un rêveur, un imbécile romantique, un rebelle et conducteur de chaos dans la cuisine » ! Ce sont des contre-pieds qui me correspondent bien (rires).

 

Créer une catégorie spéciale humour aux Cannes Lions : c’est bien un signe que cela ne tourne pas rond dans notre société

IN.: Et votre coup de colère

G.M-C. : J’ai une grande tendance à évacuer tout ce qui peut être de la charge mentale négative. Mais il y a un événement qui m’a choqué et fait un peu fait désespérer et mis en colère, c’est l’arrivée de la catégorie Humour aux Cannes Lions. Moi j’ai fait de la pub parce que c’était drôle. Avec ce que l’on vit en ce moment, la crise, l’inflation, le mal-être, les guerres, etc., j’ai toujours envie de faire rire les gens, de les émouvoir, de leur donner des émotions un peu positives. Et là, d’un coup, on s’est dit qu’il fallait créer une catégorie comme si tout le reste ne devait pas être de l’humour. Et c’est bien un signe que cela ne tourne pas rond dans notre société.

 

Grâce à ma mère j’ai une sorte de confiance absolue dans le côté positif de la vie

 

IN.: La personne qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

G.M-C : Clairement c’est ma mère. Nous étions sept enfants. Elle avait divorcé dans les années 70, juste après ma naissance et elle avait une joie de vivre et une résilience extraordinaires. Elle m’a appris le pardon et plein de valeurs qui font qu’aujourd’hui, je suis l’homme que je suis et que la vie est simple à vivre. Il y a ce mot arabe « Merlish » qui veut dire « ce n’est pas grave », quand quelqu’un vous fait une crasse par exemple. Evidemment, il y a des choses et des gens qui m’ont blessé, rendu triste, ou fait douter. Mais assez rapidement, je prends le dessus et grâce à ma mère j’ai une sorte de confiance absolue dans le côté positif de la vie.

J’ai eu une chance inouïe d’avoir cette maman aussi inspirante. Et elle me donne encore cette force aujourd’hui. Nous étions tous autour d’elle quand elle est décédée. Et elle a dit quelque chose d’extraordinaire sur son lit de mort : « je vais partir, mais vous me reverrez et je serai sous la forme d’un oiseau ». Et du coup c’est génial parce qu’on voit des oiseaux tout le temps, et qu’ils sont libres. À Marseille, il y a pas mal de mouettes devant ma maison et quasiment tous les jours, je fais un coucou à ma mère qui passe. Bien sûr je ne sais pas si c’est vraiment elle mais ce n’est pas grave. Quelquefois l’une d’elles se pose à côté de moi et je tchatche avec elle, je lui parle de son petit-fils et de ma vie.

 

La victoire de la France en 1998 a reboosté la confiance que j’avais déjà en moi

 

IN.: Et l’événement ?

G.M-C. : C’est le match France Brésil en 1998 et la victoire de la France à la Coupe du monde de football. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles c’est l’événement qui a marqué ma life. D’abord parce que cela a été une liesse collective insensée. J’ai passé une nuit entière à faire la fête avec des mecs de toutes les nationalités, y compris des Brésiliens, place de la Bastille, on a cassé des carreaux, on est rentré chez les gens, on est monté sur des voitures. Il y avait une sorte de joie indescriptible qui a duré 48 heures. J’étais heureux comme si c’était ma famille qui avait fait quelque chose d‘incroyable.

Et puis il y a une autre raison. Avant, la France aimait bien les deuxièmes, on préférait Poulidor à Anquetil. Le fait d’être pour la première fois champion du monde nous a montré qu’on pouvait être les meilleurs et y arriver. Et d’ailleurs quand on regarde ce qui s’est passé ensuite, on a assisté à la victoire d’autres équipes dans d’autres sports, de nombreux athlètes sont devenus champions du monde.

Cette victoire – en plus, il y a eu trois buts de Zidane, qui est kabyle comme moi – a montré que tout était possible et reboosté la confiance que j’avais déjà en moi. Je crois qu’on ne se rend pas assez compte à quel point ces mecs ont changé nos vies, nous ont redonné confiance. Cela a eu un impact sur toute la société, pas uniquement sur le foot.

 

Le storytelling de ma vie a été très bien écrit

 

IN.: Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire…

G.M-C. Mon rêve d’enfant était d’être footballeur professionnel. Mais pour des raisons de santé, j’ai été coupé dans mon élan parce que j’ai eu de l’asthme à 14 ans. Mais franchement si c’était à refaire, je ne referais rien. Je viens d’un milieu tellement défavorisé où j’étais heureux, mais jamais même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais imaginé avoir un centième, un millième ou un dix-millième de la vie que j’ai eue par la suite. Je suis béni des dieux. Finalement, le storytelling de ma vie a été très bien écrit. J’ai eu une chance inouïe. Je suis ravi de mon parcours, de ma famille, de mes amis, des rencontres que j’ai faites, des déceptions que j’ai eues. Bref tout est bien, j’adore le scénario.

 

 Je me suis transformé en architecte

 

IN.: Votre plus grande réussite (en dehors de la famille et du boulot)

G.M-C. : Je suis fier d’avoir rénové certains endroits, c’est ma deuxième passion. Il y a un ou deux lieux que j’ai retapés, alors que personne ne pensait que c’était possible. Je pense que j’en ai vraiment fait des beaux endroits. Il y a notamment une maison à Trouville, sur le Pont des Belges qui était vraiment atroce – c’était Beyrouth – à l’intérieur, et dès que j’y suis rentré j’ai tout de suite vu ce que je pourrais en faire. Je me suis transformé en architecte. J’ai toujours à peu près deux ou trois chantiers en même temps. C’est une sorte de maladie, de drogue, mais je pense que ce n’est pas anecdotique. Cette passion a un lien avec mon métier parce que j’adore partir d’une page blanche, refaire quelque chose qui n’était pas beau à la base et créer une campagne ou un lieu qui sera beau. Je trouve que c’est très valorisant. Il y a aussi mon côté bâtisseur, mon papa était un vrai bâtisseur et je pense que j’ai pris cela de lui.

 

Je n’ai pas le chromosome de la glisse

 

IN.: Et votre plus grand échec dans la vie (idem)

G.M-C. : J’en ai un paquet, mais j’ai un chromosome qui les efface. Mais je vais vous révéler un secret, mon plus gros échec, c’est que je suis nul dans tous les sports d’équilibre : kitesurf, skateboard, saut en parachute, ski, etc. C’est une sorte d’handicap. J’aimerais aimer cela mais je n’y arrive pas. J’ai essayé une ou deux fois mais à chaque fois, je me débine direct. Par exemple, je suis nul en ski, je suis la risée de tout le monde. Je pense que la majorité des enfants en font mieux que moi.

J’ai des potes qui essaient de m’y mettre mais je ne sais pas faire. Je n’ai pas le chromosome de la glisse et je déteste les gens qui savent en faire, à cause du plaisir qu’ils y prennent (rires).

 

IN.: Votre juron, gros mot ou blasphème favori

G.M-C. : « La con de ta race », quand je suis en colère et que je ne réfléchis pas. Oui, je sais, c’est technique (rires).

 

Je pense qu’à la naissance, on enlève le cœur aux huissiers

 

IN.: Le métier que vous n’auriez pas aimé faire

G.M-C. : Huissier de justice. En fait, je n’ai pas de problème à l’existence du métier. En revanche, j’ai un problème avec le fait qu’il y a des gens qui le font. Je pense qu’à la naissance, on enlève le cœur aux huissiers. Je sais qu’il y a des règles et des lois, mais je pourrais mieux comprendre si c’était un robot par exemple qui remplissait cette tâche. En fait, j’ai trop d’empathie face à des gens qui sont en galère et n’ont pas pu payer leurs dettes, et si demain je devais faire ce métier je pleurerais chez moi tous les soirs.

 

Quand je mange un poulet, mes potes se fichent de moi et disent qu’ils ont l’impression qu’un chien est passé après moi.  Je ne laisse rien

 

IN.: Si sur une île déserte, vous n’avez droit qu’à un seul plat…

G.M-C. : C’est drôle, c’est une question que je pose souvent à mes amis. Je pourrais hésiter entre l’œuf et le poulet, sans faire de jeux de mots stupides. Mais moi c’est vraiment le poulet, je peux en manger tout le temps, toute la journée. J’aime tout dans le poulet : la cuisse, l’aile, le cartilage… Quand je mange un poulet, mes potes se fichent de moi et disent qu’ils ont l’impression qu’un chien est passé après moi. Je ne laisse rien, il n’y a plus la moindre trace. Et ma compagne est comme moi. Je sais que la bienséance consiste à laisser quelque chose dans son assiette. Je ne sais pas le faire. Je crois savoir d’où ça vient.  Manger est un vrai plaisir hédoniste pour moi mais quand j’étais petit nous n’avions vraiment pas beaucoup d’argent. En fait, nous étions pauvres… Et de temps en temps, quelques fois par an, nous achetions un poulet le dimanche. Et comme nous étions sept frères et sœurs, quand on avait un bout de la bête dans l’assiette, nous ne lâchions rien.

 

 

 

** l’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’« À la recherche du temps perdu »

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L’actualité de Georges MohammedChérif

 

  • Havas qui avait d’abord pris 51% de Buzzman en 2019, puis 100% a très récemment redonné 10% du capital à un groupe de 29 actionnaires composés de commerciaux, créatifs, planneurs et producteurs : Georges Mohammed-Chérif, Julien Levilain, Olivier Amsallem, Clément Scherrer, Isaure Goetz, Julien Liberge, Julien Doucet, Vanessa Barbel, Pierre Guengant, Tristan Daltroff, Louis Audard, , Patrice Lucet, Sofiane Ouaddah, Loïc Coelho, Thibault Picot, Yvonnick Le Bruchec, Melvin Berréhouc, Margaux Hontang, Lilian Moine,Guilhem Barbet, Pierre Cognard, Clémence Defline, Aline Bouchez, Clément Chagnaud, Lou Leproux, , Ayman Jaroudi, Assya Mediouni, Benoit Crouet et Théo Berdrin
  • Georges Mohammed-Chérif est devenu chairman de Buzzman et Julien Levilain  ceo, aux côtés de Isaure Goetz en charge des équipes commerciales, Julien Liberge en charge du développement et Clément Scherrer en charge des stratégies
  • Georges Mohammed-Chérif possède un restaurant de fruits de mer à Marseille qui s’appelle «  poissonnerie kennedy ». Et au-dessus, un autre restaurant autour du poisson, « Onassis»
  • Et il vient de lancer à Marseille, rue d’Aubagne un smash burger « Zerma burger » (zerma:  “celui qui fait genre ou qui fait des caisses” dans l’argot arabe.)

 

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